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LES ETATS ARABES ET LA POLITIQUE DE L’AUTRUCHE

par Zvi BarEl, journaliste à  "Ha’Aretz", 20 mars 2003
source et traduction  Courrier International – Paris


Egypte, Jordanie, Syrie, Liban: ces Etats condamnent la guerre en Irak et craignent les débordements de leurs opinions publiques. Mais ils s’accommoderaient fort bien de la chute du régime irakien.

La confusion règne en Egypte, entre les journaux pro- et antiguerre, entre la position officielle qui exige l’arrêt des combats et la collaboration du gouvernement avec la Maison-Blanche, sur fond de manifestations houleuses. Elle annonce ce qui arrivera dans la plupart des Etats arabes, à l’exception du Koweït. Pour l’heure, le Koweït est le seul pays dont les journalistes et le gouvernement soutiennent sans états d’âme la guerre, et appellent de leurs voeux une victoire totale contre le régime irakien.

 

En Egypte, le problème n’est pas de savoir comment obtenir un arrêt du conflit, mais comment faire face à de nouvelles manifestations populaires contre la guerre. Deux parlementaires ont été arrêtés au cours des dernières émeutes. Plus de 800 autres manifestants ont été interpellés, et les services de sécurité sont en état d’alerte maximal. Selon certaines sources, ils ont la situation en main.

Cependant, malgré les énormes rassemblements populaires qui ont lieu dans le monde arabe, l’atmosphère dans les rues n’a rien à voir avec les manifestations organisées en Europe. “Les citoyens sont dans l’expectative”, commente un observateur jordanien. "Ils ne savent toujours pas s’il faut manifester contre Saddam Hussein, pour le peuple irakien ou contre les Etats-Unis. L’évolution de la situation militaire dans les prochains jours déterminera les réactions de la rue".

Le gouvernement jordanien est à l’évidence sous pression, si l’on en juge par les annonces officielles. Ainsi, des unités des forces spéciales américaines et des avions de combat seraient partis du royaume, malgré les dénégations des autorités jordaniennes.

 

La Jordanie a annoncé qu’elle était disposée à accueillir jusqu’à 50 000 réfugiés irakiens et d’autres nationalités, mais dans la pratique elle impose de strictes conditions pour leur admission. Seules 300 personnes, toutes non irakiennes, ont jusqu’ici trouvé refuge dans le royaume, lequel s’empresse de les renvoyer dans leurs pays d’origine. Le gouvernement a également déclaré qu’il ne fermerait pas l’ambassade irakienne et ne gèlerait pas les comptes bancaires de l’Etat irakien en Jordanie. Ce qui ne l’a pas empêché d’expulser cinq diplomates irakiens.

 

Le Liban et la Syrie, eux, semblent vivre dans un autre monde. A la mi-mars, le Premier ministre du Liban a fait une tournée en Europe afin de "faire connaître sa position sur la guerre", d’après la presse libanaise. En réalité, il craint que la guerre contre l’Irak ne mette un terme à l’aide que devait recevoir le Liban, et il s’est rendu en Europe pour s’assurer que les donateurs ne changent pas d’avis. Il est particulièrement intéressant de connaître la position du Hezbollah sur la guerre. L’organisation a désormais trois points de référence : l’Iran, les chiites irakiens et la Syrie.

 

Quant à l’Iran, il poursuit sa politique de "neutralité active", qui se traduit par un grand intérêt pour la chute de Saddam Hussein - en aidant les organisations d’opposition - et par de simples protestations contre les violations américaines de son espace aérien et la chute de trois missiles, dont deux apparemment d’origine américaine, sur son sol. La position de Téhéran semble plus proche du camp de la guerre que ne le laissent croire ses réactions officielles. De source iranienne, les Etats-Unis et l’Iran se sont envoyé des messages diplomatiques par l’intermédiaire de Francis Brooke, le conseiller américain d’Ahmed Chalabi, chef du Congrès national irakien (CNI) [en exil à Londres]. M. Brooke, qui a reçu un accueil chaleureux à Téhéran, a précisé que les Etats-Unis n’avaient aucune intention de prendre pour cibles des installations iraniennes.

Pour le Hezbollah, ces événements sont révélateurs de la position iranienne. Quant à la Syrie, même si elle s’est posée comme fer de lance de l’opposition des Arabes à la guerre, dont elle exige l’arrêt immédiat, elle continue de tenir un double langage. Certes, le pouvoir exprime publiquement, au travers de la presse et de la télévision, son espoir de voir "une victoire rapide du peuple irakien", mais, dans le même temps, le Hezbollah s’est vu ordonner de ne pas exacerber les tensions sur le front du sud du Liban.

Parallèlement, on apprend de source libanaise qu’un débat sur l’après-guerre a lieu au sein du gouvernement syrien. Il est en particulier question d’un scénario dans lequel les Américains exerceraient des pressions sur la Syrie pour qu’elle appuie le processus de paix. Ces discussions portent également sur la possibilité d’une présence prolongée des Américains sur le territoire irakien, ce qui nécessiterait la collaboration de la Syrie avec le nouveau gouvernement formé en Irak sous les auspices des Etats-Unis. Autre élément à prendre en compte par le Hezbollah : cette organisation chiite ne peut pas s’opposer à un renversement de Saddam Hussein, qui a assassiné d’importants religieux chiites en Irak. Un “rapprochement” s’est amorcé depuis peu entre le Hezbollah et les chefs de file chrétiens au Liban ; le secrétaire général de l’organisation a même proposé de ne pas qualifier la guerre contre l’Irak de “croisade, si ce terme heurte les chrétiens”.

A l’évidence, il faudra un certain temps pour que survienne un changement majeur de la position des pays arabes. Pour l’heure, chacun cherche à se couvrir et à s’assurer que la guerre contre l’Irak reste ce qu’elle est : une guerre livrée contre un seul Etat.