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Printemps Arabe, Rien n’est Joué
Entretien avec le géopoliticien Walid Pharès.
Né au Liban, éduqué au Liban et en France, Walid Phares vit aux
Etats-Unis depuis 1990. Professeur à la National Defense University américaine,
auteur de nombreux ouvrages en arabe et en anglais, il conseille actuellement
le candidat républicain Mitt Romney sur les questions géopolitiques liées à
l’islamisme et au Proche-Orient.
Propos recueillis par Michel Gurfinkiel
Michel Gurfinkiel & Valeurs Actuelles, 2012
27/06/12
http://www.michelgurfinkiel.com/articles/426-Printemps-arabe-Rien-nest-joue.html
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les
pays arabes
Résumé - Régime militaire ou théocratie ? Contrairement à ce que
laissent penser les élections égyptiennes, l’avenir des pays arabes et
islamiques ne se réduit pas à ce choix simpliste.
Va-t-on en Egypte vers un « compromis historique » entre
l’armée et les islamistes ?
En fait, ce compromis est déjà en place depuis plus
d’un an. Mais c’est un compromis instable, où chaque partenaire tente de
l’emporter sur l’autre.
Sur quoi repose ce compromis ?
Au début, il s’agissait de faire face à un ennemi
commun : la jeunesse libérale, qui aspire à un mode de vie de type
occidental, fondé sur les libertés individuelles. Les militaires, « propriétaires »
du pays depuis Nasser, ont longtemps traité cette opposition par le mépris.
Jusqu’au choc de janvier 2011 : les jeunes libéraux réussissent à
mobiliser des foules de plus en plus grandes sur la place Tahrir, au Caire, en
recourant à des technologies de communication difficiles à contrôler, comme les
« réseaux sociaux ». Le choc n’est pas moindre pour les
islamistes : ils croyaient constituer la principale force d’opposition, et
voilà que des pans entiers de la société, les cadres, les intellectuels, les
femmes, les coptes, les ouvriers et même la paysannerie, se rallient aux
libéraux et les rejoignent sur la place Tahrir. Tant pour les militaires que
les islamistes, il est alors impératif, vital, de marginaliser les libéraux.
Une alliance tacite se noue, qui permet aux islamistes de gagner les
législatives.
Mais ensuite les islamistes évoquent de plus en
plus ouvertement leurs buts véritables: remplacer le régime militaire par une
théocratie. Ce qui entraîne un renversement d’alliance pour l’élection
présidentielle : le candidat des militaires, l’ancien général d’aviation Ahmed
Shafik, tente de s’appuyer sur une partie au moins des libéraux. En définitive,
c’est le candidat des Frères musulmans, Mohamed Morsi, qui l’emporte, quoique
de justesse. Les militaires se sont prémunis par une série de décrets
constitutionnels qui leurs octroient des pouvoirs exceptionnels, surtout en
matière de défense, de sécurité et de souveraineté. Et par un arrêté du Tribunal
constitutionnel qui dissout le parlement à majorité islamiste.
Un nouveau compromis s’instaure, bien différent du
premier : une sorte d’équilibre de la terreur, où les uns menacent de
recourir à une répression impitoyable et les autres de déclencher un « méga-Tahrir ».
Y a-t-il vraiment eu un « printemps arabe », en Egypte et
ailleurs ?
Assurément, même s’il a été suivi par un « hiver
islamique » glacial. Le schéma égyptien se retrouve un peu
partout : ce sont les libéraux qui renversent la dictature, ou initient le
renversement ; mais ils sont rapidement évincés par les islamistes et les
salafistes. Ou pour reprendre l’observation d’un intellectuel égyptien :
une démocratisation trop rapide donne toujours le pouvoir, dans un premier temps,
aux forces antidémocratiques, parce que celles-ci disposent de réseaux
militants mieux structurés. En terre d’islam, les islamistes contrôlent les
mosquées : le principal lieu public – sinon le seul, dans la mesure où
tous les autres sont quadrillés par la police et les services secrets. C’est un
énorme avantage lors des premières élections libres. On l’a vu en Algérie dès
1992. On le voit aujourd’hui en Egypte, en Tunisie…
Mais à terme, le printemps
arabe – ou arabo-islamique - reviendra. D’ailleurs, sa véritable date de
naissance n’est pas 2011, mais 2005 : quand le peuple libanais a contraint
l’occupant syrien au départ. Il a rejailli en 2009, avec la révolte populaire
iranienne contre le trucage des élections. Aujourd’hui, les sociétés civiles
arabes et islamiques s’organisent, apprennent à se structurer et reconstituent
leurs réseaux afin de résister à la montée islamiste.
Quelles ressemblances et quelles différences entre les divers
« printemps » ?
- En Tunisie, les laïques du Centre et les
progressistes ont formé une opposition solide face au parti islamiste Nahda et
à ses alliés salafistes. Cet exemple aura une grande influence sur les autres
pays arabes, de la même façon que la « révolution du
jasmin », en janvier
- Une victoire totale des
islamistes en Egypte pourrait conduire à la création d’un espace islamiste
géant de Gaza au Maroc. Mais les libéraux égyptiens n’ont pas encore dit leur
dernier mot.
- En Libye, l’échec est
total. Paradoxalement, le pays où les Occidentaux ont le plus investi en termes
militaires et financiers, est en passe de devenir le pays le plus
anti-occidental du « printemps arabe ». Les milices islamistes
et les groupes jihadistes liés à Al Qaida quadrillent le pays, les tribus
importantes sont entrées en dissidence, les minorités africaines et amazighes
se soulèvent. A terme, nous risquons de nous trouver devant une version
nord-africaine de l’Afghanistan sous les Talibans (1).
- Bahrein se situe sur une
ligne de confrontation entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. En raison de sa
sociologie : population à majorité chiite, monarchie sunnite.
- Le Yémen connaît des
divisions encore plus profondes : clivage nord-sud qui risque de scinder à
nouveau le pays en deux, comme c’était le cas jusqu’en 1990 ; au
Nord-Yemen, rébellion chiite appuyée par l’Iran, considérée comme un risque
stratégique majeur par l’Arabie Saoudite ; dans le centre du pays,
prolifération des cellules d’Al Qaida. Ce qui rend problématique une solution
durable, en dépit des efforts de la classe politique de Sanaa pour trouver un
successeur à Ali Abdallah Saleh.
- Le cas le plus complexe,
c’est évidemment la Syrie. A la différence de la Libye de Kadhafi, le régime
d’Assad dispose du soutien de trois autres puissances régionales : l’Iran,
une partie de l’Irak, et le Hezbollah libanais. Mais l’opposition syrienne
dispose elle aussi de soutiens extérieurs, si bien que le régime ne parvient
plus à la dompter. Une sorte de « statu quo violent » s’est
donc installé, avec pour corollaire un nombre croissant de victimes civiles.
Une intervention occidentale est impossible sans un soutien américain, ce qui
la rend hautement improbable, sauf cataclysme, avant novembre, les Etats-Unis
étant bridés, jusque là, par l’élection présidentielle. Mais là encore, la
question se répète ; si Assad tombe, qui le remplacera ? Les
islamistes, comme c’est le cas presque partout ailleurs ? Le chaos,
comme en Libye ?
La crise peut-elle atteindre d'autres pays du Moyen-Orient ?
La crise couve dans l’ensemble
de la région. Nous assisterons vraisemblablement à de graves difficultés au
Liban et en Irak, par porosité avec la Syrie. La Jordanie verra une montée des
islamistes, l’Algérie sera confrontée à nouvelle vague islamiste, mais aussi au
séparatisme kabyle. Les salafistes se renforcent déjà au Mali ; leur
influence va s’étendre en Mauritanie, au Niger et bien sûr au Nigeria. Le
Soudan fait face à de nouveaux soulèvements non arabes, aussi bien au Darfour
qu’en Nubie ou dans les tribus Bejas, à l’est du pays.
L’opposition libérale peut se
manifester à nouveau en Iran, et toucher les minorités ethniques.
Les pays occidentaux
ont-ils encore un rôle à jouer dans cette région du monde ?
Incontestablement. Dans le
monde arabo-islamique, l’Occident reste en fait la référence absolue :
l’exemple même d’une société libre, pacifique, développée, puissante. Mais les
Occidentaux ne s’en rendent pas compte, ou ne veulent pas s’en rendre compte.
Une sorte de tropisme les
conduit à soutenir systématiquement les régimes les plus archaïques, les moins
démocratiques, les plus anti-occidentaux, qu’il s’agisse de monarchies, de
théocraties ou de dictatures, puis, quand ceux-ci s’effondrent – et ils
s’effondrent tous, un jour ou l’autre – à se tourner vers les révolutionnaires
les plus extrémistes.
Un exemple accablant de ce
comportement a été fourni par Barack Obama, qui est allé prononcer au Caire un
discours d’une invraisemblable servilité à l’égard de l’islamisme en juin 2009,
au moment même où la société civile iranienne tout entière se révoltait contre
la dictature des mollahs (2).
Notes de www.nuitdorient.com
(1) Les élections législatives de juin 2012 n'ont pas donné la victoire aux islamistes ni de majorité aux forces libérales menées par Mahmoud Djibril 1er ministre intérimaire. Selon les résultats officiels, la large coalition menée par l’ancien 1er ministre arrive en tête avec 39 des 80 sièges attribués au scrutin de liste le 7 juillet. L’aile politique des Frères Musulmans, le Parti de la Justice et de la Reconstruction, a obtenu 17 sièges. L’Assemblée libyenne compte 200 sièges, et les 120 places restantes sont attribuées à des candidats indépendants élus au scrutin uninominal.
A ce jour on ignore qui dominera vraiment la nouvelle assemblée, tout reposant désormais sur le jeu des alliances et la rédaction d'une nouvelle constitution. Ceci malgré les cris prématurés de victoire d'un des instigateurs de la guerre de libération, Bernard Henri Lévy
(2) B H Obama a exigé que 10
représentants de la confrérie des Frères Musulmans soit présents, au 1er
rang, lors de son discours mémorable à l'université islamique d'al Azhar, où il
a valorisé l'Islam d'une manière exagérée, souvent citant des réalisations ou
des faits imaginaires. Le président Moubarak a décliné l'invitation et son
absence fut remarquée et abondamment commentée. Il faut savoir que, comme ses
prédécesseurs, Moubarak a tenu à distance l'organisation des Frères Musulmans
considérée comme dangereuse, et l'avait interdite.