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Qu'est-ce qui Différencie le Qatar de l'Arabie
Saoudite?
Par Ariane Bonzon
26/9/13
Déserts et pétrole ou bien encore émirs, keffieh et courses
de faucons: vus de loin, l'Arabie saoudite et le Qatar ont bien des points
communs qui sont autant de clichés. Car, non seulement les différences existent,
mais ce sont parfois de profondes divergences qui opposent ces deux royaumes,
en particulier sur la scène régionale comme on l'a très nettement vu, ces
derniers mois, en Egypte.
Or différences –et ressemblances– ne sont pas toujours celles que l'on croit.
1. Deux monarchies sunnites, deux
régimes religieux, deux rentes pétrolières: le Qatar et l’Arabie saoudite c'est
du pareil au même.
FAUX | Taille, population,
idéologie et politique sociale: les deux pays sont très différents. Le Qatar
est à peine plus grand que la Corse et moins peuplé que Paris (1,87 million
d'habitants). L’Arabie saoudite, deuxième plus grand des pays arabes après
l'Algérie, fait près de quatre fois la taille de la France. Sa population est
de plus de 28 millions d’habitants. L’Arabie saoudite se revendique comme Etat
islamique, elle se fonde sur une supposée légitimité religieuse (la dynastie wahabite des al-Saoud qui lui
donne son nom), ce qui n’est pas le cas du Qatar.
Certes, comme le note Madawi
al-Rasheed, professeur à la London School of Economics and Political Science, «ces deux pays sont autoritaires et ne
pratiquent aucune sorte de représentation politique». Pour autant, «la
redistribution de la manne pétrolière est meilleure au Qatar, où on y achète
mieux l’allégeance de la population qui y est choyée par les autorités les plus
riches de la planète. L’Arabie saoudite est moins prospère, il y a plus de
revendications, et plus de risques de mobilisations sociales», analyse Nabil Ennasri, chercheur français auteur de L'énigme du Qatar
(éditions Iris, 2013).
2. En Egypte, l’Arabie saoudite soutient l’armée et
les salafistes, tandis que le Qatar soutient les
Frères musulmans.
VRAI | Depuis le début, l’Arabie
saoudite veut mettre un terme à l’expérience des Frères musulmans, «c’est
pourquoi elle a tout à la fois soutenu le général Abdel Fattah
al-Sissi, chef de l’armée égyptienne et les salafistes
d’al-Nour», nous explique Madawi
al-Rasheed. En revanche le Qatar reçoit le coup
d’Etat militaire, la destitution de Mohammed Morsi et
la répression à l’égard des Frères musulmans comme une énorme gifle. «A
l’inverse de l’Arabie saoudite, le Qatar insiste sur le fait que Morsi a été mis en place par le peuple, sur sa légalité
démocratique; voilà le cœur de l’argumentation du Qatar contre l’Arabie
saoudite», analyse Nabil Ennasri.
La pierre d’achoppement entre l’Arabie saoudite et les Frères musulmans, c’est
l’interprétation de l’islam faite par ces derniers. «Le pire scénario pour
Riyad c’est que les printemps arabes réussissent, avec une démocratie
authentique et des gouvernements stables, ce qui voudrait dire que la
révolution est possible et que les monarchies des Emirats ne seraient plus à
l’abri», analyse Nabil Ennasri. Dès le départ de Moubarak,
les Emirats, Arabie saoudite en tête, ont soutenu financièrement et
politiquement les partisans de l’ancien régime; ils ont accordé l’asile aux
hauts responsables de Moubarak.
«Tandis que l'émir du Qatar a une approche plus ouverte de l'islam et moins
rigoriste que celle qui domine en Arabie saoudite. Ce clivage explique aussi le
rapprochement de Doha avec les Frères musulmans car il porte en germe l'idée de
l'émergence d'un islam alternatif à l'islam salafi
saoudien», poursuit ce chercheur français.
A la victoire des «Frères», le Qatar a espéré pouvoir modifier le jeu des
alliances dans le Golfe. Il a cherché à renforcer sa position isolée au sein de
la Ligue arabe en misant sur une alliance tripartite avec l’Egypte de Mohamed Morsi ainsi qu’avec ce second «poids lourd» régional qu'est
la Turquie de Recep Tayyip Erdogan. Mais à la suite du coup d’Etat égyptien, le nouvel
émir Cheikh Tamin paraît prendre quelque distance
avec les Frères musulmans.
Cette différence d’approche de la crise égyptienne et cette rivalité se sont
retrouvées dans le traitement de l’information qu’ont fait Al-Jazeera (pour le Qatar) et Al Arabiya
(Emirats Arabes Unis) des manifestations et du coup militaire égyptien.
L’Arabie saoudite a clairement annoncé qu’elle était prête à financer le
nouveau pouvoir égyptien damant ainsi le pion aux Etats-Unis. Madawi al-Rasheed s’interroge:
«Comment le Qatar va-t-il réagir pour récupérer son influence? Car ce qui
compte pour lui, c’est de garder une position indépendante des autres pays du
Golfe.»
3. Doha et Riyad sont unis contre le régime alaouite
syrien, contre l'Iran et contre les chiites en général.
VRAI & FAUX | Il y a eu
un rapprochement effectif, une Union sacrée entre le Qatar et l'Arabie saoudite
pour aider Bahrein lorsqu’en 2011 cet émirat a maté
un important mouvement de contestation populaire et réprimé ses chiites.
Idem contre l’Iran, dont la politique d'armement nucléaire et l'influence
régionale inquiètent beaucoup les pays sunnites. Et puis dans le Golfe
persique, le Qatar et l'Iran se disputent le plus grand champ gazier du monde.
Mais, Madawi Al-Rasheed
nuance:
«Le Qatar ne s’est pas aussi nettement opposé à Téhéran que ne l'a fait
l'Arabie saoudite. Ses relations avec Mahmoud Ahmadinejad
ont même connu une amélioration.»
A peine élu, Rohani a cependant fait savoir qu'il
espérait une amélioration des relations avec l'Arabie saoudite, laquelle lui a
tendu la main avec une invitation à faire le pélerinage
à la Mecque (en
En Syrie en revanche, la lutte d'influence est de plus en plus visible entre un
axe Qatar-Turquie et un autre constitué par l'Arabie saoudite, parfois plus en
phase avec les Etats-Unis. Qatar et Turquie sont unis par un intérêt commun: si
le régime de Bachar el-Assad
se maintient, Doha et Ankara devront mettre une croix définitive sur leur
projet de gazoduc terrestre acheminant le gaz qatari par la Syrie et la Turquie
vers l'Europe.
Le Qatar arme la rebellion, en priorité les
combattants proches des Frères musulmans. «Durant un temps, nous précise le
chercheur et consultant Frantz Glasman, le Qatar
était toutefois soupçonné de livrer des armes aux membres du FILS (Liwa al-Islam, Liwa Tawhid, Suqqur al-Sham) et au Harakka Ahrar al-Sham al-Islamyya, groupe islamiste ne prônant pas un djihad
global.» Il n'est pas clairement établi si la Turquie finance aussi des armes
pour la rébellion –ce dont l'accusent l'opposition et les Kurdes syriens– mais
elle sert de zone de transit, ce qui est stratégiquement considérable.
Les Saoudiens cherchent autant que possible à éviter d'armer des groupes
islamistes proches des Frères musulmans, lesquels font parfois partie du
Conseil militaire suprême (CMS) de l'Armée syrienne libre (ALS). Pour ce faire,
Riyad mise sur Selim Idriss, brigadier général syrien, chef d'état-major du
CMS. A charge pour ce dernier de distribuer les armes saoudiennes en priorité à
des petites unités militaires indépendantes et ne faisant partie d'aucune
coalition rebelle hors CMS.
«Récemment, les livraisons saoudiennes se seraient accélérées pour plusieurs
groupes, indique Frantz Glasman, signalant la
détermination du royaume wahhabite à imposer sa marque sur le conflit.» Le
Front de l'Authenticité et du Développement –coalition qui comprend tant des salafistes que d'anciens militaires ayant fait défection–
prend depuis quelques mois une certaine ampleur et se démarque par son absence
de projet politique clairement établi. «Or ses récents succès militaires
seraient notamment dûs à des livraisons de missiles
antichars en provenance de Riyad», poursuit Frantz Glasman.
A ne pas négliger non plus: l'importance des acteurs privés dans le financement
de la rébellion. Au Koweit, des personnalités
religieuses font régulièrement et publiquement des appels aux dons. «Elles
distribuent ensuite l'argent recueilli –dont les sommes sont loin d'être
négligeables– à divers groupes, parfois djihadistes (Ahrar al-Sham mais encore Jabhat al-Nusra)», note ce
consultant. Résultat:
«Cela permet à de nombreux Saoudiens de financer les activités de groupes que
leur "gouvernement" refuse d'aider en raison de leurs orientations
politico-religieuses.»
Autre distinguo: le Qatar a poussé à la formation d'un gouvernement intérimaire
pour gouverner les zones libérées. Ce que ne souhaitent pas vraiment l'Arabie
saoudite et les Etats-Unis qui pensent qu'il faut essayer de négocier avec le
régime au risque, sinon, d'un effondrement de l'Etat syrien. Bachar el-Assad resterait donc un
interlocuteur possible à leurs yeux, ce qu'excluent la Turquie et le Qatar.
Cet été, l'Arabie saoudite semble avoir pris la main en Syrie puisque c'est son
poulain, Ahmed Assi Jarba, et non Mustafa al-Sabbagh, celui du Qatar, qui a été élu à la Présidence de
la coalition nationale des forces de l'opposition et de la révolution (CNFOR).
Mais les deux pays soutiennent d'éventuelles frappes occidentales. Dimanche 1er
septembre
4. Cette rivalité entre Qatar et Arabie saoudite est
récente.
FAUX | Elle remonte à une
vingtaine d’années, lorsque le Qatar a commencé à vouloir exister au niveau régional.
L’émir, Cheikh Hamad ben Khalifa al-Thani, arrivé au
pouvoir à la faveur d’un coup d’Etat en juin 1995, décide, au moment même où il
destitue son père, de «changer radicalement le destin du pays. Le Qatar passe
du statut de pétromonarchie insignifiante à celui d’acteur influent de la scène
internationale», raconte Nabil Ennasri.
C’est une atteinte à l’hégémonie de l’Arabie saoudite qui domine le Conseil de
coopération du Golfe, créé en 1981, dans lequel siège cependant aussi le Qatar.
En 1996, l’émir du petit émirat échappe à un attentat sans que l’on puisse
confirmer que c'est son rival saoudien qui l’a fomenté.
Le Qatar va indirectement bénéficier du 11 septembre 2001, car, à la suite des
attentats du World Trade Center, les Etats-Unis veulent prendre quelque
distance avec l’Arabie saoudite d’où est originaire Ben Laden, et déplacent le
Quartier général du Commandement central américain (CENTCOM) au Qatar.
A partir de 2008, la situation entre les deux pays devient tendue. Le Qatar
fait preuve d’indépendance par rapport à l’Arabie saoudite et aux autres pays
du Golfe (Bahreïn, Oman...). En 2006-2007, les deux pays s’opposent sur le
Liban; puis en 2009 sur le Yémen et enfin en 2011 sur l’Egypte. A chaque fois,
l’Arabie saoudite joue plutôt la carte de la radicalisation sunnite, voire salafiste lorsque le Qatar soutient, lui, le courant des
Frères musulmans. Car Riyad a un lourd contentieux avec les Frères musulmans,
«des opportunistes, pas fiables et sans loyauté» depuis qu’ils ont soutenu
Saddam Hussein lorsque ce dernier a envahi le Koweit
en 1990.
Résultat: il n'est pas exagéré de parler aujourd'hui de
véritable «guerre froide», entre le Qatar et l'Arabie saoudite, selon Nabil Ennasri (qui tient le blog Observatoire du Qatar) tant les
contentieux se sont accumulés depuis vingt ans et la rivalité d'influence est
aiguë.
Une guerre froide aux pays des déserts et du pétrole.