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L'ARABIE SAOUDITE, ROYAUME DE TOUS LES DANGERS

Fondamentalisme, terrorisme, économie en déclin, féodalité, wahabisme, salafisme 

Article par Marc Epstein, avec Dominique Lagarde et Olivier Fiani

Paru dans l'Express du 13/02/2003

 

Deux Saoudiens sur trois ont moins de 25 ans. Victimes du chômage et d'un système éducatif inadapté, certains se laissent tenter par l'extrémisme religieux. Pour la monarchie au pouvoir, le temps presse.

 

Chaque soir ou presque, au cœur de Riyad, la capitale de l'Arabie saoudite, des jeunes gens au volant de grosses cylindrées jouent avec les nerfs des autres automobilistes. Le long de la rue Al-Olaya, souvent entassés à quatre ou cinq dans leur bolide, ils se faufilent au milieu de la circulation, où ils alternent coups de frein brusques et accélérations soudaines. Aux carrefours, certains immobilisent leur voiture et font hurler le moteur sans lâcher le frein à main. Cela ne dure pas: le temps que des hommes en uniforme accourent sur place, les jeunes ont déjà disparu. Il n'empêche. Dans un pays qui a toujours cultivé une image de stabilité et d'harmonie, l'ambiance rappelle les vieux films de James Dean et des longs-métrages anglais des années 1960, à l'époque des «jeunes hommes en colère». Dans ces moments-là, la jeunesse saoudienne semble en proie à un mélange d'ennui, de désarroi et de violence rentrée. Mélange dangereux.

 

Le pétro fondamentalisme

 

Comme il a changé, le royaume des Al-Saoud... Dans les années 1970, à l'époque du premier choc pétrolier et de l'argent facile, de nombreux Occidentaux imaginaient les Saoudiens au volant d'une Rolls-Royce plaquée or, quittant de temps à autre leurs palais immenses pour les palaces de la Côte d'Azur ou les grands magasins de Londres. Depuis, les attentats du 11 septembre 2001 ont bouleversé l'image du pays et de ses habitants - vue des Etats-Unis, en particulier. Pas moins de 15 Saoudiens figuraient parmi les 19 pirates de l'air. Tous avaient moins de 30 ans.

A Riyad, le gouvernement tente de relativiser: «3 terroristes sur 4 dans le monde ne sont pas saoudiens! s'exclame Ali Al-Hakami, ministre adjoint chargé de la Réforme de l'enseignement. Si autant de mes compatriotes ont participé aux attentats, c'est parce que Ben Laden l'a voulu ainsi. Son casting est destiné à embarrasser l'Arabie saoudite face aux Etats-Unis.» Certes. Mais dans quelles conditions ces jeunes ont-ils été recrutés? A l'exception de deux, tous étaient étrangers aux groupes islamistes extrémistes. Ils ont été choisis deux ans avant l'opération, semble-t-il, par des recruteurs d'Al-Qaeda. A y regarder de plus près, leur parcours s'explique autant par le fondamentalisme religieux que par un profond malaise social.

 

La majorité était originaire d'une province déshéritée, l'Asir, dans le sud-ouest du pays. Avant de rejoindre Al-Qaeda, beaucoup étaient au chômage. D'autres occupaient des petits boulots, que leurs compatriotes jugent humiliants. Hamza Al-Ghamdi, par exemple, détourna l'avion qui heurta la tour sud du World Trade Center; jusqu'à l'automne 2000, il travaillait dans l'arrière-boutique d'une quincaillerie. Hani Hajour, lui, était aux commandes de l'appareil qui s'est écrasé sur le Pentagone; âgé de 29 ans, il rêvait de voler pour la compagnie nationale Saudia. Malgré sa licence de pilote de ligne obtenue en 1999 aux Etats-Unis, il n'a pas réussi à décrocher un job.

 

Les auteurs des attentats du 11 septembre ne sont pas des cas isolés. Des centaines de Saoudiens se sont battus, en Afghanistan, aux côtés des taliban. Et plus d'un tiers des prisonniers islamistes détenus dans le camp américain de Guantanamo Bay, à Cuba, sont d'origine saoudienne. Si les liens entre Al-Qaeda et l'Irak semblent difficiles à démontrer, ceux unissant l'organisation d'Oussama ben Laden à des pans entiers de la société saoudienne ne font guère de doute. Des milliards de dollars venus du royaume ont alimenté des groupes armés - dans les territoires palestiniens ou en Tchétchénie, en particulier. D'autres fonds ont permis la création d'innombrables institutions religieuses fondamentalistes, telles ces écoles coraniques du Pakistan d'où sont issus les taliban.


Un niveau de vie en déclin

 

Pour les Etats-Unis, le royaume constitue l'allié le plus ancien dans le monde arabe: les liens de coopération entre les deux pays remontent à près de soixante ans. Depuis la guerre du Golfe, toutefois, soit une douzaine d'années, l'image de l'Arabie saoudite, vue d'outre-Atlantique, se transforme et s'entache presque insensiblement, à la manière du portrait de Dorian Gray dans le roman d'Oscar Wilde. Au point que, à lire certains éditorialistes américains, Washington s'interroge à présent sur la fiabilité du régime de Riyad.

 

Personne ne remet en question la fidélité des Al-Saoud. Mais certains, aux Etats-Unis, s'effraient de l'ampleur des défis auxquels la monarchie est maintenant confrontée. Victime de la chute des cours de l'or noir, l'économie stagne. Le niveau de vie décline sans cesse depuis le début des années 1980, au point que le PIB annuel par habitant avoisine désormais celui de la Hongrie. Entre-temps, la population a doublé: parmi les 16 millions de Saoudiens (auxquels s'ajoutent 6 millions de travailleurs immigrés), près de 2 sur 3 ont moins de 25 ans. Le taux de fécondité - 3,7% - est l'un des plus élevés au monde. Le peuple d'Arabie saoudite, au fond, ce sont les jeunes. Et ils vont mal. Parmi les 200 000 qui rejoignent chaque année le marché du travail, moins de 1 sur 2 trouve un emploi. Entre 8 et 30% de la population active serait au chômage, selon des statistiques aussi peu fiables les unes que les autres.

 

Dans ce pays à la population rajeunie et appauvrie, où les partisans du jihad semblent de plus en plus nombreux, la famille régnante finit par apparaître comme l'une des dernières institutions pro-occidentales qui restent. Pas étonnant, dans ces conditions, que Washington souhaite intervenir au plus tôt dans l'Irak voisin: du point de vue américain, il est urgent de «reprendre la main» dans la région du Golfe. Et de sécuriser, autant que faire se peut, l'approvisionnement pétrolier de l'Occident. «Si des élections libres étaient organisées demain et que nous avions le choix entre les princes au pouvoir et Ben Laden, bien sûr que je voterais pour Oussama!» s'enflamme un étudiant de l'université de Riyad.

 

«Chaque jour, je passe devant le chantier d'un palais que vos ingénieurs français construisent pour un membre de la famille Al-Saoud»

 

Tout contribue, ces temps-ci, à alimenter la colère des jeunes: les attentats du 11 septembre, l'intervention américaine en Afghanistan, l'Intifada palestinienne, les massacres en Tchétchénie, les menaces de guerre en Irak, mais aussi l'augmentation continue du chômage et le népotisme des princes de la famille royale. «Chaque jour, raconte une employée de la capitale, je passe en voiture devant le chantier d'un palais que vos ingénieurs français construisent pour un membre de la famille Al-Saoud. Les travaux n'en finissent plus. Cela coûtera des milliards. D'où ma colère quand, le soir, à la télévision, le gouvernement invite chacun à se serrer la ceinture.»

 

Partout, les anecdotes traduisent la fin de l'âge d'or. Untel n'a pas changé de voiture depuis des années. Tel autre n'a plus les moyens de voyager à l'étranger. Et ce dernier, murmure-t-on, ne mangerait plus de viande que deux fois par semaine. Même dans les quartiers les plus réputés de la capitale, des braderies sont apparues, au nom révélateur de Tout pour 2 rials (soit 0,50 euro). D'autres secteurs, réservés autrefois aux malheureux immigrés du Sud-Est asiatique, accueillent désormais des Saoudiens sans le sou. Le long des ruelles poussiéreuses de Manfoha, par exemple, dans le sud de la capitale, les maisons en torchis abritent des familles entières de chômeurs. «Parfois, raconte un habitant, l'eau est coupée huit jours de suite.» Le prince héritier, Abdallah, s'est rendu récemment dans l'un de ces quartiers afin de marquer la reconnaissance officielle du problème. Autre signe inquiétant, la petite criminalité, autrefois impensable, a fait son apparition. A Riyad, un restaurant McDonald's a été victime d'un braquage. Les téléphones portables disparaissent. Et une série d'attentats inexpliqués contre des résidents expatriés attise toutes les craintes...


La nouvelle donne

 

«Je cherche un boulot depuis des mois», soupire un ancien étudiant de 27 ans. Avec son diplôme de droit, il ne trouve rien d'intéressant. «Tant que je serai chômeur, reprend-il, je ne peux pas espérer me marier. Et, même si une fille voulait m'épouser, il faudrait trouver un logement.» Les prix de l'immobilier ont flambé.

 

Autrefois, la distribution des subsides nourrissait le consensus entre la famille régnante et la population: la rente pétrolière était redistribuée grâce au clientélisme ou par la création d'emplois - fictifs, au besoin - dans la fonction publique. La grogne, quand elle s'exprimait, venait de quelques libéraux formés dans des universités occidentales. Sans remettre en cause la légitimité de la monarchie, ils réclamaient mezza voce davantage de libertés et moins de puritanisme. A l'époque, ces contestataires étaient d'autant moins dangereux pour le régime que l'argent coulait à flots.

 

Depuis une quinzaine d'années, en revanche, la donne a changé. Outre le ralentissement de l'économie, la guerre du Golfe et la présence persistante de 6 000 soldats américains sur le territoire ont enflammé les passions. Plus que des cercles occidentalisés, ce sont des groupes salafistes ultrareligieux que viennent les pressions les plus fortes. Leurs affiches et leurs tracts sont omniprésents dans les campus. Le 20 septembre 2002, plusieurs centaines d'extrémistes conservateurs ont hué et bombardé de tomates le ministre de la Défense, le prince Sultan, lors de son passage à Bureïda, un haut lieu des imams intégristes, au cœur du désert du Nedjd.

«D'ici quelques années, si nous ne parvenons pas à créer des emplois par millions, nous serons confrontés à une grave crise politique»

 

Certes, l'Arabie saoudite n'est pas le Pakistan ni l'Egypte. Forte des recettes de l'or noir et de l'appui militaire américain, sans oublier l'omniprésence de ses propres services de renseignement, la famille royale semble solidement installée au pouvoir. Elle peut entretenir à grands frais un Etat providence, gage de survie politique, qui permet aux Saoudiens de ne pas verser un centime d'impôt et qui leur assure, pour le moment, de généreuses subventions. Mais le temps presse, reconnaît en privé un ministre: «Aujourd'hui, la situation sociale des jeunes est un problème d'ordre économique. D'ici quelques années, en revanche, si nous ne parvenons pas à créer des emplois par millions, nous serons confrontés à une grave crise politique.»

 

En attendant, les réformistes se réjouissent des effets du progrès technologique, qui a permis de délier les langues. Avec la généralisation de la télévision par satellite, les habitants délaissent leurs chaînes nationales, dont les qualités somnifères font l'objet de nombreuses plaisanteries. Outre la chaîne Al-Jazira, qui dénonce chaque jour la répression israélienne dans les territoires palestiniens et l'indifférence apparente de Washington, les Saoudiens apprécient les émissions légères, où les téléspectateurs sont invités à téléphoner pour faire part de leurs soucis à l'antenne. A ses débuts, par exemple, la chaîne Al-Mustaqilla, diffusée à partir de Londres et proche de l'opposition tunisienne, relayait l'angoisse de nombreux jeunes face à la détérioration de l'économie. Soudain, leur mécontentement est devenu audible.

 

A présent, une radio islamiste d'opposition diffusée par satellite accueille les mécontents: «Les gens s'expriment sur tous les sujets, raconte un auditeur régulier. C'est souvent débile et généralement partial. Mais ça fait du bien!» Même les journaux locaux, encouragés par la famille royale, s'attaquent à des sujets restés longtemps tabous: la pauvreté, le chômage, la drogue, le sida ou encore le divorce.

A leur manière, les téléphones portables contribuent eux aussi à libérer la parole. Parfois, les appareils servent de relais à des textes en forme de blague: «Pourquoi les femmes irakiennes portent-elles des ceintures de chasteté? - Parce que les soldats américains ont annoncé qu'ils viseraient les sites stratégiques.» Surtout, puisque la police religieuse interdit aux personnes des deux sexes de marcher ensemble dans la rue à moins d'être mari et femme, les téléphones sont devenus des instruments indispensables à la drague. «Il y a quelques années, confie une mère de famille, on ne voyait jamais le moindre célibataire dans un supermarché. A présent, j'en vois toujours deux ou trois, qui marchent entre les rayons, pendus à leur téléphone.» Le secret de ce mystère? Ils discutent avec la fille de leurs rêves, couverte des pieds à la tête, comme l'exige la loi, et qui fait ses courses un peu plus loin. «Je connais un couple qui s'est marié récemment, raconte un adolescent. Ils se sont parlé pendant quatre ans au téléphone avant de se décider!» Le réseau Internet, aussi, permet aux jeunes de dialoguer: «Je joue du piano devant une caméra et je diffuse les images sur le Net, raconte un employé de banque. Ça fait craquer les filles!»

 

Tout cela peut paraître frivole, mais la société saoudienne, héritière des traditions bédouines, cultive volontiers le secret et le repli sur soi, dans un cadre familial ou tribal. Issus de la mondialisation, les nouveaux moyens de communication pénètrent désormais la vie quotidienne et contribuent à l'émergence d'un embryon de société civile. Car les échanges ne se bornent pas aux rendez-vous galants.

 

Derrière la vitrine d'un café Internet, Mohammed commande un cappuccino et s'installe devant un ordinateur. Il montre l'écran du doigt: «Tu vois, c'est un site ouvert aux Saoudiens. Ici, par exemple, il est question de sport. Là, les gens écrivent sur l'actualité internationale. Et ça, c'est le forum politique.» Il clique. Un message apparaît à l'écran: «Vous avez sélectionné une page bloquée.» Le régime saoudien censure Internet. Officiellement, l'objectif serait d'interdire l'accès aux images pornographiques, aux jeux de hasard et à tout ce qui serait contraire à l'islam. Mais les articles critiques envers le gouvernement de Riyad tombent aussi, semble-t-il, dans cette catégorie. Cela ne soucie guère Mohammed, qui tape deux ou trois codes sur le clavier. En quelques secondes, le voici sur la page du «forum politique», théoriquement inaccessible.


Colère contre les Etats-Unis

 

De quoi parlent-ils donc, les Saoudiens, quand ils discutent en toute liberté, dans l'anonymat du cyberespace? Un participant déclare que les femmes ne sont pas obligées de se voiler et il cite un passage du Coran pour appuyer son argumentation. Un autre commente un rapport sur la situation des droits de l'homme dans le royaume, diffusé par une organisation américaine. La plupart hurlent leur colère contre les Etats-Unis et le gouvernement de Riyad, jugé coupable de céder aux caprices de Washington. «J'aimerais être un Nord-Coréen, écrit un adolescent. Eux, au moins, ils résistent avec dignité à l'aigle impérialiste.» Sa conclusion est sans appel: à l'image du régime de Pyongyang, l'Arabie saoudite devrait se doter de l'arme nucléaire. «J'ai parlé au téléphone avec un moudjahid resté en Afghanistan, prétend un admirateur d'Al-Qaeda. Il m'a assuré qu'un nouvel attentat était imminent.» Un autre internaute évoque les investissements d'un prince de la famille royale en Russie. «Pourquoi envoie-t-il son argent là-bas? Les hommes d'affaires devraient rester ici, dans notre pays.»

 

Le gérant du café Internet éclate de rire: «La plupart des clients discutent avec des filles, par ordinateurs interposés. Mais beaucoup visitent également les sites de discussion politique. C'est le seul endroit où ils peuvent exprimer leur colère contre le gouvernement.» Un rapide coup d'œil alentour, et il sourit de plus belle: «D'ailleurs, j'y vais régulièrement aussi!»

 

Il y a trente-cinq ans, la péninsule n'avait guère changé depuis l'époque de Mahomet (l'esclavage n'a été banni qu'en 1962). Le pays était privé des infrastructures les plus élémentaires: réseau routier, eau courante, électricité. Aujourd'hui, les religieux interdisent toujours cinémas et discothèques. La moindre photo d'une épaule féminine publiée dans un journal étranger est raturée par des centaines de fonctionnaires chargés de la censure. Mais plus de 80% de la population habite en ville et tout le monde peut regarder à la télévision les derniers clips de Britney Spears. Reste que le pays est le berceau de l'islam; la religion fait partie intégrante de l'identité nationale.

 

En 1991, le maintien des troupes américaines sur le territoire est négocié en échange d'un renforcement de la rigueur islamique

 

Ce poids du religieux limite la marge de manœuvre du pouvoir. Historiquement, en effet, la monarchie saoudienne repose sur une alliance entre le sabre et le Coran. En conséquence, le souverain associe les oulémas aux décisions importantes afin d'obtenir leur caution, quitte à multiplier les concessions. En 1948, par exemple, seize ans après la création du pays, les imams acceptent l'introduction de la radio à condition que la station nationale diffuse des versets du Livre saint. Plus tard, le téléphone et la télévision font l'objet d'âpres marchandages. En 1991, au lendemain de la guerre du Golfe, le maintien des troupes américaines sur le territoire est négocié en échange d'un renforcement de la rigueur islamique dans les écoles du royaume. Les effets ne tardent pas à se faire sentir: «Moi qui ai 50 ans, soupire un banquier, mes petits-enfants cherchent à m'expliquer comment je dois me comporter dans la vie quotidienne - ce qui est autorisé et ce qui ne l'est pas. A l'école, ils dessinent des poissons ou des canards, puis ils rayent leurs yeux au crayon feutre d'une barre noire, sous prétexte qu'il ne faut pas représenter des êtres vivants. Quand j'étais petit, personne ne m'a jamais appris des choses pareilles!»

 

De la maternelle à l'université, les programmes d'enseignement sont aux mains de religieux doctrinaires. Outre le contenu des cours, souvent contestable, les méthodes pédagogiques découragent la reflexion individuelle et le développement de l'esprit critique. Un tel système est incapable de former les chercheurs, les ingénieurs et les cadres dont l'économie saoudienne aurait besoin. «Ma mère a beaucoup ri en découvrant mes livres d'histoire, confie un lycéen de 17 ans. Pas une ligne n'a été modifiée depuis son époque.»

Encouragé par les Etats-Unis, le gouvernement cherche à réformer le secteur éducatif, qui, s'il n'est pas repensé de fond en comble, continuera de produire des générations de chômeurs. Mais la tâche est délicate. Car la moindre initiative dans ce domaine est perçue comme un exemple de reculade face à l'impérialisme culturel américain et vouée, de ce fait, à l'échec. Toutefois, il y a urgence, souligne un économiste: «L'Arabie est dans une situation comparable à la Chine après la mort de Mao. Soit nous maintenons le statu quo et nos jeunes resteront inadaptés aux besoins de la société contemporaine; dans cette hypothèse, portés par la manne pétrolière, nous sombrerons doucement dans le déclin. Soit nous épousons la modernité et nous rendons aux jeunes des raisons d'espérer. Pour cela, une refonte du système éducatif est indispensable.»


Infinie prudence

 

En attendant, l'Arabie saoudite est dans la situation bizarre d'un pays qui compte plusieurs millions de chômeurs tout en conservant 6 millions de travailleurs immigrés. Même les chefs d'entreprise saoudiens rechignent à embaucher leurs compatriotes: «Après quatre-vingt-neuf jours, soupire un patron de supermarché, il est pratiquement impossible de les licencier. Surtout, ils ne savent pas travailler. Un Pakistanais ou un Indien se présente à l'heure et saura prendre des initiatives. Un Saoudien, lui, sort de l'université en n'ayant rien appris. Au mieux, il peut vous répéter les leçons apprises par cœur.» Le remplacement annoncé des expatriés par des salariés natifs du pays s'annonce hasardeux.

 

Le contexte politique, malheureusement, n'est guère propice aux décisions radicales. A la suite de l'embolie cérébrale du roi Fahd, Abdallah, le prince héritier, est officiellement chargé de «gérer les affaires de l'Etat» depuis 1996. Réputé intègre et hostile aux fondamentalistes, partisan des réformes et d'une certaine ouverture, il agit, à 79 ans, avec une infinie prudence. On lui doit une réforme du système judiciaire et une modification des lois foncières. L'élection de l'Arabie saoudite à la commission des droits de l'homme des Nations unies serait un moyen, pour lui, de faire pression sur les conservateurs.

C'est sur les épaules de ce vieux monsieur austère et réservé que repose, dans une large mesure, le destin des jeunes Saoudiens. Lui-même en ferait, en privé, la première des ses priorités. Depuis le 11 septembre 2001, l'ensemble de l'Occident a intérêt à ce qu'il réussisse.