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Les Fous de Riyad et
de Téhéran
Par Anthony SAMRANI, journaliste
Orient le Jour 28/03/2015
"L'Orient compliqué" n'est plus.
Fini les alliances contre-nature et les luttes fratricides.
Fini les revendications sociales et les réalités géographiques.
Fini les communautés hétérogènes et les affiliations politiques.
Une seule chose compte désormais : faire partie du camp shiite ou bien faire partie du camp sunnite.
Peu importe après tout que la Turquie, le Qatar ou l'Arabie saoudite aient eu des stratégies politiques concurrentielles sur le théâtre égyptien.
Peu importe les liens entre la Turquie et l'Iran, et entre Islamabad et Téhéran.
Peu importe les dimensions locale, révolutionnaire et sociale dans les revendications des houthis (1).
Peu importe l'émergence au sein même du monde sunnite des jihadistes d'el-Qaëda et de l'État islamique (EI).
Peu importe que les Américains participent aux côtés des Iraniens aux combats contre l'EI à Tikrit tout en apportant un soutien logistique aux frappes de la coalition sunnite contre les houthis.
Peu importe les multiples contradictions dans la composition
de ces deux blocs communautaires.
Aux ambitions régionales de "l'arc shiite" répondent les missiles de
la coalition sunnite. Aux provocations verbales des dirigeants iraniens
répondent à l'unisson les voix de la fermeté sunnite.
Aux pasdaran déployés en Irak et en Syrie répondent les 150 000 soldats saoudiens mobilisés pour l'opération yéménite. À Kassem Souleimani répond Bendar ben Sultan. Œil pour œil. Dent pour dent.
En Syrie hier, comme au Yémen aujourd'hui, le Moyen-Orient est rattrapé par ses instincts sectaires.
Ou plutôt le Moyen-Orient est une nouvelle fois rattrapé par la démesure des
projets politiques des deux mastodontes qui se disputent l'hégémonie régionale
depuis 35 ans. Deux pays qui n'ont cessé d'allumer la poudrière communautaire
dans les différents théâtres locaux, en fonction de leurs intérêts propres.
Présenté comme une guerre sunnito-shiite, le conflit qui oppose l'Iran à
l'Arabie saoudite n'a pourtant rien de religieux. Ce ne sont pas les débats sur
l'interprétation du Coran ou bien sur l'existence ou non d'une autorité cléricale
dans l'islam qui divisent actuellement le Moyen-Orient. Ce sont, comme
toujours, les enjeux politiques et économiques qui prévalent, quitte à
complètement anschlusser et redéfinir de façon politique les notions de chiisme
et de sunnisme.
Aujourd'hui, l'Arabie saoudite et l'Iran ont tous deux réussi leur pari. En
imposant à toute la région une lecture binaire de chaque événement politique,
où chacun doit choisir son camp en fonction de son appartenance à une des deux
grandes branches de l'islam, ils ont réussi à utiliser, voire à figer, le
religieux au profit du politique.
Ils ont réussi à imposer, chacun de son côté, deux visions d'un islam politique conservateur. Et finalement, au gré de leurs efforts, ils ont réussi à étouffer les revendications politiques qu'avaient vu naître les printemps arabes. Mais si les deux puissances ont décidé de déplacer leur fou dans cette partie d'échecs sur le théâtre moyen-oriental, ils pourront bien tous les deux en payer les conséquences.
En continuant de donner l'impression de mettre en œuvre une stratégie d'expansion dans toute la région, les Iraniens ne rassurent pas les populations sunnites du monde arabe et ne se mettent pas dans les meilleures conditions pour négocier un accord sur le nucléaire avec les 5+1.
Plus les Iraniens joueront la carte communautaire, plus ils
seront perçus comme une puissance déstabilisatrice dans la région.
En choisissant d'attaquer frontalement les houthis au Yémen, l'Arabie saoudite
et ses alliés sunnites ont envoyé un message fort à la communauté
internationale et aux populations arabes : la
lutte contre le rival shiite est plus importante à leurs yeux que la lutte
contre les organisations jihadistes. Même si l'Iran et les houthis
combattent ces organisations sur le terrain, même si en stigmatisant les shiites
ils alimentent la rhétorique des organisations jihadistes, même si cet
extrémisme est probablement un danger bien plus menaçant pour l'ensemble du
monde sunnite que l'avancée des houthis au Yémen, la
coalition sunnite a privilégié les instincts sectaires sur la raison.
Et en attendant, ce sont tous les leaders autoritaires de la région qui doivent se frotter les mains. Tant que l'Iran et l'Arabie saoudite continuent de déplacer leur fou, ils ne sont pas près de quitter leur trône. Échec et mat.
Note de www.nuitdorient.com
(1) Les Houthis sont des shiites zaïdites qui avaient pendant mille ans un état autonome au nord du Yémen et au sud de l'Arabie. Jusqu'à la révolution civile nationaliste à dominante sunnite en 1962.
Les shiites représentent 15% de la population d'Arabie saoudite et 40% de la population yéménite.
Fondé en 1992, Ansaroulalh est un mouvement houthi politico-religieux qui avait pour but de réhabiliter les droits civiques des shiites au Yémen. Progressivement devant ses succès, il s'est emparé du pouvoir en occupant la capitale Sanaa et la côte, contrôlant le détroit de Bab el Mandeb, accès au canal de Suez. L'Egypte a réussi à entraîner l'Arabie à la reconquête des zones perdues au Yémen, par voie aérienne et maritime pour le moment. L'Egypte y joue la sécurité d'accès au Canal et l'Arabie joue sa haine de la shia'h, représentée par l'Iran qui tire les ficelles.