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AVEC DES AMIS COMME ÇA,

BUSH TRAHIT LES DEMOCRATES EGYPTIENS. ET POURQUOI?

 

Par Bret Stephens, journaliste membre de l'équipe éditoriale du Wall Street Journal, sa rubrique sort le mardi.

Article paru dans le site Opinion Journal du 4 juin 2006

Traduit par Albert Soued, pour www.nuitdorient.com

 

A Washington, le mois dernier, le Président Bush a rencontré l'héritier présumé du "trône égyptien", Gamal Moubarak, et en a profité pour envoyer ses vœux au père de Gamal, le président Hosni Moubarak. Le Comité des affectations des crédits de la Chambre des Représentants a décliné la proposition du représentant démocrate du Wisconsin, David Obey, de retenir une partie de l'aide annuelle de 1,7 milliard $ attribuée à l'Egypte.

La Secrétaire d'Etat Condoleeza Rice a mis en garde contre toute réduction de l'allocation qui risquerait de porter atteinte "au partenariat stratégique" avec ce pays, "pierre angulaire de la politique américaine au Moyen Orient".

De même, le mois dernier, des démocrates activistes tels que Ahmed Salah, 39 ans, du Mouvement Egyptien pour le Changement et des douzaines de ses camarades ont été battus, arrêtés et détenus, pour s'être réunis en public à plus de 5! La loi d'exception qui dure déjà depuis 25 ans vient d'être prorogée de nouveau. L'organe judiciaire, le seul qui ne soit pas tout à fait corrompu, est soumis à un assaut continu du pouvoir politique. Et Ayman Nour, l'homme politique libéral qui venait en 2ème position derrière Hosni Moubarak, aux élections présidentielles truquées de Septembre dernier, est jeté en prison et a perdu son dernier appel contre une sentence d'emprisonnement de 5 ans pour des accusations fallacieuses.

Il n'y a peut-être aucun rapport entre ces deux séries d'événements; il est possible que Mr Moubarak n'ait pas besoin de la tacite acceptation des Etats-Unis pour entreprendre une campagne de répression. Il y a peut-être des raisons plausibles qui expliquent que l'administration américaine évite d'embarrasser le régime égyptien. Mais quand vous parlez aux personnalités de l'opposition, vous percevez qu'elles se sentent trahies.

Peu d'Egyptiens ont senti la trahison américaine autant que Gamila Ismail, une journaliste en vue et la femme de Ayman Nour depuis 17 ans. Dans son discours de l'Etat d'Union en 2005, le président Bush avait fait une déclaration encourageante, parlant de l'Egypte "comme le pays montrant la voie de la paix au Moyen Orient" et l'appelant "à montrer la voie de la démocratie". Membre indépendant du Parlement, M Nour a entendu de la bouche de l'ex ambassadeur américain David Welch que "l'administration était très intéressée par toute réforme politique au Moyen Orient et soutenait tout appel à la démocratie", propos rapportés par Mme Ismail.

Mr Nour lançait alors un nouveau parti politique et un journal, appelés tous les deux "Ghad", ou "Demain". Il espérait attirer ainsi les jeunes électeurs, les libéraux, la classe moyenne, les coptes et les Chrétiens, les Musulmans modérés. "C'était un projet si clair, si brillant, si lumineux" dit Mme Ismail. "Nous avions tellement confiance dans l'avenir!" Mais cette confiance prit fin brutalement le 28/1/05, quand on a enlevé à M Nour son immunité parlementaire et qu'on l'a détenu pendant 43 jours sur de fausses allégations. Sous la pression américaine, l'histoire de sa libération, de sa candidature à la présidence et sa condamnation ultérieure sont des faits publics. Par contre on connaît moins la férocité du pouvoir à les discréditer, lui et sa femme, avec une persistance paranoïaque.

"14 agents de la sécurité sont arrivés chez nous un matin, fouillant tous les papiers, les livres, les CD, les vidéos, les objets de nos enfants; ils ont ouvert le coffre, scruté nos chéquiers, humé les cigares…; je leur ai demandé s'il y avait un quelconque rapport avec ce dont on accusait mon époux; en fait ils recherchaient des preuves pour asseoir leur accusation" se rappelle Mme Ismail.

A la fois mesquin et sérieux, ce harcèlement n'a pas cessé. En fait la Sécurité (moukhabarat) avait déjà infiltré le Ghad, formant une faction au sein du parti et une équipe alternative au journal. Demandez un exemplaire du journal à un kiosque, on vous demandera lequel, "celui de la Sécurité" ou "celui de Nour"? Les émissions télévisées de Mme Ismail ont été annulées, sous prétexte qu'elle aurait assailli un officier, agent de la sécurité.

D'après Mme Ismail, le responsable ne serait pas seulement le régime, mais Gamal Moubarak, qui souhaite se présenter comme le digne successeur de son père. "Ce qui a gêné Gamal, c'est que lui et Ayman Nour ont le même âge, mais Nour a déjà été élu au Parlement 2 fois, il prend le bus, le métro, il vit avec le peuple et ne clame pas seulement "ça suffit avec Moubarak", mais il offre une alternative, il se présente lui-même, (il n'attend pas que le pouvoir tombe tout cuit comme Gamal)" dit Mme Ismail.

C'est en partie la raison pour laquelle Mme Ismail est étonnée que Mr Bush reçoive si cordialement Gamal, alors qu'elle n'a jamais reçu le moindre signe de l'actuel ambassadeur américain. "Tout le monde se demande ce qu'il est allé faire aux Etats-Unis. Nous a-t-on vendu contre je ne sais quoi? Pourtant le régime n'est pas tendre à l'égard des Américains: n'appelle-t-on pas mon mari "Nour, l'espion des Etats-Unis, Nour, l'ami de Rice, Nour, le fils de Madeleine Albright"?"

La stratégie du régime est claire, détruire l'opposition libérale, comme celle de Ayman Nour, afin que Hosni Moubarak, et par la suite son fils, puisse se présenter aux Etats-Unis comme le seul rempart contre les Frères Musulmans (seule opposition organisée, mais souterraine, car interdite). Bien que cette organisation soit interdite officiellement, on ne doit pas s'étonner que n'importe qui, n'importe où n'ait aucune difficulté à trouver ses bureaux et à interviewer ses chefs. En fait, sous une animosité de façade, les deux camps s'entendent à merveille, ayant besoin l'un de l'autre, pour exclure toute voie moyenne décente.

En attendant, M Nour est à l'hôpital de la prison Tora du Caire, se remettant d'une grève de la faim de 25 jours. Mme Ismail dit qu'il est en forme et il est question d'une grâce présidentielle le 23 juillet, fête nationale. En fin de compte, cependant, Mme Ismail ne s'inquiète pas tellement pour son mari, car il connaît bien la législation, il a de l'expérience, on parle de lui et il paye le prix de la voie qu'il a choisie. "Je m'inquiète pour tous ses jeunes camarades, ces jeunes qui n'ont pas d'expérience et que personne ne connaît. Je me fais du mouron, car je ne sais ce qui leur arrive…" Et elle se tait…

 

Peut-être que la prochaine fois le président Bush pourra se passer de Gamal et mieux se familiariser avec ces jeunes démocrates. Car comme les électeurs républicains des Etats-Unis, ces démocrates égyptiens constituent la base de sa plateforme politique, et il risque de les perdre très rapidement.

 

Note du traducteur

Le régime de Moubarak est dictatorial et basé sur des services de sécurité omnipotents qui quadrillent le pays (moukhabarat). Cela n'a pas empêché les Frères Musulmans d'obtenir, 20% des sièges au Parlement égyptien, ses candidats se présentant sous diverses étiquettes anodines. Ce régime est l'héritier de celui institué par Nasser, qui avait des conseillers allemands, rescapés de la Gestapo et du régime nazi. Rappelons que ceux-ci ont utilisé des méthodes hélas déjà éprouvées auparavant, vis-à-vis de la population juive d'Egypte: exclusion des élèves juifs des écoles, des clubs sportifs et des institutions publiques, licenciement dans les administrations et les sociétés d'état et en 1956, expulsion de tous les juifs étrangers sous 48 heures.

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