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L'ÉVASION DE GAZA

 

Par Bret Stephens, journaliste

Paru au Wall Street Journal du 29/01/08

Traduit par Albert Soued, www.chez.com/soued/ pour www.nuitdorient.com

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Et si Gaza devait conquérir l'Egypte? Cette éventualité n'est pas aussi lointaine, si on jette un coup d'œil à une carte géographique. L'Egypte est peuplée 50 fois plus que cette ancienne colonie et a une surperficie 2800 fois plus vaste (1). Mais Gaza est un territoire souverain gouverné par le Hamas, le Hamas est la branche Palestinienne des Frères Musulmans d'Egypte, et l'Egypte – pas Israël – est le pays qui a le plus à craindre de ce minuscule état qui est à la fois le premier ancrage, le sanctuaire et le tremplin d'une révolution islamiste.

Il n'est donc pas étonnant que les libéraux égyptiens poussent un cri d'alarme presque hystérique devant la démolition la semaine dernière de la barrière séparant l'enclave de Gaza du Sinaï. La Confrérie des Frères Musulmans a organisé 70 manifestations à travers l'Egypte pour protester contre le blocus infligé par Israël à la bande de Gaza, réaction aux barrages de roquettes du Hamas sur ses villes. Les manifestants hurlaient "Armez-nous! Entraînez-nous! Envoyez-nous à Gaza!" et "O Chefs Musulmans, où est votre honneur, où est votre religion?" – Le quotidien indépendant égyptien "Almasr al Yom" (l'Egypte, le Jour) a aussi rapporté des conversations ayant pour but de coordonner leurs actions, entre le chef extérieur du Hamas (à Damas), Khaled Meshaal, et le Guide Suprême égyptien des Frères Musulmans, Mohamed Mahdi A'kef. Ce dernier disait "Nous descendrons dans la rue et défendrons nos frères de Gaza, même si nous risquons tous la cour militaire!"

Alors que les jeux de pouvoir continuent au Moyen Orient, la décision du Hamas de démanteler la barrière-frontière avec l'Egypte est un coup de maître. Gaza s'est auto-infligée presque tous ses malheurs économiques, qui sont réels. Normalement sur le plan légal, dynamiter et détruire au bulldozer la séparation entre 2 états est un acte de guerre. Mais cette action a été menée comme une nécessité humanitaire et une recherche de liberté. Le déversement soudain de centaines de milliers de désespérés est un poids énorme pour l'Egypte, mais il évite au Hamas l'échec politique (2).

D'abord et avant tout, le Hamas a exploité le mythe de la solidarité panarabe avec les Palestiniens, dans le but de l'anéantir. Puis il a rapidement tiré profit du "blocus" israélien. Et la presse égyptienne ne pouvait pas défendre son gouvernement pour avoir matraqué la marée humaine se déversant en Egypte. De même il était difficile d'arrêter les Frères Musulmans qui manifestaient pacifiquement en faveur de la "Palestine", même si leur objectif réel était de démolir le régime de Hosni Moubarak et le traité de paix israélo-égyptien qu'il soutient.

Pour les Palestiniens qui ont passé des décennies de vie misérable dans les camps de réfugiés du Liban (3), qui ont été systématiquement maltraités en travaillant dans les états du Golfe (4) , à qui le régime hashémite de Jordanie a refusé la formation d'une nation palestinienne, les mensonges du monde arabe sont familiers.

Néanmoins il a dû leur paraître particulièrement vexant qu'Israël annonce le rétablissement des fournitures de pétrole, alors qu'en même temps l'Egypte coupait toute livraison d'essence et de nourriture aux villes frontalières de Rafiah et d'el Arish au Sinaï, afin d'en dissuader l'entrée aux Palestiniens. Pour faire bonne mesure, on m'a rapporté de source égyptienne, que 3000 Gazaouis ont été arrêtés avant d'arriver au Caire – une dernière trahison égyptienne qui va sans doute rester dans les mémoires.

 

Et tout cela est excellent pour les Frères Musulmans. Hier, Nabil Shaath, ministre de Mahmoud Abbas, a cherché à rencontrer le Guide Suprême A'kef, dans le but de négocier de nouvelles modalités frontalières. A'kef a refusé de le recevoir, preuve de la confiance retrouvée de la Confrérie en Egypte. Même si la misère des frères Palestiniens provient des méfaits du Hamas, les Frères Musulmans peuvent ouvertement aujourd'hui "se battre" pour la cause palestinienne.

 

En contraste, le gouvernement égyptien est lui face à un dilemme, ce n'est pas seulement de la rhétorique. Selon le traité signé avec Israël, l'Egypte ne peut déployer qu'une force armée limitée au Sinaï. Dans le passé, ces limites étaient devenues l'excuse de l'Egypte pour expliquer son incapacité à arrêter le flux d'armes et d'explosifs entrant à Gaza. Mais aujourd'hui le risque est de voir ce flux s'inverser, mettant en danger non seulement Israël, mais aussi les centres touristiques égyptiens, comme Taba ou Sharm el Sheikh. "La situation au Sinaï menace aujourd'hui la sécurité de l'Egypte", écrit un blogger égyptien perspicace."Tout Palestinien qui traverse la frontière peut emporter avec lui des armes et des explosifs et les donner aux groupes d'al Qaeda au Sinaï".

Le traité israélo-égyptien devrait alors être revu pour tenir compte d'une situation nouvelle. Et Israël devrait également revoir sa stratégie dans la région. Ceux qui ont soutenu le plan de désengagement d'Ariel Sharon – y compris moi-même – devraient être satisfaits quelque peu en remarquant que Gaza devient un problème arabe et n'est plus le problème d'Israël. En plus de la nécessité de se défendre contre des attaques de roquettes incessantes venant de Gaza (5), et de renforcer la frontière avec l'Egypte, Israël doit aussi tenir compte de l'éventualité d'un changement de régime en Egypte, après la disparition de son président octogénaire.

Qui le remplacera et quand, personne ne le sait. Mais il serait insensé de fonder des espoirs sur son fils Gamal Moubarak, pro-occidental. L'Egypte est un régime militaire et le jeune Moubarak n'a jamais porté l'uniforme et, par conséquent, il n'est pas très apprécié par les généraux, qui auront le dernier mot, lors de la succession.

Une question plus sérieuse concerne l'attitude de l'armée vis-à-vis des Frères Musulmans qui serait sans doute plus indulgente à leur égard, du fait de l'infiltration en son sein d'officiers islamistes ou par simple calcul politique, pour partager le pouvoir avec eux pour asseoir un semblant de légitimité (6).

En attendant la frontière avec Gaza vient d'être à nouveau scellée, mettant fin à la crise. Mais ce n'est qu'un simple répit et, selon toute vraisemblance, l'Egypte sera la prochaine crise extérieure, à l'horizon américain.

 

Notes de la traduction

 

(1) L'Egypte a 80 millions d'habitants contre 16 millions, 60 ans plus tôt, pour une même superficie utile le long du Nil. C'est un pays très pauvre et qui s'appauvrit de plus en plus depuis la "révolution de Nasser". L'Egypte reçoit chaque année 1,3 milliard $ de subvention américaine, suite au traité de paix avec Israël signé en 1981; cette somme a été utilisée jusqu'ici pour acheter des armes sophistiquées.

Bien qu'interdits, les Frères Musulmans représentent 20%des élus, à travers divers partis de couverture

(2) Le Hamas a incité ses ressortissants à partir en leur donnant 300 $ chacun, pour faire des "courses" en Egypte. Ce qui explique la marée humaine. Venant d'Arabie, cette somme est entrée dans des valises après le pèlerinage de la Mecque. L'Egypte a essayé en vain d'arrêter à Rafiah les Gazaouis retournant de pèlerinage, car normalement ils devaient revenir par le poste-frontière Israélien où ils auraient été fouillés.

D'après les Services de Renseignement israéliens, la brèche temporaire à Rafiah a permis le passage d'une grande quantité d'armes sophistiquées, des missiles longue portée, des missiles anti-chars et antiaériens. De même un certain nombre de terroristes entraînés en Iran se sont infiltrés à Gaza en vue d'une escalade des hostilités contre Israël. Des "kamikaze" se sont répandus dans le Sinaï cherchant à s'infiltrer dans le Négev

 

Notes de l'auteur

(3) Le Liban interdit aux Palestiniens de devenir propriétaire et de travailler dans la plupart des métiers

(4) Le Koweit a expulsé massivement les Palestiniens lors de la 1ère querre d'Irak, car ils avaient pris le parti de Saddam Hussein

(5) Bien qu'ils provoquent peu de morts

(6) Les efforts des Etats-Unis pour dialoguer avec les Frères Musulmans pourraient avoir un effet désastreux, donnant aux militaires égyptiens le feu vert pour un accord avec les islamistes, sans avoir à payer le prix d'un soutien éventuel américain…

 

 

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