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ÉGYPTE, L'ENVERS D'UN SI BEAU DÉCOR

 

Le pays des pharaons, Toutankhamon, le Sphinx, Cléopâtre, l'expédition de Bonaparte, Champollion, Maspero, sans oublier la belle danseuse orientale qui vous sourit et la célèbre phrase de Napoléon "Du haut de ces pyramides, quarante siècles vous contemplent"... Jamais un pays n'a bénéficié d'une image aussi idyllique et jamais la réalité n'a été aussi décevante. L'Egypte d'aujourd'hui : un président sénile, un régime répressif, une économie en crise, une société désenchantée... Même la presse cairote en parle. Bienvenue en Egypte !

Publié dans The Atlantic Monthly - Boston
Traduit (extraits) et publié par Courrier international le 24/1/04

Récemment, Hosni Moubarak, le président vieillissant de l'Egypte (âgé de 75 ans et de plus en plus seul), a fait un commentaire stupéfiant à la télévision nationale. C'était pendant le Salon international du livre du Caire, le plus important événement culturel de la capitale, qui fournit habituellement au président l'occasion de rencontrer les intellectuels.

Moubarak était particulièrement irritable ce matin-là. Soumis à une pression intense de la part de l'administration Bush, qui souhaitait un "changement de régime" au Moyen-Orient, il se sentait d'autant plus acculé, au pied du mur. L'ordre qu'il a connu a été vaincu ; la colère gronde dans les rues ; et le temps semble venu d'instaurer des réformes politiques et économiques, auxquelles il s'est toujours fermement opposé. Il n'aime pas particulièrement rencontrer les intellectuels, surtout lorsque sa popularité est en baisse dans le pays. Alors qu'il se frayait un chemin à travers la foule, un écrivain de renom lui demanda s'il était vrai que l'Arabie Saoudite avait tenté de convaincre Saddam Hussein de renoncer au pouvoir afin d'éviter une guerre en Irak. Moubarak, d'ordinaire si flegmatique et avare de paroles, parut sincèrement étonné.

"Impossible ! répliqua-t-il. Un président ne démissionne jamais !"

Après vingt-deux ans à la tête de l'Etat, Hosni Moubarak peut d'ores et déjà se targuer d'avoir connu la plus grande longévité au pouvoir dans l'histoire du pays. Bien que l'Egypte soit officiellement une démocratie, une commission contrôlée par le gouvernement est chargée, depuis un quart de siècle, d'examiner les demandes de création de parti politique, qu'elle a toutes rejetées, à l'exception d'une seule.

M. Moubarak a brigué par quatre fois (un record) un mandat de six ans. Mais il s'agissait de référendums, les électeurs n'ayant eu que le choix de répondre oui ou non, et aucun candidat de l'opposition n'était autorisé à se présenter.
Sous son règne, les vrais arbitres du pouvoir n'ont guère changé. Depuis son arrivée au pouvoir, en 1981 (après l'assassinat de son prédécesseur, Anouar el-Sadate), Moubarak a présidé aux destinées de l'Egypte en tant que chef d'un cercle très fermé d'officiers de l'armée et d'agents de la sécurité et du renseignement. Pourtant, alors que son régime était devenu dictatorial depuis quelque temps, miné par la corruption et paralysé par l'immobilisme, enclin à réprimer les dissidents, les Etats-Unis le laissaient, jusqu'à une date récente, tenir indéfiniment son pays d'une main de fer. En échange, Moubarak, ancien commandant en chef de l'armée de l'air, a fait de l'Egypte le deuxième partenaire stratégique de Washington au Moyen-Orient.

Dès son entrée en fonctions, il a réaffirmé le respect par l'Egypte du traité de paix conclu avec Israël et décidé d'oeuvrer en coulisses comme médiateur dans la quête pour la paix au Proche-Orient. En 1991, il a, plus que quiconque, conféré une légitimité à la coalition conduite par les Américains lors de la guerre du Golfe, envoyant 36 000 soldats sur le champ de bataille et accordant aux Etats-Unis le droit d'utiliser des bases militaires dans le pays. Il a été largement récompensé : avec 2 milliards de dollars par an, l'Egypte est, après Israël, le principal bénéficiaire de l'aide américaine.

Mais tout ne va pas pour le mieux dans l'Egypte de Moubarak. La manne de l'aide étrangère ne profite guère à la population : le revenu par habitant reste bloqué à 1 400 dollars par an (1120 euros), et la moitié des Egyptiens sont analphabètes. Et, même si le président vante la stabilité du pays, son peuple (quelque 70 millions de personnes, soit un quart du monde arabe) vit dans un état d'urgence officiel depuis soixante-quatre ans, à l'exception de huit années. La moitié des Egyptiens n'ont vécu que sous l'état d'urgence. Le Caire compte près d'un millier d'habitants supplémentaires chaque jour, et l'ensemble du pays près d'un million chaque année. Le ressentiment et le désenchantement sont immenses.

Quant aux relations bilatérales avec les Etats-Unis, elles se sont fortement détériorées. Tout a commencé lorsque Bill Clinton, au cours de ses derniers mois à la Maison-Blanche, s'est efforcé d'amener coûte que coûte Israéliens et Palestiniens à conclure un accord de paix, et que Moubarak n'est pas parvenu à convaincre Yasser Arafat - un échec cuisant, aux yeux de Washington. Puis les événements s'enchaînèrent : les agents de la sécurité, de sinistre réputation, arrêtèrent Saad Eddin Ibrahim, un Américain d'origine égyptienne, célèbre défenseur des droits civiques et l'un des plus éminents sociologues du monde arabe ; la presse officielle se mit à publier des articles et des dessins antisémites et anti-américains d'un goût douteux ; et la télévision d'Etat diffusa une série intitulée Chevalier sans monture, largement inspirée du Protocole des sages de Sion. Washington fulminait.
Le tournant dans les relations américano-égyptiennes fut le 11 septembre 2001. Au lendemain des attentats, Moubarak et son régime se sont retranchés dans une attitude de déni obstiné, refusant de reconnaître que le successeur désigné d'Oussama Ben Laden, Ayman al-Zawahiri, était un médecin égyptien qui s'était converti aux thèses extrémistes dans les geôles égyptiennes ; que Mohammed Ataf, le directeur des opérations militaires de Ben Laden, qui avait lancé le vol 11 d'American Airlines contre la tour nord du World Trade Center, était le fils d'un avocat cairote ; et que des centaines d'Egyptiens s'étaient enrôlés dans l'organisation Al Qaida.

Et puis il y eut la guerre en Irak, que, malgré les formidables pressions des Etats-Unis, l'Egypte a critiquée haut et fort et dans laquelle elle a refusé de s'engager. La décision américaine d'entrer en guerre, malgré les objections du président égyptien et de ses généraux, a fortement mis à mal le seul élément des relations entre les deux pays qui fût demeuré intact, la coopération militaire.
Rendue furieuse et exaspérée par le manque de coopération de la part du Caire durant la guerre, l'administration Bush a signifié à Hosni Moubarak, sans s'embarrasser des habituelles nuances diplomatiques, que son régime sénescent - dont la survie dépend presque exclusivement de l'aide américaine - devait impérativement engager des réformes.

 

 

Nota bene de www.nuitdorient.com : l'Egypte est de plus en plus isolée sur le plan moyen oriental. Kadhafi vient de faire une volte-face remarquée vis à vis de la Ligue arabe et vis à vis de la terreur, sans consulter le Caire; un million de travailleurs égyptiens en Libye sont harassés aux frontières et ne peuvent plus transférer leurs économies. Le Soudan vient de signer un accord avec l'opposant du sud Garang sans tenir compte des avis de l'Egypte où on continue à harceler les chrétiens Coptes. L'Egypte n'a plus aucune influence sur Arafat et sur son Autorité et son envoyé Ahmed Maher quémande des rendez-vous, après avoir été lynché par des chaussures palestiniennes à la mosquée d'al Aqsa…Entre temps, la paix avec Israël est on ne peut plus glaciale, l'ambassadeur à Tel Aviv n'a pas repris son poste, et les rares visiteurs égyptiens en Israël sont considérés à leur retour comme des pestiférés…

Décidément l'Egypte n'arrive pas à prendre le tournant imposé par le président Bush au Moyen Orient. Du coup les Etats-Unis ne livrent plus d'armes sophistiquées à l'Egypte et craignent même que l'arsenal livré depuis vingt ans ne tombe entre des mains hostiles.

D'où la multiplication des agents d'information dans le région.