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Par Mohamed Ali
Atassi - Al Nahar
Traduit et édité par Courrier international - n° 744 - 3 février 2005
Agé de 76 ans, le
président égyptien Hosni Moubarak vient de révéler qu’il se prépare à briguer
un cinquième mandat. Et, puisqu’il a pris sa décision, ricane Al-Nahar,
il sera forcément élu.
"A chaque fois que je pense quitter le pouvoir, ma conscience me l’interdit. Qui, après moi, pourrait bien gouverner ces braves gens ?" se demande le héros de Nizar Qabbani dans son Autobiographie d’un bourreau arabe.
Le président égyptien Hosni Moubarak vient d’accorder à la mi-janvier deux interviews télévisées, l’une à la chaîne publique américaine PBS, l’autre à la chaîne par satellite Al-Arabiyya. Il est probable que la raison pour laquelle Moubarak a finalement décidé de parler est que, à 76 ans, le raïs égyptien, qui règne sur son pays depuis maintenant un quart de siècle, veut annoncer à l’opinion publique arabe et internationale qu’il songe très sérieusement à se présenter une cinquième fois. Par conséquent, son fils Gamal n’est pas susceptible d’accéder à son héritage, à court ou à moyen terme, mais il fera partie du cercle de ses plus proches conseillers.
Les propos tenus par Moubarak
illustrent à la perfection l’impasse dans laquelle se trouvent les régimes
arabes et leur aliénation vis-à-vis de leurs peuples. S’il affecte encore
d’avoir quelques hésitations quant à sa candidature, puisque selon ses propres
dires sur la chaîne américaine, "ce n’est
pas une affaire facile sur laquelle on peut prendre une décision rapide",
reste qu’il parle de cette candidature comme d’une affaire entendue. Il présente
son acceptation de cette candidature - au résultat parfaitement garanti d’avance
- comme un grand sacrifice qu’il offre au peuple égyptien. Pourquoi ne pas
se retirer et laisser la place à un autre lui demande le journaliste de PBS.
La réponse fuse, tranchante : "Toute ma vie j’ai eu à tenir un rôle extrêmement constructif,
que ce soit dans l’armée ou ensuite dans la vie civile, en tant que président.
Je travaille dans le plus grand sérieux et, si le peuple veut que je reste
à ma place, je n’ai pas d’autre issue que de me plier à sa volonté et à continuer
d’œuvrer. Ma mission n’est pas facile, c’est une mission qui demande des efforts considérables,
et je me dépense sans compter". L’équation à laquelle est
confronté Moubarak est encore plus clairement exprimée dans son interview
diffusée sur Al-Arabiyya. La présidence, dans la conception des médias arabes,
se mérite bien moins par la volonté du peuple que par le désir même du président
de rester en place. Quand le journaliste demande si "le président songe à rester au pouvoir",
la réponse de Moubarak est cette fois plus franche. "J’aimerais
vous dire quelque chose sur ce que c’est que gouverner l’Egypte. Ce n’est
pas une récréation. Ce n’est pas une partie de plaisir. Les ressources sont
limitées, la population augmente continuellement, le peuple est exigeant,
tout cela me force à fournir un effort colossal". L’équation
est finalement très simple, et ses termes sont connus d’avance : le président
se sacrifie et fournit des efforts harassants ; le peuple continue d’avoir
des exigences, de se multiplier et d’avoir des ressources limitées. Solution
: que le président reste au pouvoir.
Mais
qu’en est-il du scénario de la renonciation ? La difficulté de renoncer au
pouvoir ne vient pas du fait que Moubarak s’y accroche ; c’est le pouvoir
qui s’accroche à lui - comme à tous les dirigeants arabes, d’ailleurs ! Il
le dit : "S’il ne tenait qu’à moi, j’aimerais
bien pouvoir me reposer un peu. Depuis que, jeune officier, je suis sorti
de l’Académie militaire, ma vie a été un vrai bagne. Quand j’ai commencé à
travailler à la présidence [au temps de Sadate], j’ai eu la surprise d’être
nommé vice-président. Et puis, Sadate est mort. Je ne pouvais pas laisser
le pays comme ça, j’ai été forcé d’assumer mes responsabilités".
Bref,
Moubarak n’a plus qu’à se plier au désir des Egyptiens, sans tergiverser. "Etre président de l’Egypte, c’est un effet de la
volonté populaire”, ajoute-t-il dans le
même entretien. “Si le peuple ne veut pas de vous, quoi que vous essayiez,
rien à faire… Et, s’il vous veut, impossible de fuir. Je pourrais vous jouer la
comédie, vous dire que je m’en vais. Tout serait sens dessus dessous, il y
aurait des manifestations : j’aurais mis la pagaille. Ce genre de numéro, ce
n’est pas mon genre".
C’est clair et net : Moubarak est le destin de l’Egypte, et la présidence de l’Egypte est le destin de Moubarak. Le bourreau du poème de Nizar Qabbani ne dit pas autre chose : "Je ne vieillis pas… Mon corps ne vieillit pas… Mes prisons ne vieillissent pas". Et, quand le journaliste américain fait remarquer au raïs égyptien qu’il a dépassé les 76 ans, Moubarak réfute aussitôt cette logique et lui fait remarquer que lui-même, à 63 ans, n’est plus un jeunot, et que pourtant tous deux travaillent et font du sport. Quoique vieillisse le prince, sa jeunesse est éternelle. Quant à son fils Gamal, "il aide son père, exactement comme Claude Chirac aide Jacques". Mais l’Egypte, malheureusement, n’est pas la France. Si le peuple, un jour, à la suite d’une inspiration divine, désirait placer Gamal Moubarak sur le fauteuil présidentiel, il y a fort à parier que le rejeton ne pourrait pas décemment refuser et s’enfuir !