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DU FAIT DE SA MODÉRATION, LA JORDANIE EST MENACÉE

Démocratie, syndicats islamistes, palestiniens, terroristes, bédouins, monarchie parlementaire

Par Albert Soued, écrivain, www.chez.com/soued - le 7/4/2004.

 

La Jordanie est un pays artificiel créé par la Grande Bretagne à titre de compensation à la lignée Hachémite du Hedjaz pour la perte de l'Arabie, donnée à une obscure tribu du Najd désertique, au Centre du pays, les Ibn Saoud. La Jordanie est une monarchie parlementaire de 5 millions d'habitants dont 60% sont d'origine palestinienne, la population de base étant d'origine tribale ou "tcherkess" (les caucasiens venus au milieu du 19ème siècle).

Bien intégrés dans la société, les palestiniens ont pratiquement tous la nationalité palestinienne, même le ¼ qui se trouve encore dans les camps de réfugiés et qui  constitue un prolétariat d'une extrême pauvreté. D'une manière générale on trouve les Palestiniens dans le commerce et les affaires, les Bédouins (jordaniens de souche) dans l'administration et l'armée. Pléthoriques, les services de sécurité sont constitués de caucasiens.

Depuis 1948 et jusqu'à la guerre des six jours en1967, la Cisjordanie était annexée à la Jordanie. D'étroits liens politiques et économiques sont demeurés entre les deux territoires jusqu'en 1974, date à laquelle la Ligue arabe a décrété que l'OLP était le seul représentant du peuple palestinien. La plupart des Palestiniens revendiquent une double appartenance.

La Jordanie est gouvernée d'une manière éclairée et souple, malgré l'existence d'un fort courant islamiste que le roi a toujours cherché à contrôler, en le ménageant ou en sévissant tour à tour. En effet deux écueils sont toujours à éviter par les gouvernants de ce pays, la majorité palestinienne toujours revendicatrice et très sensible à ce qui se passe de l'autre côté du Jourdain et l'infiltration des syndicats, notamment celui des ingénieurs, par les Frères musulmans, par le biais de subsides venant d'Arabie (cf Egypte). Une anomalie qui est en discussion: là où existent des syndicats (avocats, journalistes, médecins…), l'adhésion est obligatoire pour pouvoir exercer son métier.

Ceci étant, les partis politiques sont autorisés, des élections ont lieu périodiquement (sauf crise, lors de l'intifada palestinienne, par exemple) et la presse est libre.

La signature de la paix avec Israël en 1994 a apporté la prospérité au pays. Mais depuis le début de l'intifada, les rouages économiques palestiniens et les syndicats inféodés par les islamistes ont commencé à boycotter leur voisin israélien et le marasme économique s'est installé dans le pays. Le roi doit naviguer en permanence entre les exigences américaines de modération, ses propres convictions modernistes et pro-occidentales et celles des extrémistes de tout bord, avec qui il est obligé parfois de composer.

41 membres du parlement (sur 110) dont 17 islamistes demandent la rupture de toutes les relations avec Israël; tout jordanien ayant des relations avec des Israéliens est généralement "mal vu" localement.

Aujourd'hui l'indépendance de l'exécutif est menacée par la puissance des syndicats qui s'érigent en force politique. La sécurité du pays est menacée par des infiltrations terroristes venant de Syrie pour déstabiliser ce pays dit "modéré".

 

Interview du roi Abdallah II par Corriere della Sera du 4/4/04

D'après le roi le but apparent des intégristes musulmans est de déstabiliser l'Occident, mais en fait ils cherchent à renverser les régimes modérés du Moyen Orient et à prendre le pouvoir dans ces pays. Aujourd'hui, personne n'est à l'abri, ni la Jordanie, ni l'Espagne qui a été atteinte dans sa chair. Il y a une menace sérieuse pour la sécurité de l'Europe, mais pas pour son intégrité. En affaiblissant l'Europe, les intégristes cherchent surtout à peser sur la politique des pays arabo-musulmans, notamment les pays modérés et sur leurs relations avec l'Europe.

Le roi a mis en garde l'Occident quant à la réalité des menaces terroristes: "Les attaques de Madrid du 11/3/04 sont la partie visible d'un iceberg qui cache une lutte sans merci à l'intérieur du monde arabo-musulman, notamment entre modérés et extrémistes. Par l'incitation au conflit entre Orient et Occident, les extrémistes cherchent à écraser les modérés des pays arabes.

 

Allocution du roi Abdallah II lors de l'inauguration du Centre de recherche stratégique Medbridge, devant des parlementaires européens, le 26/10/03.

Le roi a insisté sur deux questions importantes à ses yeux, la construction d'un nouvel ordre démocratique en Irak, avec l'aide des instances internationales, mais qui ne pourrait pas se faire du jour au lendemain; puis la résolution du conflit israélo-palestinien, dans le cadre du processus de paix prévu par la "feuille de route". La barrière de sécurité préoccupe la Jordanie, car "les murs" n'ont jamais apporté la paix et ils sont toujours abattus in fine, toujours au détriment de ceux qui les ont édifiés (la crainte du gouvernement jordanien est de voir encore affluer des Palestiniens venant de Cisjordanie). L'intérêt d'Israël est de faire la paix avec tous les pays arabes, d'Oman au Maroc. Pour que le Moyen Orient se réforme dans le sens de la démocratie il faut enlever aux extrémistes le "prétexte" du conflit avec Israël…Celui-ci doit être résolu rapidement, pas dans dix ou vingt ans.

Le débat à l'intérieur de l'Islam doit continuer et une minorité d'extrémistes ne doit pas imposer son point de vue à une majorité de modérés. C'est pourquoi au delà du débat, il faut avancer vers une plus grande démocratie, en émancipant notamment les femmes. L'accomplissement européen durant le dernier demi-siècle doit être un exemple pour la Jordanie et pour tous les pays de la région. Lors du sommet d'Aqaba, les Etats-Unis ont jeté les bases d'une réforme démocratique du Moyen Orient; c'est la condition sine qua non, si le monde arabe souhaite entrer dans les zones de libre échange avec l'Europe ou l'Amérique. Il faut aussi évoluer sur le plan politique. En Jordanie il y a 30 partis politiques dont certains n'ont d'autre agenda que la peur, la violence et la destruction.

Il faut que dans les prochaines années la situation politique soit assainie, avec 3 ou 4 partis seulement qui représenteront les diverses tendances et sensibilités de la nation. Leurs représentants seront choisis non par affinité tribale ou locale, mais en fonction de leur programme politique…

 

Interview par la BBC de Londres parue le 26 Mars 2004 du frère de Hussein de Jordanie, Hassan Ben Talal, un moment prétendant au trône.

Il a affirmé que plusieurs indices lui laissaient penser qu’une Troisième Guerre mondiale était en préparation. Il faudrait que les pays arabes, aidés des Occidentaux, organisent une vaste négociation qui ressemblerait au célèbre traité de Versailles.
«Ce qui me fait peur, ce sont les foyers de violence qui s’allument un peu partout: la Palestine, l’Irak, l’Afghanistan, ainsi que les intentions guerrières d’Al-Qaïda et de l’Iran qui accumule des armes de destruction massive. Tout cela représente des dangers potentiels et il faut trouver un moyen de faire retomber les tensions à partir d’un dialogue global».
Interrogé sur le conflit israélo-palestinien et l’élimination de Yassine, Hassan Ben Talal a regretté que la position de Sharon ne soit orientée que vers la sécurité et les "assassinats de leaders palestiniens". Il a accusé les gouvernements arabes d’avoir peur de leur peuple et de perdre le contact avec eux. «Je crois que le monde est trop focalisé sur la sécurité, alors qu’il devrait l’être sur le dialogue.»
L’oncle de l’actuel dirigeant de Jordanie est revenu plusieurs fois sur l’idée d’une grande négociation internationale du type traité de Versailles : «La France et l’Allemagne qui étaient des ennemis jurés ont fini par s’asseoir à une table et à négocier, et aujourd’hui ces deux pays sont les plus grands amis du monde».

Le même Prince Hassan dans une interview de Hayim Handwerker rapportée par Haaretz du 20 février 2004, pense que "les chefs du Moyen Orient n'auront pas d'autre choix en fin de compte que d'accepter la démocratie pour leurs peuples. Ce n'est pas pour demain, mais le plus tôt sera le mieux. Je crois que le processus qui s'est enclenché en Europe de l'Est se reproduira au Moyen Orient d'une manière ou d'une autre".

L'oncle du roi Abdallah II de Jordanie voyage souvent à travers le monde pour faire des conférences, participer à des symposium et il est considéré comme la voix de la raison du monde arabe, notamment dans les milieux occidentaux libéraux de gauche. Son idée de base est que le manque de démocratie dans les pays arabes est la source de tous leurs maux.

Il dit notamment que "la pyramide doit être inversée et que le pouvoir doit être donné aux citoyens, afin de parvenir à la justice et au développement". À ses yeux, il faut enlever à Israël le monopole de la démocratie dans le région et organiser des élections libres pour élire les élus du peuple dans un vrai parlement. L'Irak pourrait être un point de départ du processus et il espère qu'il sera la première démocratie arabe et qu'on arrivera à expliquer aux Irakiens que la démocratie est un meilleur régime que celui basé sur la force.

En ce qui concerne la Jordanie, Hassan admet "nous sommes au centre de l'orage et si nous poursuivons notre chemin, nous aurons la chance de pouvoir créer une société civile vivante. Une des principales plaies du monde arabe est la désaffection des classes moyennes qui quittent la région. Elles commencent par aller faire des études dans les Universités d'Occident et 30% de ces futures élites ne reviennent pas, car elles estiment inutile de régresser dans leur pays. La situation est tragique".


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