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L'HONNEUR PERDU DE SALT
Par Ahmed HALLI halliahmed@hotmail.com
- Le Soir d'Algérie 21.3.05
Il y a des villes promues à la célébrité et à la gloire par le simple fait
d'avoir été le berceau d'un enfant, devenu un des génies de son temps..
C'est ce que la ville française de Nantes a fait, sans efforts apparents, en
donnant le jour à Jules Verne, l'écrivain visionnaire.
Grenade est passée à la postérité comme exemple du château en Espagne qu'il ne
faut pas perdre sous peine de souffrances éternelles. Même les Arabes qui n'ont
jamais quitté leur péninsule sont encore taraudés par le spectre de
l'Andalousie. Aujourd'hui, des métropoles ne s'embarrassent pas de scrupules
pour accéder à la notoriété. Au diable la morale et place aux affaires ! Des
cités peuvent aussi prétendre à un statut, entériné dans les manuels
d'histoire, de par leur situation géographique. D'autres villes, enfin,
agissent sans réfléchir, par réflexe, par bêtise.
En sus de l'honneur perdu, elles acquièrent pour longtemps une bien triste
renommée. C'est le châtiment que vient de s'infliger Salt, la ville jordanienne
où Caïn, ressuscité, a célébré le massacre de son frère. Les faits remontent au
28 février dernier. Ce jour-là, une voiture piégée explose à Al-Hallah, une
ville chiite du sud de l'Irak. Une vraie
boucherie comme la plupart des actes de "résistance" contre
l'occupation en Irak. L'attentat fait 130 morts et presque autant de blessés.
On sait que les groupes terroristes du Jordanien Zarkaoui veulent faire payer
aux chiites leur participation aux élections de janvier dernier. Pour Zarkaoui
et son chef Ben Laden (1), l'Irak est le cadre idéal pour faire la guerre aux
Américains. Ces derniers ont choisi eux-mêmes de venir jouer les cibles mouvantes
en Irak.
De leur côté, les Irakiens acceptaient jusqu'ici de se laisser massacrer au nom
de la sacro-sainte unité arabe et de l'appartenance à la communauté musulmane.
Muni de ce viatique, encoché dans la crosse du fusil et s'il prend bien soin d'en
avertir ses futures victimes, un Algérien, rescapé du terrorisme islamiste dans
son pays, peut tuer des civils israéliens en Palestine. La Palestine, c'est
trop dangereux, dites-vous ? Combattre pour
des idées, d'accord, mais à condition de tuer sans être tué. Soit. Prenons donc
la Tunisie par commodité et parce que, non content de solliciter son énième
mandat, Ben Ali a invité Sharon chez lui (2).
C'est un peu, pour perpétuer ces traditions de bon voisinage que Zarkaoui joue
les Attila en Irak. Jusqu'ici Zarka, la ville natale du fléau, n'a pas eu
l'aplomb de vouer un culte à l'enfant du pays. Les autorités jordaniennes,
alliées en théorie des Américains, n'auraient pas toléré des manifestations
trop voyantes de soutien au terrorisme. Mais, cette fois-ci, la ville de Salt a
pris les devants en outrageant les victimes de Al-Halla.
Informée que le conducteur de la voiture piégée n'était autre que son fils
Raed, la famille Al-Bana ((des noms prédestinés) a donné libre cours à sa joie
singulière. Dans un climat de liesse, où se succédaient youyous et exordes
guerriers, les habitants de Salt ont fêté l'assassinat de 130 Irakiens, en
présence du reporter d'un journal local. Le gouvernement jordanien qui a bien
évidemment condamné l'attentat de Al- Hallah a
commencé par nier les faits. Sa première mesure a été l'emprisonnement du
journaliste qui a relaté l'enterrement en fanfare de Raed Al- Bana. Le père du
kamikaze, mis à contribution, a reconnu que les funérailles symboliques se son
fils avaient tourné à la kermesse. A court d'arguments, il a affirmé que son
fils n'était pas l'auteur de l'attentat concélébré. Il était mort dans un autre
attentat plus au nord (!). Toujours est-il que les manifestations de joie
obscènes de Salt ont suscité la colère et la révolte des Irakiens.
Depuis, des manifestations de protestation se déroulent de façon quasi
quotidienne devant l'ambassade de Jordanie à Baghdad et dans les fiefs chiites.
Selon le quotidien londonien Al-Quds, les manifestants ont brûlé vendredi
dernier des drapeaux jordaniens et des effigies du roi Abdallah.
Des revendications ont été remises aux employés de l'ambassade, à savoir: -
jugement de la famille et des proches de Raed Al-Bana pour leur démonstration
de joie impudente ; - que le roi Abdallah lui-même présente des excuses
publiques pour les faits qui se sont déroulés à Salt.
L'écrivain jordanien en exil, Chaker Naboulci, a dit son émotion et sa peine
devant ce qu'il a appelé "les noces sanglantes" de Salt qui est aussi
sa ville natale. Selon lui, cette cité, jadis radieuse et tolérante, est sous
l'emprise des "Frères musulmans" qui exercent un contrôle quasi
absolu sur la société jordanienne. Sous couvert d'activités sociales,
l'organisation a exploité le vide politique existant dans le pays pour s'imposer
comme une force incontournable. Après la première guerre du Golfe, les
Jordaniens frappés par le chômage se sont enrôlés dans les rangs des
"Frères musulmans" pour y recevoir une aide sociale et des
opportunités de formation et d'emploi. Depuis 1980, le régime de Saddam versait
d'énormes dividendes aux "Frères musulmans" de Jordanie pour qu'ils
l'appuient dans sa guerre contre l'Iran. Saddam a également mis la main à la
poche pour dresser la rue jordanienne contre les dirigeants du Koweït lorsqu'il
a envahi ce pays en 1991.
Dans ce texte publié sur le magazine Elaph, Chaker Naboulci interpelle les
médias jordaniens: pourquoi, dit-il, la presse de Jordanie applaudit-elle les
"noces de sang" célébrées à Salt? Pourquoi la presse jordanienne
embouche-t-elle les trompettes de la haine et de la terreur pour soutenir Salt,
ville otage des intégristes et des terroristes? Cette presse rêve-t-elle encore
du retour de Saddam qui déversera sur elle l'or volé au peuple irakien? Danses
macabres à Salt, scènes de bonheur terrestre et humain à Beyrouth désertée peu
à peu par les soldats syriens. Pour saluer l'évènement, le patron de l'hôtel
"Beau-Rivage" a décidé d'ouvrir un nouveau restaurant à l'enseigne
des "Moukhabarate". Ce sera l'entête du menu "services compris"
sans doute que proposera Khaled Hermouche, le propriétaire de
"Beau-Rivage". C'est sa manière de dire son soulagement après plus
d'un quart de siècle de présence syrienne dans l'hôtel, ce qui lui avait valu
une mauvaise réputation. En fait, a-t-il précisé au quotidien Echarq-al-Awsat,
les services syriens n'ont occupé l'hôtel que pendant cinq ans. Ensuite, ils se
sont déplacés vers un immeuble proche.. Mais l'hôtel a gardé quand même son
appellation officieuse de "Foundouq-al- Moukhabarate". La création du
"Restaurant des Services" procède de l'acte d'exorcisme, mais l'ami
Khaled attend un tout autre bénéfice. Il sait que la clientèle va affluer, pour
le simple plaisir de s'offrir un dîner chez
les services. Et de pouvoir s'en vanter le lendemain.
(1)Je suis ébahi par l'aisance avec laquelle nos milieux bien pensants gèrent
leurs contradictions. D'un côté, ils condamnent le terrorisme, les attentats du
11 septembre et Ben Laden. De l'autre, ils parlent d'actes de résistance quand
le suppôt dudit Ben Laden fait exploser 99 Irakiens pour atteindre un
Américain. Il faudrait savoir.
(2) Non contents de jouer mieux que nous au football et au handball, les
Tunisiens recourent à des tacles irréguliers sur le terrain de la diplomatie.
Regardez notre président ! La crue du Rummel provoquée par son invitation à
Enrico Macias lui a servi de leçon. Depuis, il se contente d'une poignée de
main furtive, d'un regard. Courageux, mais pas téméraire, notre président. Il
connaît ses concitoyens.