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ET SI L’AMÉRIQUE
PERDAIT CETTE GUERRE ?
Irak, guerre d'Irak, shiites, guerre
mondiale, Islam, démocratie
Par Michel Gurfinkiel, journaliste et écrivain – source www.upjf.org
I - CONTRE LES BARBARES- 4 avril 2004
Quatre civils américains capturés par la foule, torturés, lynchés, débités
comme des pièces de boucherie, les cadavres amputés traînés sur le sol puis
suspendus en public, des enfants de douze ans hurlant "Vive l'islam !"
pendant que se déroulent ces scènes infernales : cela vient de se dérouler
à Falujah, en Irak, une ville arabe sunnite, ancien bastion du régime de Saddam
Hussein. Et c'est la réplique à l'identique d'un autre lynchage, celui des
deux Israéliens égarés à Ramallah, ville de Cisjordanie, voici trois ans et
demi, au début de la guerre israélo-arabe actuelle : ils avaient été, eux
aussi, capturés par la foule palestinienne, torturés, lynchés, éviscérés.
Leurs bourreaux avaient plongé leurs mains dans leur sang, au nom de l'islam,
et brandi ensuite, en signe de victoire, leurs paumes dégoulinantes. Paul
Bremer, le chef de l'Administration alliée en Irak, a promis que les morts
de Falujah seraient vengés. Certes, mais comment ? Quand l'armée israélienne
a repris le contrôle de Ramallah, en 2002, elle n'a pas procédé à une décimation
ou à d'autres formes de représailles collectives. Elle s'est contentée de
rechercher ceux des coupables qu'elle pouvait identifier de façon certaine,
et de les déférer devant un tribunal. Les Américains feront-ils de même ?
Ce n'est pas sûr, mais c'est probable. Je comprends la réaction israélienne,
je suis prêt à comprendre la réaction américaine, si elle est du même ordre.
Mais je me pose des questions. Et je me les pose tout haut, devant vous.
Première question.
Que fait l'islam ? Que font les musulmans ? Que font les représentants autorisés
et reconnus de cette religion et de cette civilisation, au Proche-Orient ou
ailleurs, et notamment en Europe ? Falujah et Ramallah ont été commis en leur
nom. Ont-ils protesté ? Ont-ils protesté de manière claire, audible, convaincante,
irrécusable ?
Pour Falujah, assez peu, juste ce qu'il fallait pour ne pas trop indisposer
l'Amérique. Et pour Ramallah, presque pas, puisqu'Israël n'est qu'Israël,
et que les juifs ne sont que des juifs. Pas de fatwa fulminée du haut des
mosquées, ni en 2001, ni en 2004, contre les lyncheurs, pas de malédiction,
pas d'excommunication, pas d'appel à la contrition, pas de cérémonie de repentance.
Oui, certains musulmans, et même, dans certains pays ou certains milieux,
de nombreux musulmans, y compris certains chefs religieux, se sont dissociés
de ces actes : mais pas les plus officiels, les plus puissants et les plus
écoutés des docteurs et des princes de l'islam.
On peut, on doit, en tirer une conséquence toute simple : si toutes les religions
et toutes les civilisations, y compris l'islam, sont respectables en soi,
les dirigeants actuels de l'islam ne correspondent pas à ce que l'on pourrait
attendre d'eux, étant donné le comportement de la plupart des autres dirigeants
religieux ou spirituels, ou plus simplement les règles élémentaires, universelles,
de la morale ou du droit des gens. C'est donc que l'islam traverse une crise
profonde, et qu'il faut, dans son intérêt comme dans celui des autres religions
ou civilisations, l'aider à se réformer : aider les vrais musulmans, fils
d'Abraham, à prendre le pouvoir spirituel au sein de leurs peuples et de leurs
communautés. Un vrai musulman, l'imam de Rome, Abdul Hadi Palacci, avait mis
en garde l'opinion française, voici deux ans : "Votre islam sera à
l'image des maîtres spirituels que vous leur donnerez".
Deuxième question.
Que faire, stratégiquement, face aux barbares ? La première
ligne de conduite, celle de George Bush père à l'issue de la première guerre
d'Irak ou après l'échec de l'intervention militaire en Somalie, celle de Yitzhak
Rabin quand il signe les accords d'Oslo, celle de l'Europe, est de leur abandonner
les zones périphériques et secondaires de la planète et de privilégier la
défense du monde que l'on qualifiait naguère de civilisé et qu'on préfère
appeler aujourd'hui monde développé ou monde démocratique. Cette politique
a pu paraître sage, en Israël, jusqu'au déclenchement de la guerre actuelle,
le 28 septembre 2000 ; aux Etats-Unis, jusqu'au 11 septembre 2001 aux Etats-Unis
; en Europe, jusqu'au 11 mars 2003. Mais depuis ces trois dates, les illusions
ne sont plus permises : il ne suffit pas de conclure un compromis avec les
barbares, et de se contenter de les contenir, car ceux-ci interprètent une
telle politique ou une telle géopolitique, comme un aveu de faiblesse et un
commencement de capitulation, et sont dès lors encouragés à frapper au coeur
même de leur adversaire, à Jérusalem et à Tel-Aviv, à New-York et à Washington,
à Madrid enfin.
Il faut donc les poursuivre, conquérir les zones dont ils avaient fait leurs
bases, et, si nécessaire, tenir, restructurer, épurer, voire annexer en partie
ces dernières. Soyons clairs : il y a de bonnes raisons pour qu'Israël quitte
la Cisjordanie et Gaza, comme Ariel Sharon s'y est engagé le 18 décembre dernier,
dans son discours de Herzliyah ; mais il y en a d'aussi bonnes pour ne pas
y créer un Etat palestinien souverain - surtout pas dans les lignes du 4 juin
1967 - si celui-ci doit tomber aux mains des lyncheurs de Ramallah. Il y a
de bonnes raisons pour que l'Amérique mette en place le plus vite possible
un Etat démocratique souverain en Irak, mais il y en d'aussi bonnes pour ne
pas mettre en place une démocratie toute formelle qui risque de tomber aux
mains des lyncheurs de Falujah.
Tout le reste est vanité, pâture du vent, et irresponsabilité devant notre
patrie commune, la civilisation.
II - LE MOMENT DE VERITE - 11 AVRIL 2004
Quelle stratégie face aux Barbares ? C'est la question, posée [plus haut],
après les crimes atroces, insoutenables, de Falujah : quatre civils américains
livrés à l'équarrissage.
La suite des événements, dans tout l'Irak, montre, depuis huit jours, qu'il
n'en est pas d'autre. L'ennemi - sunnite ou chiite - est barbare dans ses
buts, barbare dans ses méthodes. Il veut tout, et il est prêt à tout. Si on
ne l'anéantit pas d'emblée, il gagne en force et en puissance. Après Falujah,
le président George W. Bush a, paraît-il, demandé "les têtes" des
coupables ; et Paul Bremer, le chef de l'administration internationale de
Bagdad, a promis, publiquement, une "vengeance" rapide et sans merci.
Le monde arabe et islamique a traduit : Falujah sera rasée sur l'heure. Bien
entendu, les Américains n'ont pas été jusque là. Résultat : ce n'est plus
dans une seule ville que les Américains et leurs alliés sont aujourd'hui confrontés
à une révolte, à une Intifada, mais dans plusieurs ; ce n'est pas seulement
aux sunnites qu'ils ont affaire, mais aussi aux chiites ; et de nouveaux otages,
américains ou autres, ont été promis à la décapitation ou au bûcher. Poker
vertigineux, où les enjeux ne cessent de monter. Si les Américains ne reprennent
pas le contrôle de la totalité de l'Irak, très vite et à n'importe quel prix,
ils devront en déguerpir. Cet échec, à son tour, sera pire que le Vietnam,
en termes géopolitiques.
Les Etats arabes et musulmans tomberont comme des dominos du côté d'Al Qaïda,
du Hezbollah et du Hamas, et, avec eux, 70 % du pétrole mondial. Le Pakistan
mettra sa bombe atomique au service des islamistes, l'Iran aura la sienne,
les Etats-voyous [empliront à nouveau] leurs arsenaux non conventionnels de
missiles à longue portée, [armés de tête] chimique et bactériologique. L'Europe
ira plus loin dans ses louvoiements, ses capitulations, ses collaborations.
A Jérusalem, les chefs militaires israéliens - Shaul Mofaz, Moshe Yaalon -
viennent d'annoncer que le pays devait être prêt à un changement radical de
politique de défense: l'Etat juif, aujourd'hui pays assiégé, mais pouvant
compter sur un large soutien américain, ne sera plus qu'un pays assiégé, quasiment
dépourvu de soutien extérieur.
Mais peut-on raser Falujah, ou du moins y procéder à des représailles exemplaires
et sans appel ? S'y résoudre, n'est-ce pas combattre la barbarie en se faisant
barbare soi-même ? Le débat n'aura aucun sens tant qu'on n'aura pas compris
comment la barbarie fonctionne, en Irak ou ailleurs ; comment des psychopathes
parviennent à s'assurer l'obéissance de peuples entiers.
Mettez-vous à la place d'une famille irakienne moyenne. Derrière vous, quarante-cinq
ans de tyrannie, de révolutions et de coups d'Etat, et enfin la longue dictature
ultra-violente, sadique, de Saddam. Certains de vos proches ou de vos parents
ont été tués, torturés, violés, gazés, par les hommes du tyran. Votre village
natal a été rasé. Ou celui de votre cousin. Ou celui de votre voisin. Vous
avez grandi dans la peur et vécu dans la peur. Certes, depuis un an, ce sont
les Américains qui gouvernent. Mais ils ne cessent de répéter qu'ils s'en
iront bientôt. Et ils ne se sont même pas souciés, en s'emparant du pays,
de pendre Saddam et d'exterminer ses partisans. Ou d'éliminer les extrémistes
chiites, qui les valent bien. Vous faites donc un calcul rationnel, un calcul
très simple :
Si vous vous opposez aux Américains, vous ne risquez rien, puisque les Américains ne tuent pas, et que, de toutes façons, ils partiront bientôt.
Si vous vous opposez aux nostalgiques de Saddam, en zone sunnite, ou aux mollahs, en zone chiite, vous risquez tout, vous et votre famille, parce que ces derniers tuent, torturent et violent, et qu'ils resteront, de toutes façons, dans le pays.
Vous soutenez donc les barbares contre les Américains. Plus ils font preuve de barbarie, plus vous les soutenez. Il y va de votre vie, de votre survie, et de celle de votre famille.
C'est cette logique de peur, si simple, si inexorable, que
les Américains doivent briser. En faisant savoir qu'ils resteront longtemps,
très longtemps, en Irak. Et en infligeant aux barbares, sans délai, sans merci,
sans hésitation, un châtiment à leur mesure.
George W. Bush saura-t-il agir ? Nous voici au moment de vérité.
Voir aussi le sens de la shia'h et du mahdi