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LE TEMPS EST UNE ARME

 

Par David Ignatius, journaliste au Washington Post

Article paru dans le Washington Post du 11 janvier 2005

Traduit par Artus pour  www.nuitdorient.com

 

Ho Chi Minh est l'homme dont l'insurrection a réussi à chasser l'armée américaine du Vietnam il y a 30 ans. Il écrivait "le temps est la condition pour défaire un ennemi". Lui emboîtant le pas, Dang Xuan Khu, son compagnon de révolution, disait "Prolonger la guerre est la clé de la victoire. Malgré leur puissance, nous allons tellement les user, qu'ils s'affaibliront et finiront par être vaincus".

En fait, le temps est l'aspect le plus crucial de la guerre en Irak. Le président Bush maintient une position résolue sur le plan public et parle de maintenir le cap. Mais ces dernières semaines, d'éminents experts militaires et politiques de Washington ont montré leur inquiétude devant le manque de temps des Etats-Unis. Certains Républicains du Congrès impatients et des officiers supérieurs parlent de plus en plus de la possibilité d'une sortie plus rapide d'une guerre qui devient un bourbier.

Les commandants américains en Irak ont calculé qu'il fallait 9 ans en moyenne pour venir à bout de toute insurrection (1). Pour eux les Etats-Unis rencontrent des difficultés normales après seulement deux ans d'insurrection. Si l'Amérique veut maintenir le cap fixé, c'est à dire la création d'un seul état irakien, gouverné par des forces nationales plutôt que par des milices sectaires, avec un pouvoir démocratique et la force de la loi, il n'y a pas d'autre choix que de poursuivre l'action.

Mais peut-on atteindre ces nobles objectifs, même après une décennie? En fait on ne peut répondre à cette question bien qu'il y ait place à un certain scepticisme. Supposée  stabiliser le pays, la présence américaine est devenue une force de déstabilisation. Plus on ajoute des troupes, plus les Irakiens sont mécontents de l'occupation américaine. Même les Shiites qui sont supposés profiter le plus de l'intervention américaine sont inquiets de la perspective d'une occupation quasi-permanente de leur pays. Ayant pour but d'installer un gouvernement irakien stable, les élections du 30 janvier 2005 semblent devoir exacerber des tensions communautaires, avec la majorité des Shiites votant, les Sunnites restant chez eux.

Y aurait-t-il une alternative à la stratégie adoptée qui satisferait à la fois l'Irak, les Etats-Unis et les alliés régionaux? Voici quelques idées rassemblées au gré des discussions que j'ai eues avec des responsables militaires et des services de renseignement de la coalition.

 

Réduire l'objectif

Le meilleur espoir d'éviter une guerre civile en Irak est peut-être le désir commun de toutes les factions de voir partir l'armée américaine, et autour de cela elles trouveront un programme commun. Une source proche du Grand Ayatollah Shiite Ali Sistani a dit au quotidien arabe Al Hayat (paraissant à Londres), ce week-end "la part représentant nos frères sunnites dans le prochain gouvernement doit être substantielle, indépendamment des résultats des élections". Il ajouta que "tout nouveau gouvernement devrait commencer par demander le départ des forces étrangères". De même l'Association des érudits musulmans, la plus importante organisation religieuse sunnite a également dit à Al Hayat qu'elle accepterait un gouvernement à majorité shiite s'il négocie un planning de départ de retrait des troupes américaines. Bien que cette alliance entre ces deux factions ait une connotation un peu anti-américaine, elle est un rayon d'espoir sur un fond sinistre.

 

Vivre avec un partage de facto

Les médias ne cessent de parler des troubles en Irak, mais la plus grande partie du pays au Nord comme au Sud est aujourd'hui stable. Des milliards de $ prévus pour la reconstruction du pays et disponibles ne sont pas encore dépensés. Rien n'empêche de les injecter dans les parties sûres et calmes de l'Irak pour les développer, sans attendre le retour de la paix dans la partie centrale rebelle.

 

Rendre la vie impossible aux rebelles

Si un accord même frêle peut être atteint entre les chefs religieux sunnites et shiites sur une formule de gouvernement satisfaisant toutes les parties, les autorités ne pourraient pas admettre toute rébellion à cet accord et devraient alors se montrer impitoyables à son égard. Les rebelles devraient parvenir au stade d'avoir peur de sortir de chez eux. Il faudrait une répression si violente, que les troupes américaines ne pourraient en aucun cas l'envisager. Ce serait le travail des "forces spéciales irakiennes", qu'on retrouve dans les autres pays arabes de la région (2). Il faudrait renverser la psychologie de l'intimidation, les rebelles devant avoir peur de perdre la vie.

 

C'est le moment de se poser des questions sur notre mission en Irak, mais pas encore pour trouver la réponse et l'appliquer. La pire solution est la panique dans la décision.

Il faudrait une analyse claire, sans un optimisme démesuré propre à l'administration Bush, ni un faux pessimisme venant de ses critiques. Il faut croire dans la volonté du peuple irakien de parvenir un jour à une véritable démocratie. Nous le leur devons moralement. Un débat national pourra déterminer la meilleure façon d'y parvenir. Mais sans précipitation.

 

Notes de la traduction

(1) il a fallu 4 ans pour venir presque à bout des attentats-suicide en Israël; pour en finir avec les roquettes, les obus et d'éventuels missiles, ce délai ne peut être que plus court, car aucun pays ne peut accepter très longtemps ce petit jeu dangereux.

(2) le journaliste suppose que l'Irak fasse une halte dans son cheminement vers la démocratie et procède comme ses voisins arabes à l'encontre de leurs opposants.

 

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