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APRÈS DEUX ANS D’OCCUPATION, ENFIN UN ESPOIR ?
Par David Ignatius, éditorialiste
Article paru dans le The
Washington Post traduit et édité par Courrier international –
n° 753 - 7 avr. 2005
A Bagdad, tout est
possible, le pire comme le meilleur, estime le chroniqueur du Washington
Post.
Il y a deux ans, j’ai
passé le dimanche de Pâques dans un Bagdad qui venait à peine d’être libéré
par les troupes de la coalition. Oui, “libéré” est bien le terme qui convient.
Si vous doutez encore du sentiment de libération éprouvé par la plupart des
Irakiens, eh bien, c’est que vous n’y étiez pas ! Ce jour-là, dans toute la
ville, on pouvait assister à la résurrection d’un pays – à son retour dans
le monde des vivants après son expérience dans les ténèbres sous Saddam Hussein.
Ce matin-là, j’étais passé au temple et je m’étais ensuite rendu aux différents
sièges des nombreux partis politiques qui venaient de rouvrir leurs portes.
Les communistes jubilaient. Victimes d’une répression féroce sous l’ancien
régime baasiste, ils pouvaient enfin reprendre du service et distribuaient
bruyamment leurs pamphlets marxistes.
Les images les plus fortes que je garde de cette Pâque à Bagdad sont celles
des dizaines de milliers de musulmans chiites qui se rendaient à pied à Kerbala
[ville sainte chiite au sud de Bagdad] pour célébrer leur fête religieuse.
Saddam Hussein avait interdit ces pèlerinages, et, pour la plupart des jeunes
hommes, c’était une première. Ils remplissaient les rues et exprimaient leur
foi avec passion tout en défilant sous les drapeaux vert et noir de l’islam.
L’Irak a tellement souffert au cours des deux années qui ont suivi que son
histoire s’apparente davantage au calvaire de la Passion qu’à la gloire de
la Résurrection. Des personnes sont mortes de façon absurde : de jeunes Irakiens
qui faisaient la queue pour s’enrôler dans la police ou l’armée, des soldats
américains
fauchés par des commandos suicides et des bombes artisanales placées sur leur
route, des familles irakiennes dont le seul crime était de s’être trouvées
au mauvais endroit au mauvais moment.
Après leur libération, la plupart des Irakiens espéraient que les Américains
leur apporteraient la sécurité, la stabilité et la possibilité de mener une
vie normale. Mais ils n’ont eu que le chaos et le sang ; et cette première
année d’occupation bâclée a permis à une insurrection implacable de s’enraciner.
Les historiens passeront la prochaine génération à essayer de savoir si les
choses auraient été différentes si les Etats-Unis avaient été mieux préparés.
En 2005, le chemin de croix de l’Irak semble prendre fin. Les élections du
30 janvier furent une sorte de résurrection après de longs mois de désespoir.
Le succès de ces élections apparaît aujourd’hui évident, mais c’était une
expérience audacieuse. L’administration Bush avait parié sur le désir de liberté
et de démocratie des Irakiens, mais, jusqu’au matin des élections, personne
ne pouvait affirmer avec certitude qu’ils en étaient autant épris que les
Américains. Les premiers électeurs sont entrés dans les bureaux de vote la
peur au ventre, mais ils n’ont pas fait demi-tour – leur volonté de voter
était plus forte que tout. Si cette expérience a donné des résultats sanglants
pour les Irakiens, et je pense pour le monde entier, ce jour-là fut une renaissance.
Ces deux dernières années, je me suis trompé bien des fois en essayant d’anticiper
ce qui allait se passer en Irak. L’Irak a immédiatement été pour moi l’histoire
à la fois la plus encourageante et la plus décourageante de toute ma carrière
de journaliste. Avec le temps, j’ai essayé de modérer ma tendance à l’optimisme
et au pessimisme : dans les moments durs, tout n’est jamais aussi catastrophique
qu’on veut le croire, et vice versa. L’attitude prudente – qui consiste à
garder espoir même quand on voit se profiler le pire – semble très appropriée
actuellement, au moment où le monde entier a les yeux rivés sur le nouveau
gouvernement irakien qui se prépare à prendre la suite. La majorité chiite
au pouvoir fera-t-elle preuve de sagesse et d’ouverture ? Ou faut-il s’attendre
à une reprise des vendettas, à d’autres chapitres de l’histoire irakienne
écrits dans le sang et à la multiplication des cœurs envoûtés par l’intransigeance
de la foi ? Difficile à dire. Nous espérons que les sacrifices faits par les
Irakiens et les Américains n’auront pas été vains. Mais nous n’en savons rien.
Et c’est cette incertitude qui inscrit cette année l’Irak dans le mystère
pascal. Il est scientifiquement impossible de savoir avec exactitude ce que
l’avenir nous réserve. Il faut garder espoir, prier et continuer à se battre.
Une seule chose est sûre : le tombeau de l’ancien Irak a été ouvert. Le pays
est-il pour autant ressuscité ? La rédemption et la gloire sont-elles au bout
du chemin ? Nul ne peut le dire. Pour l’instant, il faut garder la foi avec
les gens qui rêvaient, il y a deux Pâques de cela, qu’une vie nouvelle s’offrait
à eux.