www.nuitdorient.com

accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site

EN IRAK LE CLERGÉ A PRIS LA PLACE DE LA NATION   

 

Article par Faleh Abd Al-Jabbar, journaliste à Al-Mada                        

Traduit dans le Courrier international - n° 774 - 1er sept. 2005         

 

L’islamisation de la Constitution est le pendant logique de l’islamisation de la société: port du voile, séparation des sexes, interdiction de la musique, déplore un laïc irakien. Pendant que le monde arabe s’occupe de ses bombes, l’Irak n’a qu’une seule obsession: la Constitution. Les citoyens pianotent sur lnternet, dévorent la presse écrite, regardent la télévision et décodent chaque mot proposé. Jamais la sémantique appliquée n’avait provoqué un débat de cette ampleur ! Le point qui pose le plus problème, c’est la définition des rapports entre l’Etat et la religion, ou plus précisément la question de savoir si l’islam doit être la seule source du droit, ou simplement l’une de ses sources.
C’est là un des principaux problèmes auxquels les pays de notre région font face, aussi bien dans le domaine de la pensée que dans celui du politique, et cela depuis la montée de l’islamisme dans les années 1970. Les Constitutions des pays arabo-musulmans comportent un article mentionnant que l’islam est “religion d’Etat” comme s’il s’agissait d’une évidence, alors que la plupart des Etats du monde (précisément 140) ne font aucune référence à la religion dans leur loi fondamentale. Quant aux Constitutions irakiennes, depuis la première, en 1925, elles n’ont jamais fait allusion à la source de la législation, la seule semi-exception étant la Constitution de la Seconde République, sous Abdel Salam Aref, en 1964, dont le troisième article mentionnait que “l’islam est la religion de l’Etat et la base essentielle de sa Constitution”. Comme on le sait, cette république fit savoir au peuple irakien qu’il vivait dans un pays démocratique (sans élections) et socialiste (sous gouvernement militaire).
Il me semble que l’insistance des représentants de l’islamisme conservateur à obtenir que l’islam et la charia soient les seules sources du droit, selon le principe que “seul Dieu a droit de dire le droit”, peut parfaitement être mise en parallèle avec l’insistance des militaires à qualifier leurs républiques-prisons de “socialistes” et de “populaires” : il s’agit de prétentions purement idéologiques.
La signification de la formule disant que “l’islam est la source de toute législation” varie en réalité tout autant que ce que l’on place derrière le terme “charia”. Les interprétations sont multiples, au sein même de la jurisprudence islamique, le fiqh – qu’il s’agisse de la jurisprudence politique, des rites religieux ou des relations sociales. Cette pluralité d’interprétations, qui s’est développée au fil de l’histoire de la civilisation arabo-musulmane, est fort utile dans une perspective d’enrichissement et de développement de la pensée. Mais elle pourrait aussi se révéler parfaitement destructrice si une seule interprétation s’arrogeait le droit de monopoliser la vérité ; or la domination monopolistique de cette pensée est actuellement une réalité qui crève les yeux.
Cet appel des conservateurs à imposer l’islam ou la charia comme source unique de la loi en Irak invite plus ou moins implicitement à donner aux seuls hommes de religion le droit de dire ce qu’est l’islam, à désigner une catégorie sociale composée de quelques milliers de personnes comme seule habilitée à penser pour des millions d’autres. Le clergé prendrait la place de la nation. Or la religion n’est pas un simple système de croyances et de règles. C’est aussi une institution, dirigée par des hommes, mortels et faillibles, qui comme les autres ont leurs ambitions et leurs intérêts. Un simple regard posé sur la classe des hommes de religion nous montre qu’elle est, comme tout le reste de la société, bariolée selon leurs appartenances tribales, régionales, ethniques, et sociales. Leurs origines sociales influent sur leurs affiliations dogmatiques et idéologiques, et ils ne sont aucunement au-dessus des passions humaines.
Les efforts visant à islamiser la Constitution se déroulent parallèlement à l’activisme de la base cherchant à islamiser la société : obligation du port du voile islamique (la femme est toujours la première en ligne de mire), séparation des sexes, interdiction de se serrer les mains entre hommes et femmes, fermeture des cinémas, interdiction de la musique, fermeture des salons de coiffure pour femmes, imposition d’une coupe unique pour les hommes, assassinat de dizaines de coiffeurs à Bagdad et dans les environs. On peut ainsi résumer l’islamisation politique à la confiscation par le clergé et les islamistes du pouvoir exécutif et législatif, comme on peut résumer l’islamisation sociale à une violation de l’espace privé de l’individu et à l’imposition de nouveaux systèmes de valeurs, incluant la façon de se vêtir, de manger et de boire, etc.
Les islamistes n’ont pas d’autre programme. Ce courant conservateur rallie des ruraux, victimes de l’exode, qui jouissent en jetant des pierres sur les filles dévoilées de la ville, sont prêts à se jeter à coups de hache sur les étudiantes des universités ou à tirer des coups de feu contre les instituts de beauté. Le courant conservateur est donc une large alliance, qui déborde du monde des religieux et des leaders traditionnels pour attirer nombre de candidats à l’ascension sociale. Mais quand un tel phénomène se produit dans un Etat qui est une mosaïque de confessions et de religions, on a là la recette idéale du désastre.
C’est pour cela qu’il faut:
– reconnaître l’islam comme une des sources du droit, et je répète l’islam et non la charia ;
– exiger un article disant qu’aucune législation ne peut aller à l’encontre de la démocratie et des droits de l’homme ;
– refuser tout article consacrant une place particulière au clergé sous prétexte de le protéger des interventions de l’Etat : aujourd’hui, c’est plutôt l’Etat qui a besoin d’être protégé des divers clergés.