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LES ORPHELINS DE SADDAM

 

Ou les secrets d'alcôve financière dévoilés

Par Amir Taheri, rédacteur en chef de Politique Internationale - Paris

amirtaheri@benadorassociates.com

Article paru dans le New York Post du 19 août 2003

Traduit par Albert Soued, écrivain www.chez.com/soued

 

À moins d'un miracle de dernière minute, la plus vieille organisation politique de Jordanie, le parti socialiste panarabe du Baath  (la renaissance), va déposer son bilan dans les prochaines semaines. Son quartier général à Amman est envahi tous les jours de manifestants brandissant des factures non payées. Pis, le parti doit payer le rapatriement d'Irak de plus de 3000 étudiants Jordaniens et Palestiniens parrainés par lui. Les bourses étaient financées par le régime baathiste de Bagdad qui donnait de plus au parti Jordanien 600 $/an/étudiant. Le nouveau Conseil de Gouvernement nommé il y a un mois a annulé cette ligne dans le cadre plus large d'un programme de dé-baathification du pays. "Nous sommes coincés" dit un leader du parti Ahmad al-Najdawi, "Les gens ne comprennent pas que l'argent n'arrive plus d'Irak!"

Mais les Baathistes de Jordanie ne sont pas les seuls dans cette situation de banqueroute.

Deux leaders panarabes Libanais ont fui en France pour ne pas payer la note relative à la rémunération des manifestants pro Saddam cet hiver à Beyrouth; il en est de même pour les factures des manifestations contre la guerre organisées au Maroc, en Algérie et en Egypte et qui devaient être payées par le parti Baath d'Irak. À cette époque, toutes ces explosions "populaires" étaient perçues par l'Occident comme un signe inquiétant de la "rue arabe contre la coalition".

 

Avant qu'il ne disparaisse dans la clandestinité en avril dernier, Saddam Hussein avait occupé sur le plan politique 55 postes différents. L'un d'eux était celui de secrétaire-général du parti arabe socialiste Baath (ABSP). Le programme de ce parti avait pour but de créer un seul état panarabe de la Mauritanie jusqu'à Oman, dirigé par Saddam! Ce parti revendiquait des filiales dans tous les pays arabes. En fait, ces partis n'existaient qu'en Jordanie, au Liban, en Cisjordanie, au Maroc, en Algérie et au Yémen. Aujourd'hui il serait question que les exilés baathistes pro Saddam s'alignent sur le vieux parti Baath rival de Syrie, mais cela n'est pas sûr.

Dans une démarche hésitante afin de libéraliser le système politique du parti unique, le président syrien Bashar al Assad a demandé à son parti Baath de prendre ses distances par rapport au gouvernement. Mais la Syrie n'a pas l'autonomie financière d'un Irak et dépend de subsides venant d'Arabie ou d'Iran, entre autres, (pour pouvoir jouer un rôle quelconque). "Mais ce qui importe est de garder vivante la flamme du panarabisme" dit Taysir al Khamsi, chef de la faction pro -Saddam en Jordanie, "Nous avons perdu l'Irak, et il faut éviter de perdre la Syrie!"

 

Dans les années 50, le parti Baath était l'étoile montante en politique arabe. Fondé en 1947 par des intellectuels d'éducation française de Syrie et du Liban, le Baath était une synthèse de deux totalitarismes, le fascisme et le communisme. Son sécularisme militant plaisait aux minorités notamment chrétiennes, Alawites et Druzes. Le Baath était populaire auprès des militaires, jouant le rôle de couverture pour une série de coups d'état en Syrie et en Irak. Dans ce processus, les militaires ont transformé le Baath en une façade pour des régimes dirigés par des despotes comme Saddam et Hafez al Assad. À la fin des années 80, le Baath avait peu d'adhérents authentiques et ne tenait que par les subventions du gouvernement. Certains experts arabes pensent que la chute du régime de Saddam a sonné le glas du baathisme comme facteur politique dans la région. L'ex ministre de l'information de Jordanie Saleh al Qallab pense que "le baathisme est mort il y a longtemps, peut-être dès 1965, quant il devint la couverture de juntes militaires; pendant des années, l'argent irakien a renfloué le parti; maintenant que Saddam est parti, c'est terminé".

 

Mais les Baathistes ne sont pas les seuls orphelins laissés par Saddam. Le dictateur irakien a financé des centaines de journalistes et des soit disant hommes politiques indépendants dans pratiquement tous les pays arabes. Les documents saisis au Bureau Culturel Irakien de Londres contiennent des listes qu'on peut lire comme un "who's who" de l'élite intellectuelle panarabe.

Avec le temps, Saddam a financé des douzaines de publications arabes, des quotidiens et des hebdos basés à Beyrouth, Paris, Londres. Certains journalistes éminents recevaient des cadeaux "présidentiels", sous forme de luxueuses maisons en Europe, de voitures hors de prix ou de montres en or, le cadeau arabe classique, quoi!

Les groupes qui ont étudié les documents trouvés estiment que Saddam a dépensé plus d'un milliard $ sur 20 ans pour acheter d'éminents arabes et pour financer des partis arabes et des hommes voués à son culte. Des écrivains étaient payés des millions $ pour rédiger des comptes rendus panégyriques de sa vie. Des producteurs de films et d'émissions télévisées recevaient du cash contre des films dédiés au "Grand leader des Arabes".

Saddam a financé aussi des groupes militants palestiniens, le Hamas et le Jihad Islamique (1) et des terroristes comme Sabri Al Banna, Mohamed Abbas, Ahmed Jibril. En 2001, Saddam a commencé à financer la branche libanaise du Hezbollah. La liste de ceux qui ont bénéficié de l'argent de Saddam inclut des groupes opposants en Iran, y compris le Moujahidin Khalk et le Parti communiste kurde d'Iran qui sont tous les deux classés comme groupes terroristes par les Etats-Unis et plusieurs pays européens.

Étudiés maintenant par un groupe de recherche irakien, les documents de Londres révèlent que Saddam avait un réseau de soutien en Europe, notamment en France, en Grande Bretagne et en Autriche. Au moins 3 partis politiques français recevaient des contributions de Saddam entre 1975 et 1990. D'éminents hommes politiques français, y compris des ministres, recevaient des subsides de Saddam. De même plusieurs hommes politiques anglais dont au moins un membre du parlement sont parmi les récipiendaires des largesses de Saddam.

Menées par différents groupes, les recherches sur les documents secrets de Saddam semblent parfois désordonnées. Il est peut-être temps que le nouveau Conseil du Gouvernement en prennent le contrôle pour qu'on soit sûrs que ces documents saisis ne soient pas utilisés à des fins de vengeance personnelle ou pour des objectifs de chantage.

 

Le peuple d'Irak a le droit de savoir exactement qui a œuvré pour un régime qui a ruiné leur pays et leurs vies pendant plus de trois décennies.

Note du traducteur

(1) ces groupes militants sont aujourd'hui considérés comme "terroristes" par les Etats-Unis.

 

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