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L'Irak, Sept ans et demi Après
Par Albert Soued, écrivain, http://soued.chez.com pour www.nuitdorient.com
6 septembre 2010
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Dans l'empire ottoman, au 19ème
siècle, les Arabes pauvres de Mésopotamie, entre le Tigre et l'Euphrate se sont
convertis en masse à la shia'h, sous l'influence du voisin, l'Iran. Depuis son
indépendance en 1921et le rattachement du Kurdistan en 1925, jusqu'à
l'intervention de la coalition américaine en
Saddam Hussein est venu au pouvoir
grâce à l'armée et au parti Baath, parti nationaliste et laïc. Pour qu'il
puisse se maintenir au pouvoir, durant une grande partie de son règne, Saddam
Hussein a pratiqué d'une main de fer la "thai'fiyah", c'est-à-dire le
nationalisme irakien non confessionnel, interdisant tout discours communautaire
et toute activité sectaire. On était d'abord Irakien, ensuite Musulman, ensuite
appartenant à telle tribu, ou à telle famille. Ainsi pendant de nombreuses
générations "les sunnites" formaient les classes dirigeantes du pays,
sans apparaître comme tels, puisqu'un sectarisme caché de fait était de
rigueur. Vers les années 90, au moment où l'Islam conquérant du jihad et de la "oumma"
(nation musulmane) se répandait dans le monde, notamment depuis que le voisin
persan, devenu une république islamique, a montré ses velléités de domination, Saddam
Hussein a commencé à islamiser ses institutions, l'éducation et le culte, en
construisant des mosquées et des "madrassas" (écoles religieuses).
Les Américains ont mis fin à la
prééminence sunnite, en démantelant la police et l'armée et en interdisant le
parti Baa'th, faisant l'erreur de congédier tout l'encadrement compétent qui
faisait marcher le pays et qui n'était nullement favorable à Saddam Hussein, ni
forcément au parti Baa'th. De plus, cet encadrement essentiellement laïc
pouvait s'ouvrir plus facilement aux notions de démocratie, de liberté et de
respect de l'autre. Plus d'un million d'Irakiens techniquement compétents et
souvent de potentiels investisseurs ont dû fuir leur pays, allant se réfugier
en Jordanie pour les uns ou en Syrie pour les autres.
Le régime de Saddam Hussein s'est
effondré en un clin d'œil parce qu'il était haï aussi bien par les Kurdes
pourchassés et la majorité shiite défavorisée que par les supposés soutiens du
pouvoir de Saddam Hussein, les Arabes sunnites.
Du fait de leur erreur politique,
les Américains ont dû reconstruire, à partir de rien et dans les pires
conditions, toute la police, toute l'armée et toute l'administration d'Irak. Et
ce n'est pas terminé, malgré la promulgation de l'amnistie en 2008, permettant
de recruter des anciens cadres sunnites, même affiliés au Baath. A leur
avantage, les Américains ont donné aux citoyens irakiens le goût des élections
libres et non truquées, de la pluralité et des institutions démocratiques.
L'insécurité provient surtout de
cette erreur de gestion de l'après-guerre qui a permis aux laissés pour compte
sunnites de l'armée et de la police de s'attaquer aux banques et aux
institutions financières et de se constituer en milices agressives, s'étant
emparé de stocks d'armes et d'explosifs. Al Qaeda en a profité pour infiltrer,
avec la complaisance de la Syrie, des vétérans de l'Afghanistan, des soldats de
la terreur venant surtout d'Arabie, du Yémen et d'Algérie. Pour imposer ses
desiderata à l'Irak, l'Iran a formé et armé des milices shiites, qui
interviennent sur ordre. En 2006, on avait atteint le nombre de 100 morts
civils/j du fait des attentats terroristes, exécutés par une milice ou l'autre,
sans compter les pertes de l'armée américaine qui dépassent les 4000.
Les excès de ces milices ont été à
l'origine des succès de la contre attaque du général Petraeus en 2008/9. En
effet grâce à l'aide de la population excédée, grâce à la coopération des
tribus qui ont été protégées par l'armée, grâce à des offensives massives et
ponctuelles dans les zones où les milices étaient concentrées, Petraeus a eu
raison d'elles. En 18 mois, les pertes ont été divisées par 10.
Or depuis que Petraeus a été promu
responsable de l'Asie et depuis que le président américain a annoncé le retrait
progressif des troupes américaines d'Irak, les attentats ont repris, sans
jamais atteindre leur niveau de 2006 (moitié moins d'actes hostiles et 1/3 des
décès par attentats). Qu'en est-il ? Ce sont toujours les mêmes factions qui
agissent pour le compte de l'Iran (Force al Qods surtout) ou d'al Qaeda, ou
bien des vengeances sectaires ou tribales. Pourtant la Syrie contrôle de plus
en plus ses frontières, limitant les passages à une dizaine d'hommes-suicide
par mois. Cela suffit pour renforcer l'insécurité dans la capitale, à Mossoul
ou à Kerbala.
Les élections législatives en mars
2010 ont contribué à la recrudescence des attentats contre les civils. Et
contrairement à celles de 2005, lors de celles-ci les sunnites n'ont pas
boycotté le scrutin, présentant nombre de candidats sur des listes diverses.
Les listes shiites étant également nombreuses et divisées, aucune majorité
cohérente ne s'est dégagée du scrutin, et aucun gouvernement n'a réussi à se
former depuis cette date. Le 1er ministre sortant, le shiite Nouri
al Maliki expédie les affaires courantes, tout en espérant demeurer à son
poste.
Pourtant la sensibilité sunnite
est aujourd'hui au centre de l'échiquier politique, puisque le chef du bloc
irakien (al I'rakiya), le laïc et shiite Iyad Allaoui, regroupant une coalition
sunnite/shiite, a obtenu le plus de sièges, soit 91 sur 325, nombre insuffisant
pour gouverner. Pour ces deuxièmes législatives, Nouri al Maliki a pris la tête
d'une nouvelle formation dépassant elle aussi la communauté shiite, l'Alliance
pour l'Etat de Droit, qui a eu moins de succès que prévu (89 députés). Il s'est
donc allié avec l'Alliance Nationale Irakienne, arrivée en 3ème
position (70 députés) qui englobe la mouvance de Moqtada al Sadr (40 députés),
proche de l'Iran (2). Pour avoir une majorité de gouvernement (163 députés), il
faudrait qu'il rallie aussi la coalition kurde (43 députés). A cela se sont
ajoutés des accusations de fraude et de nouveaux décomptes des voix et une
possible invalidation d'élus soupçonnés d'avoir appartenu au parti Baa'th. La
Cour Suprême Irakienne devra trancher les litiges.
Le guide spirituel de la
communauté shiite, Ali al Sistani -- qui intervient rarement en politique -- a
appelé pourtant les partis à "accélérer la constitution d'un
gouvernement capable d'assurer la sécurité et la stabilité".
Un ancien exilé aux Etats-Unis,
Ahmed Chalabi qui avait beaucoup déçu les Américains pour ses informations
douteuses et ses mauvais conseils (3), tente aujourd'hui sa chance à nouveau,
servant d'intermédiaire entre les partis, sans que l'on sache s'il facilite la
négociation ou s'il l'embrouille. Il chercherait plutôt à se hisser à la tête
du pouvoir.
Bien que doté de structures
démocratiques plus ou moins adaptées au contexte socio-culturel, l'Irak ne
semble pas encore avoir les hommes responsables ayant la mentalité adéquate
pour mettre en marche ces structures.
D'après Karim Pakzad, spécialiste
de la région à l'Iris (Institut des Relations Internationales et Stratégiques),
il y a place pour l'optimisme, parce qu'après le départ des troupes étrangères,
pas toujours appréciées, les Irakiens vont se ressaisir par simple "honneur
national" ou par défi, profitant de la démocratie qu'on leur a laissée
pour s'auto-gouverner. Il n'est pas sûr néanmoins que l'Irak ne sombre pas dans
le chaos ou dans le giron iranien, l'avenir politique et sécuritaire de ce pays
rénové dépendant de la lutte pour l'hégémonie régionale entre l'Iran shiite et
l'Arabie sunnite.
Notes
(1) A fin août, les dernières
brigades de combat ont quitté l'Irak et il ne reste plus que 50 000 hommes
cantonnés à la périphérie des villes, hors des zones à risques, sécurisées par
les troupes irakiennes. Mais ils sont prêts à intervenir à la demande des
Irakiens. A fin 2011, ils ne seront plus que 10 000. Forte de 200 000 hommes
l'armée nationale n'est pas encore capable d'assurer la sécurité totale du
pays. Il lui faudrait encore 2 ou 3 ans.
(2) L'Iran finance 2 partis
shiites, le mouvement de Moqtada al Sadr, à concurrence de 8 millions $/mois et
le Suprême Conseil Islamique d'Irak pour 9 millions$/mois.
(3) Ahmed Chalabi est à l'origine
de l'information sur l'existence des armes de destruction massive en Irak
et il a fortement contribué au renvoi des cadres de l'armée et de la police
baa'thiste. Il a contribué au jeu sectaire, sinon à la guerre civile. Pour
le général américain Roy Odierno, il serait compromis avec un des éléments
les plus radicaux d'Iran, le commandant de la force al Qods, Kassem Souleimani.