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ON
NE PERSUADE PAS AVEC DES PHRASES
Par Ralph Peters, écrivain, auteur de "Au delà de Bagdad, nouvelles modalités de la paix et de la guerre"
Article paru dans le New York Post le 3 novembre 2003
Traduit et adapté par Albert Soued, écrivain, www.chez.com/soued
Imaginez que le gouvernement saoudien lance une campagne d'information à l'intention du public américain pour le convaincre d'adopter le style de vie "wahabite" (Islam pur et dur) et le persuader que la démocratie, l'émancipation de la femme, la transparence politique, les droits de l'homme et la liberté sont des notions obsolètes qui ne sont pas de notre intérêt.
Personne ne croira un instant que cela aura un quelconque effet sur la mentalité américaine. Or c'est la gageure que nous avons engagée, avec le président Bush, de prétendre installer la démocratie au Moyen Orient et nous n'avons déployé toute notre énergie que pour changer leur esprit "têtu". Le peu de gens qui pouvaient être persuadés le sont déjà, mais la rue arabe a une perception du monde bien différente de celle que nous voulons lui insuffler.
Les gens s'accrochent à leurs valeurs, à tout ce qui leur est familier ou confortable à l'esprit et à ce qui les rassure. Il est insensé d'imaginer un instant que si nous parvenions à trouver les bons arguments, nous pourrions convaincre les peuples du Moyen Orient de nous aimer et d'embrasser nos propres valeurs.
Les mots et les belles phrases ne peuvent altérer les convictions ancrées en profondeur, mais des mots peuvent à l'opposé raviver une haine endormie. La seule façon d'espérer voir une culture étrangère s'adapter à la nôtre est de montrer par l'exemple, la supériorité de notre approche du monde, car les faits sont plus probants et plus audibles que des mots.
Ceci ne veut pas dire que toute l'information que nous communiquons à notre public arabe est perdue, mais il faut rester réaliste et ne pas s'attendre à avoir une grande influence.
Les fausses idées généreuses de nos campus ou de notre futile diplomatie en faveur d'un discours "raisonnable" pour persuader, voire flatter sont vraiment inopérantes et même insensées. Et si vous entendez parler de "dialogue constructif", dépêchez-vous d'enfiler votre gilet pare-balles, car au bout de l'allée vous ne verrez qu'une violence redoublée.
Vous ne pouvez sortir gagnant d'un débat avec Ben Laden. Vous ne pouvez persuader ceux qui s'autoproclament vengeurs de Dieu de transformer leur folie en un débat universitaire. Et même l'homme de la rue, vous ne pouvez pas le convaincre que votre manière de lacer les chaussures est meilleure que la sienne.
Pour nous, la liberté et les droits de l'homme sont objectivement supérieurs à la torture et l'oppression. Certes les cultures du Moyen Orient semblent en déclin, peu efficaces et incapables de trouver leur place dans la modernité. Mais les Musulmans d'Eurasie ne veulent pas de notre logique pour expliquer leurs échecs. Ils veulent une revanche pour les désastres qu'ils se sont infligés. Ils veulent des excuses pour leurs régimes politiques, économiques et sociaux inadaptés. La civilisation arabe s'est mise délibérément dans un coin de l'histoire et elle décline chaque jour qui passe. C'est très humiliant et ceux qui se sentent opprimés rejettent tout argument sérieux ou réaliste. Ils préfèrent blâmer quelqu'un pour leur échec, et les Etats-Unis avec Israël sont les boucs émissaires idéaux, quels que soient les faits!
Tout le monde sait qu'on ne peut attribuer les échecs du Moyen Orient à la malice de l'Occident, pas plus que les succès de l'Occident ne sont dus aux faiblesses de l'Orient. Mais le mensonge qui apaise est l'opium de l'humanité.
Les cultures du Moyen Orient sont si impotentes qu'elles ne peuvent même pas boitiller sans la béquille psychique d'un rejet sur le "Satan" d'ailleurs comme la cause de leur handicap. Et ne me dîtes pas qu'un bonne dose d'explications bien intentionnées et bien diffusées par l'Amérique pourrait venir à bout de cette attitude négative des masses arabes à notre égard et les persuader que nous ne sommes pour rien dans leur situation et qu'ils pourraient plutôt blâmer leurs dirigeants et l'organisation de leur société. Car partout on ne fait d'abord confiance qu'à l'un des siens.
Le seul espoir que nous ayons de convaincre peut-être les populations du Moyen Orient de notre bonne foi, que leurs succès et pas leurs échecs sont dans notre propre intérêt, c'est de montrer nos objectifs sur le terrain, en les réalisant. Cependant, même si nous passons des dizaines d'années à faire le bien dans la région, les musulmans les plus fanatisés n'accepteront jamais nos idéaux de liberté et de droits de l'homme. Nous sommes dans une ère de réactions enflammées, de rage irrationnelle et de rejet global et fondamental de toute modernité.
Partout nos ennemis glorifient Dieu mais préfèrent un Satan puissant qu'ils puissent accabler pour leurs déceptions. Nous sommes assurément et pour longtemps leur souffre-douleur indispensable. Le seul espoir de construire une relation permanente avec les peuples du Moyen Orient est de se concentrer sur ce que nous savons faire le mieux, travailler. En commençant par l'Irak. Laissons la rhétorique bilieuse aux démagogues. "Faire" pour apporter un changement positif et tangible. Alors notre action parlera d'elle-même, montrera que nos détracteurs avaient tort et que nos valeurs génèrent du succès. Mais c'est une approche qui exige beaucoup de patience et de détermination. Je n'en vois pas d'autre, car on peut dénigrer des intentions, mais pas des résultats tangibles.
Le plus grand danger sur le plan de l'information ne vient pas du fait que nous n'ayons pas réussi à diffuser des nouvelles positives, mais bien les effets négatifs d'une folle rhétorique: quand un général rattaché au Secrétariat à la Défense fait des déclarations publiques qui viennent comme en écho de l'intégrisme de Ben Laden, il scie à la base tout travail de reconstruction de nos soldats sur le terrain. Les remarques insolites du général Jerry Boykin à propos de l'Islam jugé comme une religion d'idolâtres sont les signes d'une ignorance des faits et de préjugés religieux, et elles offrent une illustration extrême d'une simple évidence: il nous manque une compréhension de la région, à la fois profonde et nuancée; et ceci est impératif pour obtenir toute avancée stratégique; et nos meilleures armes, ce sont les résultats et non la rhétorique.