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L'IRANISATION
DE LA SYRIE
Par Amir Taheri,
journaliste
Article paru
dans le Jerusalem Post du 2 novembre 2006
Traduit par
Albert Soued, www.chez.com/soued pour www.nuitdorient.com
Alors que l'on
parle de machinations continues de la Syrie au Liban, on fait peu de cas d'un
plan Iranien visant à transformer la Syrie en un état "khomeyniste".
L'axe Téhéran-Damas qui défie les Etats-Unis au Moyen Orient a été constitué en
1980, quand Saddam Hussein envahit l'Iran dans l'espoir de détruire la nouvelle
république islamique.
Au début, le
régime "khomeyniste" d'Iran et la dictature baathiste de Syrie ne
semblaient pas des alliés naturels. Les "khomeynistes" avaient une
idéologie shiite radicale dont le but était un Jihad global au nom de l'Islam.
De l'autre côté, les baathistes syriens étaient des laïcs, inspirés par une
version arabe du national-socialisme, ayant pour objectif d'unir les états
arabes sous une même bannière et un même parti.
La guerre
Iran-Irak réunit les deux parties pour une simple raison: les Syriens savaient
que si Saddam gagnait la guerre, il dominerait la région sans rival,
marginalisant le Baath syrien et renverserait le régime alawite de Hafez al
Assad. Les mollahs avaient compris que seule la Syrie pouvait empêcher la
constitution d'un bloc arabe derrière Saddam.
Les mollahs
durent payer le soutien syrien sous la forme d'une réduction sensible du prix
du pétrole fourni et un cash annuel de 150 millions $. En 1982, les 2 parties renforcèrent
leur alliance en parrainant la branche libanaise du Hezbollah.
Tout au long
cependant, les Syriens prirent soin de ne pas être totalement rivés à la
stratégie iranienne. Hafez al Assad insistait pour rencontrer chaque président
américain et maintenait des contacts étroits avec Washington. Il était de même
impitoyable quand apparaissaient des tendances islamistes, massacrant des
milliers de gens de son peuple. Même au Liban, Assad n'a pas mis tous ses oeufs
dans le même panier Iranien et avait insisté pour avoir son propre
interlocuteur shiite, sous la forme du parti Amal de Nabih Berri.
Pour marquer
leurs différences les Syriens ont eu une série de petits gestes significatifs.
Par exemple, ils ont refusé les demandes iraniennes que les femmes soient
exclues des cérémonies officielles fréquentées par des dignitaires du régime
"khomeyniste" ou que l'alcool soit banni dans ces occasions. "La
Syrie est la Syrie, et l'Iran c'est l'Iran", disait le ministre de la
Défense Moustafa Tlas à un reporter en
1986. "Nous ne pouvons pas vivre comme eux et eux ne peuvent vivre
comme nous. Mais on peut travailler ensemble".
Aujourd'hui Tlas
aurait eu beaucoup d'inquiétude, car les signes sont nombreux montrant que la
République Islamique est déterminée à exporter son idéologie en Syrie. Téhéran
pense que seule une Syrie islamisée serait un allié à sa botte, pour chasser
les Américains du Moyen Orient, effacer Israël de la carte et créer une
nouvelle "puissance islamique" dont le cœur serait l'Iran. Selon
Mahmoud Ahmedinejad, l'anti-impérialisme laïc, y compris le baathisme, n'a pas
réussi à arrêter l'avance du Grand Satan américain.
Aujourd'hui,
seul l'islamisme militant peut remplir le vide laissé par la désintégration de
l'URSS et du communisme comme challengers de "l'hégémonie
impérialiste".
Travaillant avec
l'hypothèse qu'Israël et la République Islamique iront un jour ou l'autre à une
confrontation, les stratèges de Téhéran considèrent le Liban et la Syrie comme
faisant partie du glacis iranien. C'est pour sécuriser le Liban et la Syrie
comme atouts stratégiques que Téhéran avait lancé son plan du "Croissant
fertile". La 1ère phase du plan a consisté dans une campagne
d'information parrainée par l'Iran, pour jeter le discrédit sur des groupes
baathistes syriens opposés au "khomeynisme". Des centaines de cadres
baathistes, y compris d'éminents personnages, ont été mis à la retraite ou
exilés. Des cadres ayant une sensibilité plus islamique ont pris leur place.
Les nouvelles étoiles montantes connaissent l'Iran, y ont servis sur le plan
diplomatique, militaire ou dans le Renseignement. Aujourd'hui en Syrie, il faut
avoir une "saveur iranienne" pour percer dans sa carrière, à l'image
de la "saveur soviétique" d'antan.
La purge des
éléments laïcs du parti Baath, de l'armée et des services de sécurité faite par
Bashar al Assad l'a rendu plus vulnérable aux conspirations des cadres exclus.
Certains de ceux-ci ont formé des alliances avec des sunnites fondamentalistes
du régime ou avec des opposants démocrates. Ce qui a augmenté la dépendance
d'Assad de la sécurité iranienne et de la branche libanaise du Hezbollah. Selon
des sources à Damas, les Gardes Révolutionnaires Iraniens et le Hezbollah ont
envoyé des unités spéciales pour assurer la protection du président Assad.
Téhéran a réussi
aussi à tuer dans l'œuf ce que le gourou en stratégie d'Ahmedinejad, le Dr
Hassan Abbassi, appelle "la tentation américaine" de Damas. Cette
tentation vit le jour en 2003, quand Assad s'est entouré de technocrates
occidentalisés et de diplomates qui voulaient virer du côté américain, au
moment du changement de régime à Bagdad. Depuis cependant, les officiels Syriens,
surnommés par Abbassi les "emrikazadeh", (frappés par l'Amérique) ont
été réduits au silence ou forcés de changer de ton. Téhéran a réussi à
colporter la rumeur que la Syrie pouvait être la 2ème victime de la
guerre d'Irak.
Un autre
développement a forcé la Syrie à se rapprocher de l'Iran. Le meurtre en 2005 de
Rafik Hariri, premier ministre du Liban, a détruit les ponts entre Damas et les
pays arabes modérés. Aujourd'hui ces régimes arabes ne souhaitent plus de
relations amicales avec la Syrie. Et la Syrie a perdu l'allocation annuelle de
l'ordre de 250 millions $ qu'elle recevait d'Arabie Saoudite depuis 1991. Plus
la Syrie est isolée plus ses dirigeants sont obligés de dépendre du pouvoir
iranien. Pour se protéger des supposés plans américains destinés à changer son
régime, Assad se rapproche des mollahs … qui veulent aussi changer son régime.
En juin dernier, la Syrie a fait ce qu'elle n'avait jamais fait auparavant lors
de son alliance avec l'Urss, elle a signé un pacte de défense avec la
République Islamique. Ce pacte donne un accès direct de l'Iran à l'appareil
militaire syrien, avec des relations conjointes des échelons supérieurs et
moyens, une harmonisation des systèmes d'armes et de l'entraînement, et des
exercices militaires conjoints. Selon ce pacte, toute attaque contre une partie
est considérée comme une agression contre l'autre partie. Une conséquence de ce
pacte a été la multiplication par 4 du nombre du personnel militaire et de
sécurité iranien en Syrie.
"L'Iran
essaye de jouer le rôle de l'Union soviétique en Syrie, lors de la guerre
froide" précise un
ex-membre du cabinet d'Assad. "C'est la grande puissance régionale et
elle se conduit comme telle".
De nombreux
développements confirment ce point de vue.
- L'Iran a accru
les bourses offertes aux Syriens, y compris pour l'entraînement militaire, de
200 en 2001 à 3000 cette année.
- Assad a levé
l'interdiction aux Syriens de suivre des séminaires islamiques en Iran, permettant
à plus de 170 étudiants d'aller à Qom pour y participer.
- L'interdiction
concernant les centres culturels iraniens en dehors de Damas a été levée.
Aujourd'hui il y a 11 centres d'endoctrinement "khomeyniste" dans les
villes de Syrie, incluant Alep et Latakyeh. A fin septembre 17 000 Syriens ont
suivi des cours pour apprendre le Farsi et étudier la philosophie de l'imam
Khomeyni.
- L'Iran a
envahi l'économie syrienne. Des centaines de sociétés, des banques aux
entreprises de construction, emploient des milliers de gens dans un pays où le
chômage est endémique. L'Iran est devenu le second partenaire commercial après
l'Union européenne.
- La Syrie a
accepté d'augmenter le nombre des pèlerins Iraniens visitant le site sacré
shiite de Zeynabyek, près de Damas, de 150/j à 1000/j. Certains critiques
prétendent que ce pèlerinage est une couverture pour l'introduction permanente
dans le pays des Gardes révolutionnaires.
- Les réseaux de
télévision et de radio iraniens diffusant en arabe sont maintenant accessibles
dans tous les foyers syriens, alors que tout média arabe non syrien est
interdit.
- Assad a permis
à 41 organisations charitables d'opérer en Syrie. Celles-ci utilisent les
méthodes du Hezbollah et du Hamas pour fournir des services tels que les
cliniques, les écoles, les agences de prêt sans intérêt et des allocations pour
se marier.
- Les femmes qui
acceptent de porter le hijab "khomeyniste" et les hommes qui portent
la barbe reçoivent des cadeaux et des emplois préférentiels dans les sociétés
iraniennes opérant en Syrie. Le "look" khomeyniste est devenu un
"must" en Syrie.
- Le
prosélytisme shiite est aujourd'hui autorisé en Syrie, permettant à des
centaines de mollahs iraniens de convertir des sunnites à la shia'h. On est
informé de conversions de masse de la secte shiite alawite à la quelle
appartient le clan Assad vers la shia'h duodécimaine de l'Iran. Normalement la
shia'h d'Iran considère les alawites comme des hérétiques, car leur doctrine
contient des éléments ésotériques. Néanmoins l'an dernier 2 ayatollahs de Qom
ont déclaré que les "alawites" faisaient partie de la "oummah"
de l'Islam et ils ont autorisé des échanges théologiques avec eux, ouvrant la
voie à la conversion.
- Au Liban,
l'Iran essaie de saboter l'influence syrienne, en marginalisant le parti Amal
et en établissant des contacts directs avec le bloc chrétien mené par l'ex
général Michel Aoun. Téhéran veut que Berri et Aoun se mettent sous la bannière
d'un front mené par le Hezbollah.
- La guerre au
Liban de l'été dernier qui s'est terminée par la "grande défaite"
d'Israël, selon l'Iran, a renforcé ceux qui soutiennent l'axe Damas-Téhéran, au
sein des élites syriennes.
Le régime d'Assad
est typique des pays arabes qui ne peuvent survivre sans le soutien d'une
puissance extérieure. A un bref moment en 2003/4, on pensait que les Etats-Unis
allaient devenir "le supporter" de la Syrie. Mais depuis on a laissé
Assad sans autre option que de se mettre sous la protection de l'Iran. Et
cela rend plus probable un affrontement de l'Amérique avec la République Islamique.