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Obama et le Mirage Syrien

 

Par Michael Young

Now Lebanon 31/12/2010

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Le 29 décembre, le président américain a nommé l'ambassadeur des Etats-Unis en Syrie, où le poste était vacant depuis cinq ans. Il est tombé à pieds joints dans le piège du régime syrien, estime le webzine Now Lebanon.

Le diplomate Robert Ford a été auditionné par le Sénat le 16 mars 2010, à Washington, pour sa nomination comme ambassadeur des États-Unis en Syrie.

Barack Obama l'a nommé. Le président des Etats-Unis a profité de la suspension des séances au Congrès -- pour les fêtes de fin d'année -- pour confirmer la désignation de plusieurs ambassadeurs, notamment celui attaché à la Syrie, Robert Ford, dont l'approbation avait été retardée par le Sénat. Il s'agit d'une décision qui ne manquera pas d'irriter les Républicains, désormais majoritaires à la chambre des Représentants, mais surtout décision qui se révèle aussi incroyablement stupide.

Pour le comprendre, revenons à l'un des câbles diplomatiques américains révélés ces dernières semaines par Wikileaks. Daté de février 2009 et rédigé par l'ambassade des Etats-Unis à Paris, ce message, relatait une rencontre avec Jean-Claude Cousseran, ancien ambassadeur de France en Syrie et spécialiste des conciliations diplomatiques, venu discuter des moyens de faire de la Syrie un partenaire actif.

Cette rencontre intervenait un an après que JC Cousseran et le ministre français des Affaires étrangères de l'époque, Bernard Kouchner, eurent œuvré pour faciliter l'élection d'un président au Liban, à la fin du mandat d'Emile Lahoud. Ces efforts de médiation avaient échoué en raison de l'intransigeance syrienne et Cousseran avait donc décidé d'offrir ses services aux Américains, selon Mark Pekala, chargé de mission à l'ambassade américaine, signataire du câble : "[Cousseran] exhorte Washington à  exiger un engagement tangible de la part du régime syrien. Les Syriens sont passés maîtres dans l'art du non-engagement, a-t-il mis en garde, et aiment offrir à leurs visiteurs de longues conversations aussi charmeuses que charmantes, avant de les congédier sans rien leur avoir accordé."

Un conseil on ne peut plus avisé que Barack Obama vient d'ignorer en envoyant Robert Ford à Damas, en échange de rien de tangible. Son gouvernement va devoir expliquer de façon convaincante pourquoi il a pris volontairement le risque des foudres du Congrès, afin d'imposer une désignation condamnée à ne rien apporter à Washington. Dans le câble en question, Mark Pekala précise également que Jean-Claude Cousseran a mis en garde Washington contre de trop grandes ambitions : "Si les Etats-Unis visent des objectifs trop élevés, comme convaincre la Syrie de couper toute relation avec le Hamas ou le Hezbollah, ils n'obtiendront rien," estimait alors le Français.

Et il avait incontestablement raison. Car un obstacle structurel entrave une amélioration des relations américano-syriennes: Washington souhaite impliquer la Syrie de façon à ce qu'elle renonce à des alliances qu'elle n'acceptera jamais de briser, car ce serait pour elle s'exposer à un tel affaiblissement politique que son implication même perdrait tout son sens. Le président syrien Bashar El-Assad a toujours voulu qu'Obama cède, sans jamais offrir quoi que ce soit de sérieux en contrepartie. En envoyant Robert Ford en poste à Damas, le président américain a sauté à pieds joints dans le piège du dirigeant syrien.

Face à l'opposition du Congrès, le gouvernement Obama a mollement défendu la désignation de Ford, certains fonctionnaires gouvernementaux assurant que cette nomination allait permettre à Washington de mieux faire passer son message à Damas. Foutaises. Il y a bien des moyens de se faire comprendre par la Syrie, sans pour autant excuser le fait que, depuis le retrait de l'ambassadeur précédent il y a cinq ans, au lendemain de l'assassinat [le 14 février 2005] de l'ancien Premier ministre libanais Rafik Hariri, le régime d'Assad n'a pas bougé d'un cil sur les enjeux jugés importants par les Etats-Unis - ni le Liban, ni les relations inter-palestiniennes, ni l'Irak, ni l'aide syrienne à l'Iran et au Hezbollah, ni les négociations avec Israël.

Mais il y a pire, car si JC Cousseran a raison, en particulier sur le fait que les Etats-Unis ne doivent pas viser trop haut en demandant à la Syrie de couper ses liens avec le Hezbollah et le Hamas, une question s'impose : mais qu'est-ce que le gouvernement Obama peut bien se permettre de demander à Damas ? Ni la Maison-Blanche ni le ministère américain des Affaires étrangères n'ont avancé la moindre réponse explicite à cette question. Et tandis qu'un climat d'incertitude général plane au-dessus de Washington, quelle est la stratégie globale des Etats-Unis à l'égard de la Syrie ?

Et si Ford est un émissaire, quels messages précis s'apprête-t-il à transmettre ?

Aucun en particulier, en réalité. Obama a fait sa liste de souhaits. Il espère toujours une avancée des négociations entre Arabes et Israéliens et aimerait avoir à Damas quelqu'un qui facilite cette avancée. Reste que le président américain a fait les choses à l'envers.

Il n'aurait dû envoyer Robert Ford en Syrie qu'à la condition qu'Assad fasse une authentique concession : par exemple, que Damas accepte des inspections de l'Agence internationale à l'énergie atomique (AIEA) auxquelles le pays se refuse jusqu'à présent, ou encore que la Syrie consente à renouer des négociations directes avec Israël, ou bien, à tout le moins, qu'elle participe à une rencontre au sommet médiatisée qui ranimerait les pourparlers israélo-syriens. Le problème est que ni la Syrie, ni Israël ne sont disposés à lancer des initiatives bilatérales, tout simplement parce que l'option israélo-syrienne est à l'agonie. Quoi qu'il en soit, Obama n'avait aucun intérêt à montrer ainsi sa carte quand il aurait dû exiger de la Syrie qu'elle paie pour voir.

Le président américian se défendrait sans doute en rappelant qu'il disposait d'un créneau très court pour mettre Robert Ford dans un avion pour Damas, avant la réouverture de session du Congrès, et qu'il a donc tenté sa chance. Quel admirable raisonnement pour une décision si importante : la précipitation et la dissimulation comme piliers de sa politique étrangère. Tentons une petite prédiction : Robert Ford va faire le poireau à Damas sans parvenir à grand-chose, car Assad, lui, a obtenu ce qu'il voulait. Il est désormais en mesure de temporiser indéfiniment avec Washington et n'aura pas à renoncer à quoi que ce soit, puisque Obama n'a pas la moindre idée de ce qu'il veut vraiment de la Syrie.