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Les sinueux chemins
de Damas
Par Antoine Basbous - Le Figaro Magazine du 09 octobre 2004
La France et les Etats-Unis viennent ensemble de réclamer la libération du Liban de toute tutelle étrangère. Mais la Syrie continue de jouer une partition trouble, comme on a pu le voir dans la prise des otages français en Irak et dans la récente tentative de leur libération qui a tourné au fiasco.
Une fois n'est pas coutume : Paris et Washington ont accordé leurs violons et permis à l'espoir de renaître pour tout un peuple. En faisant adopter la résolution 1557 par le Conseil de sécurité des Nations-Unies, début septembre, ils ont replacé le Liban sur la carte du monde en l'arrachant à une annexion de facto. Damas a transformé son voisin en colonie fort juteuse et violé sa Constitution et ses lois. La résolution 1557 a internationalisé la crise du Liban et promis de sortir le pays d'un tête-à-tête inégal avec Damas. Après le retrait d'Israël, il est impératif d'établir une «feuille de route» qui programme le retrait syrien afin que le Liban recouvre son indépendance.
Mais la Syrie ne semble pas vouloir se soumettre au verdict du Conseil de sécurité. Elle est suspectée d'avoir répliqué en tentant d'assassiner un opposant libanais, l'ancien ministre Marwan Hamadé, un Français par sa mère, et le bras droit du chef druze Walid Joumblatt. Comme elle continue de jouer une partition pour le moins trouble dans la prise des otages français en Irak et dans la récente tentative de leur libération qui a tourné au fiasco.
Le Liban n'a que trop souffert et depuis trop longtemps. Il est aujourd'hui exsangue : un endettement supérieur à 38 milliards de dollars ; une hémorragie continue de ses élites remplacées par près de un million d'étrangers, majoritairement syriens, naturalisés grâce à un seul décret ; un pouvoir corrompu et volontairement soumis aux intérêts syriens... Dans son écrasante majorité, la classe politique collabore de son plein gré avec Damas. Pire encore, certains dirigeants rivalisent pour être accrédités par l'occupant. Contrairement aux normes qui veulent qu'un agent soit payé par son employeur, il existe au Liban des collaborateurs qui font des surenchères pour acheter leurs charges à prix d'or, servir leurs maîtres et se servir au passage. C'est ainsi qu'est née une alliance d'intérêts entre les occupants et le régime qu'ils ont installé, avec pour cause commune le maintien du statu quo.
A côté de cette classe servile, il existe beaucoup de dirigeants dont l'ambition est de retrouver un Liban démocratique, prospère et solidaire de son environnement arabe. De Walid Joumblatt au cardinal maronite Nasrallah Sfeir, en passant par des représentants d'autres communautés, un axe patriotique a déjà vu le jour et se consolide au fil des ans.
Plusieurs dirigeants politiques ont depuis longtemps fait leur mea culpa et oeuvré pour tourner la page de la guerre et de l'occupation. Ils ont trouvé dans la résolution 1557 un instrument inespéré : celui de permettre enfin aux Libanais de reconstruire leur Etat de droit, leur société civile, leurs institutions, leur démocratie, une alternance politique par les urnes...
La «chute» du Liban est intervenue dans un contexte régional et international
marqué par la guerre froide, qui a permis à la Syrie totalitaire d'attiser le
feu chez son voisin pour simuler une intervention pour l'éteindre. Leurré,
l'Occident s'en est longtemps accommodé. Mais les temps ont changé :
l'effondrement de l'URSS, parrain du régime syrien, puis l'émergence de la
menace islamiste, après le 11 septembre 2001, ont conduit l'Occident à remettre
en question son indulgence vis-à-vis des régimes totalitaires et à oeuvrer à
leur démocratisation. Après avoir confié le Liban à sa «grande soeur», qui vit
sous le régime d'Etat d'urgence depuis un demi-siècle et qui l'a mis en coupes
réglées, l'Occident semble décidé à l'en libérer. A juste titre puisque ce pays
est culturellement pluraliste et ouvert. Il a connu l'expérience démocratique
la plus aboutie du monde arabe.
Les patriotes libanais ne souhaitent qu'une chose : que le Conseil de sécurité prenne le destin de leur pays en main, les délivre de la grande prison syrienne, les aide à retrouver leur liberté bafouée par des milliers de soldats et autant de moukhabarats et par une main-d'oeuvre envahissante qui entre au pays sans permis ni visas comme dans un moulin et prive les nationaux d'emplois. Ils ne croient plus aux promesses de leurs dirigeants qui étouffent leur soif de liberté et d'indépendance par des considérations fumeuses liées à la cause palestinienne ou à la sécurité pour prolonger le règne de la répression, de l'intimidation et de la manipulation policières.
Coup de colère contre coup de menton
Les Libanais espèrent que les présidents Chirac et Bush ne faibliront pas, ne
reculeront pas et ne se diviseront pas sur ce dossier. Et que le Conseil de
sécurité décide d'un suivi régulier, accompagné de mesures contraignantes pour
mettre un terme à l'occupation. Car le régime syrien, qui manie le double
langage et la diversion, n'agit qu'en fonction du rapport des forces. Le récent
«redéploiement» des trois mille soldats en treillis n'a pas entraîné le retrait
d'un seul bureau de moukhabarats. Ces derniers sont installés dans chaque
ministère, quartier ou village et gouvernent le pays dans les moindres détails.
Au cas où l'armée syrienne aurait franchi la frontière internationale, il
serait normal que les deux pays entretiennent les meilleures relations de
voisinage et qu'enfin Damas accepte de reconnaître le Liban en installant une
ambassade et un consulat à Beyrouth. L'angoisse des Libanais est que la
résolution 1557 se révèle comme un coup d'épée dans l'eau ou comme un coup de
colère sans lendemain ; et que la Syrie fasse des concessions périphériques
pour calmer Paris et Washington afin de «sauvegarder sa colonie» libanaise. Les
présidents français et américain ne doivent pas décevoir tant d'espoirs placés
sur leur tardive action. Or, ils ont les moyens de faire plier une Syrie
affaiblie et qui ne peut plus user du terrorisme d'Etat contre leurs intérêts.
Des patriotes libanais, toutes communautés confondues, veulent ressusciter un modèle démocratique et moderne après leur douloureuse expérience de la guerre et de l'occupation. Le chemin sera long et périlleux, dans un Orient truffé de crises. Mais personne n'a le droit de garder les Libanais dans leur geôle actuelle pour satisfaire les intérêts d'un pyromane déguisé en pompier.