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Un Nouveau Front en Syrie, 

 les Kurdes face aux Islamistes

 

Par Edouard Dufrasne

Metula News Agency -1/08/13

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La situation de la population kurde se détériore rapidement dans le nord de la Syrie.

Ce matin, dix personnes qui se rendaient à leur travail ont été enlevées sur une route proche d’Afrine, une localité de 35.000 habitants située au nord d’Alep, à quelques kilomètres de la frontière turque. On ignore encore leur exacte condition.

Dans la province d’Alep, des attentats et des combats violents se déroulent depuis plus de quatre jours entre, d'une part, les combattants kurdes, et de l’autre, ceux de l’organisation EIIL (l'Etat Islamique en Irak et au Levant), du JAbhat al Nosra et des brigades de l'ASL, l’Armée Syrienne Libre.

Les islamistes ont bombardé Tal Aran et Tal Assal, deux villages au sud-est de la ville d’Alep, et fermé toutes les routes qui y mènent. Ils auraient en outre massacré cinquante civils kurdes, dont des femmes et des enfants, qui tentaient de s'enfuir.

Dans ces deux localités, un autre drame se joue en ce moment-même. Et là aussi, ce sont les Kurdes qui en sont les victimes.

 

Selon nos sources, les islamistes de l'EIIL y ont capturé entre 300 et 350 Kurdes – hommes, femmes et enfants. Ils auraient, dès le départ, séparé les hommes des femmes. Au cours de ce "tri", plusieurs hommes  - on ignore encore leur nombre exact - auraient protesté et auraient été sommairement exécutés sur place. Les femmes seraient les victimes d’humiliations, forcées notamment de se déshabiller en public.

Quant aux enfants, leur sort est pire encore. Les combattants islamistes les auraient regroupés dans une école locale et leur feraient réciter de force la Shahada (profession de foi de l’islam qui en constitue l’un des cinq piliers). Une phrase simple et brève : "Je témoigne qu'il n'y a pas d'autre dieu qu'Allah et que Mahomet est son messager". Ceux qui ne la déclament pas correctement au goût des djihadistes se voient infliger un simulacre d’égorgement. L’hystérie collective régnerait dans cet établissement scolaire.

 

Les Kurdes de Syrie ont décrété la mobilisation générale

Ce sort réservé aux Kurdes s’explique par le fait que les brigades al-Nosra et leurs alliés auraient reçu pour consigne de "traiter les Kurdes comme des athées", ce qui, pour ces extrémistes musulmans, en fait des ennemis.

La situation dans le Nord s’est donc dramatiquement dégradée pour les populations kurdes depuis deux semaines, et le début des combats entre rebelles islamistes et milices kurdes, les YPG – prononcez Yapaga-, ces "Comités de Protection du peuple Kurde",  qui dépendent du Parti de l’union démocratique (PYD).

Et c’est désormais tout le Nord qui s’embrase sur un nouveau front, celui qui oppose les islamistes aux Kurdes. "Avant, le calme régnait dans les zones kurdes du nord-est de la Syrie, il n’y avait aucune animosité entre les populations arabe et kurde qui se côtoient tous les jours", nous explique une source kurde en contact permanent avec les belligérants sur le terrain. "Mais depuis que Saleh Muslim - co-président du PYD, le parti le plus puissant des Kurdes de Syrie, et le seul possédant une branche armée digne de ce nom - a décrété, il y a deux semaines, l’autogestion des zones à majorité kurde [la province de Hassaka et des portions de la province d’Alep], pour une période test de trois mois, la Turquie a réagi en les faisant attaquer par les djihadistes qu’ils financent et soutiennent".

Selon notre interlocuteur, les Kurdes constituent un peuple pacifiste, mais qui refuse de se voir imposer la Sharia, tout en cherchant à éviter le conflit. Mais quand on lui demande l’attitude à adopter face à ce rapt de plus de 300 de ses compatriotes, sa réponse est claire. « Nous préférons le dialogue, mais comment négocier avec des fous pareils ? Il va falloir que la Yapaga attaque ».

Sa confiance est pourtant toute relative quant à l’issue de la confrontation qui tend à se généraliser. "Les comités de défense sont jeunes. Ils ont pour eux la volonté, mais manquent d’expérience et surtout de moyens techniques. D’armes, pour être clair.

Le terrain non plus n’est pas à leur avantage - Ce n’est pas la Turquie, il n’y a pas de montagnes où les populations civiles peuvent se cacher. Dans cette région, tout est plat, on voit à des kilomètres, alors imaginez les ravages que des tanks par exemple peuvent causer.  Si la communauté internationale ne nous aide pas rapidement, il va y avoir de véritables massacres", conclut-elle. Car les Kurdes n’ont tout simplement pas assez d’équipement et d’armement pour repousser les attaques djihadistes qui s’intensifient jour après jour.

Autre contrainte majeure pour les Peshmergas, le nom traditionnel des combattants kurdes, ils évoluent, dans la région des combats d’Alep, dans un environnement où ils ne sont pas majoritaires dans la population. Et ils ne possèdent pas de moyens de transport modernes et sécurisés pour acheminer des renforts à partir de leurs fiefs du Nord-Est.

 

Et face à cette intensification des combats, les "Comités de Protection du peuple Kurde" ont d’ailleurs lancé avant-hier un message de mobilisation générale, à "tous ceux qui peuvent porter des armes (…) pour protéger les zones qu’ils contrôlent des attaques de l’Etat islamique d’Irak et du Levant et de Jabhat al-Nosra".

Depuis deux semaines maintenant, les Kurdes émergent au premier plan de la macabre scène syrienne. Ils s’étaient pourtant faits discrets depuis le début des troubles, qui ont débuté, rappelons-le, il y a déjà 27 mois. Mais désormais, ils sont aux premières loges, et les affrontements les opposant aux factions islamistes opérant contre les troupes de Béchar al Assad ont fait une trentaine de morts la semaine dernière autour de Ras Al-Aïn, ville kurde du Nord-Ouest, frontalière de la Turquie.

Les Kurdes n’ont apparemment pris les armes que pour se défendre face aux islamistes. Mais pour défendre quoi au juste ? Des biens, des personnes ? En fait, tout un territoire, le Kurdistan occidental.

 

Car au-delà des considérations sécuritaires de ce peuple, qui constitue près de 15% de la population syrienne forte de 23 millions d’âmes (1), pointe une revendication territoriale et nationaliste : l’indépendance des zones kurdes, qui s’étendent sur les frontières nord-est de la Syrie, avec la Turquie, l’Iran et l’Irak.

"Au XXIème siècle, si le Kosovo a pu devenir indépendant, pourquoi pas le Kurdistan ?", s’interroge Leyla Pekoz Kaliskan, l’une des leaders historiques de la lutte pour l’émancipation kurde. "Cela réparerait une grande injustice qui perdure depuis la fin de la 1ère guerre mondiale".

Mais Leyla Pekoz, qui vit désormais à Paris, n’est pas dupe pour autant : "Le rêve des Kurdes est le cauchemar de la Turquie et de la Syrie", assène-t-elle, déterminée pourtant à voir un Etat kurde naître un jour.

 

Turquie et Syrie sont effectivement férocement opposées à toute velléité d’indépendance de ce peuple kurde de 30 millions de personnes, qui possède pourtant toutes les caractéristiques qui le mettent en droit de disposer d’un Etat souverain. Langue propre, culture, et même diversité religieuse en sont quelques-unes.

 

La Syrie a montré sa détermination à tuer dans l’œuf la tentation indépendantiste.

En 2004-2005, Bachar al Assad a choisi d’anticiper les possibles conséquences à l’intérieur de ses frontières de la création en Irak d’une zone autonome kurde, en réprimant durement les Kurdes.

Et nul n’est besoin de s’étendre sur le traitement réservé aux membres du PKK en Turquie, également considéré comme une organisation terroriste par les Etats-Unis et l’Union Européenne.

En Turquie, toutefois, on a décidé d’entamer des pourparlers avec le PKK, et notamment avec son chef, Abdullah Öcalan, qui purge depuis 1999 une peine de prison à vie dans une geôle du régime d’Ankara.

Il y eut aussi récemment trois rencontres entre le chef de la diplomatie turque, Ahmet Davutoglu, et Mohammed Saleh Muslim, le chef du PYD, dont la dernière, pas plus tard que vendredi dernier.  Ankara, à cette occasion, a à nouveau mis en garde le PYD contre toute ambition autonomiste à sa frontière. Mais deux jours plus tard, elle changeait apparemment d'attitude en s’engageant à fournir aux Kurdes une aide humanitaire.

 

En Syrie aussi, le pouvoir aux abois a changé son fusil d’épaule, et ne considère plus les Kurdes comme des citoyens de seconde classe.  Certains affirment, ces derniers jours, que la militarisation des Kurdes est la preuve de leur volonté de créer un territoire indépendant. Or, de facto, profitant du tumulte créé par la Guerre Civile, ils jouissent de cette autonomie depuis près de deux ans maintenant.

Dès le début de l’insurrection, Damas avait décidé de lâcher du lest dans le Nord-Est, préférant laisser les Kurdes s’autogérer, ce qui a permis au régime de débloquer des troupes ô combien nécessaires pour batailler sur d’autres fronts.

Et il y a un an, l’Armée s’est purement et simplement retirée de neuf localités kurdes. Assad a donc agi un peu à la manière de Saddam Hussein en 1991, qui avait momentanément délaissé le Kurdistan irakien durant la Première Guerre du Golfe, avant toutefois de durement réprimer ses habitants en juillet de la même année.

D’une certaine manière, l’enlisement du conflit fait l’affaire des Kurdes, comme ce fut le cas en Irak, dont la Constitution entérine, depuis 2005, l’existence de la "région autonome du Kurdistan". Les Kurdes de Syrie en sont bien conscients, et tentent de profiter de cette conjoncture pour faire avancer leur revendication.

Le chemin est pourtant encore long, car ni Ankara ni Damas n’ont l’intention de laisser partir les Kurdes. Trois raisons à cela.

- Tout d’abord, la création de ce nouvel Etat équivaudrait à une amputation conséquente de territoire, tout spécialement pour la Turquie.

- Ensuite, parce que cela créerait l’émergence d’une nouvelle puissance au sein même de la région.

- Et le terme de puissance n’est pas galvaudé : un grand Kurdistan serait riche en pétrole, et donc influent. C’est là le point le plus important, le nerf de la guerre. Et c'est la troisième raison pour laquelle Syrie et Turquie se montrent intransigeantes: l’or noir. Aucun gouvernement sensé n’accepterait de son plein gré la perte des revenus engendrés par le pétrole.

 

Reste que les Kurdes y croient. Et ils ont des atouts à jouer, en cette période de chaos. C’est le temps des opportunités pour ceux qui rêvent de la création d’un grand Kurdistan.

Un signe qui ne trompe pas, l’organisation le mois prochain à Erbil (Kurdistan irakien) d’un congrès réunissant les représentants des quatre parties du Kurdistan : Irak, Iran, Syrie et Turquie.  Il s’agira là d’une première.

Ce projet est à l’ordre du jour depuis plusieurs années, mais ce n’est que maintenant que la situation internationale permet de l’organiser. Selon les Kurdes auxquels nous avons pu parler, leur peuple contient en son sein toutes les mouvances et toutes les idéologies. Mais si un danger ou une opportunité se présente, ils forment alors un bloc.

Une question, toute simple en fait, me vient à l’esprit au moment de conclure : peut-on réellement aller éternellement à l’encontre de la volonté d’un peuple ? Juifs et Arméniens, entre autres, sont passés par cette phase d’apatridie. Ils ont connu l’oppression. Mais leur détermination a fini par vaincre les résistances extérieures. Il y a donc un espoir réel pour les Kurdes, s’ils arrivent à saisir les opportunités qui se font jour et, ne soyons pas naïfs, si la communauté internationale et les puissances qui s’affrontent à travers la Syrie, cessent de disposer de l’énergie nécessaire pour s’opposer à leur projet.

 

Note

(1) la plus grande minorité de Syrie, plus importante que les alaouites au pouvoir, que les Druzes et les chrétiens