LE HEZBOLLAH, VRAI MAÎTRE DU LIBAN-SUD
Le mouvement chiite veut faire échouer le dialogue israélo-palestinien

De notre envoyé spécial Patrick Saint-Paul à Misgav Am (frontière israélo-libanaise)
Le Figaro du 15 février 2005

 

Le président Jacques Chirac a déclaré que la question du Hezbollah était «complexe» et devait être examinée «dans tous ses aspects» lors d'un entretien hier avec le ministre israélien des Affaires étrangères, Sylvan Shalom. Ce dernier ne semble pas avoir convaincu la France de considérer le Hezbollah comme «une organisation terroriste», alors qu'il a souligné qu'il était «très important de l'inclure sur la liste des organisations terroristes de l'Union européenne».

 

Juché sur son poste d'observation, le colonel israélien refuse la paire de jumelles qui lui est tendue. Celles-ci sont inutiles pour examiner les positions du Hezbollah, situées à quelques centaines de mètres, de l'autre côté de la ligne bleue, la frontière séparant Israël du Liban-Sud. Les drapeaux jaunes du mouvement chiite libanais claquent au vent. Ses positions militaires, qui parsèment les collines, sont familières à Tsahal, qui les occupait avant son retrait du Liban, en mai 2000. Selon Israël, le Hezbollah est aujourd'hui la principale menace pesant sur les fragiles espoirs de paix entre Israéliens et Palestiniens, nés ces dernières semaines.


«C'est simple, explique le colonel Lior, numéro deux du commandement régional Nord. Le Hezbollah s'est installé dans toutes les positions militaires que nous avions abandonnées en 2000. De là, ses hommes peuvent regarder en Israël, observer tous nos mouvements. C'est un gros problème pour nous. Le Hezbollah est à cheval sur la ligne bleue, nous privant de toute profondeur stratégique pour mener des opérations défensives. Ses combattants peuvent tester nos défenses à tout moment. Nous avons le droit de riposter, mais pas de tirer en premier.» L'armée israélienne a recensé quelque 200 attaques anti-israéliennes du Hezbollah à la frontière avec le Liban depuis mai 2000 : treize soldats et sept civils ont été tués dans ces attaques.


Fondé en 1982 pour chasser les forces israéliennes du Liban, le mouvement chiite pro-iranien n'a pas déposé les armes après le retrait de Tsahal en 2000. Après le retrait des forces israéliennes, le Hezbollah a pris le contrôle militaire du Liban-Sud, où le gouvernement libanais exerce une autorité plus que discrète. «Le Hezbollah est le principal facteur de déstabilisation dans la région, estime le colonel Lior. En face de nous, il y a deux pays : le Liban et le Liban-Sud. Si le gouvernement libanais était totalement libéré de la tutelle syrienne, nous serions déjà en paix avec le Liban.» Israël réclame à ce titre l'application de la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU, qui appelle au retrait militaire syrien du Liban, au désarmement du Hezbollah et de ses combattants déployés dans le sud du pays.


Revendiquant la région des fermes de Chebah, le Hezbollah entretient un conflit de «basse intensité» avec l'Etat hébreu et ne cache pas son soutien à certains mouvements armés palestiniens. De l'aveu de ses dirigeants, le Hezbollah n'a pas pour seule ambition de «libérer» le territoire libanais de toute présence israélienne. Il promet aussi de poursuivre la lutte jusqu'à «la libération» de Jérusalem. «Privé de la cause du Liban-Sud, le Hezbollah a besoin de justifier son existence auprès de ses principaux financiers, l'Iran et la Syrie, juge le colonel Lior. Au moindre incident à Gaza ou en Cisjordanie, le Hezbollah fait monter la tension ici.» La dernière fois, c'était le jour de l'élection présidentielle palestinienne, lorsque le Hezbollah a tué un soldat israélien à la frontière, pour faire monter la tension au moment où les Palestiniens élisaient Mahmoud Abbas.


Depuis son élection, Mahmoud Abbas, dit Abou Mazen, tente d'imposer une trêve aux mouvements armés palestiniens. Et le Hezbollah est devenu la principale cible de ceux qui veulent faire respecter le cessez-le-feu israélo-palestinien, promis au sommet de Charm el-Cheikh. Le mouvement chiite libanais est accusé de tout mettre en oeuvre pour faire dérailler la fragile reprise du dialogue israélo-palestinien. Selon Israël, le Hezbollah apporte une aide financière et logistique au Djihad islamique et aux Brigades des martyrs d'al-Aqsa pour mener des actions anti-israéliennes. «Nos services de renseignement ont intercepté plusieurs terroristes, qui ont reconnu avoir été envoyés par le Hezbollah», affirme le colonel Lior.


La semaine dernière, plusieurs sources politiques et militaires palestiniennes ont affirmé que le Hezbollah aurait augmenté les primes accordées aux activistes palestiniens pour mener des actions anti-israéliennes : celles-ci s'élèveraient désormais à 100 000 dollars. Selon le quotidien britannique Daily Telegraph, qui cite une source palestinienne, la vie de Mahmoud Abbas serait directement menacée, le Hezbollah préparant un attentat contre le nouveau président palestinien.


Israël, qui se bat depuis plusieurs années pour faire inscrire le Hezbollah sur la liste des «organisations terro ristes» de l'Union européenne, entend bien utiliser ce contexte pour obtenir gain de cause. La diplomatie israélienne a intensifié ses efforts en ce sens ces derniers jours. Les ministres européens des Affaires étrangères doivent se réunir, demain à Bruxelles, pour réexaminer cette liste.


A l'approche de cette réunion, le chef de la diplomatie israélienne, Sylvan Shalom, s'est rendu en France et en Grande-Bretagne pour tenter de les convaincre d'inscrire le Hezbollah sur leur liste. «Nous espérons aussi que les dirigeants français partageront notre approche sur le rôle négatif de l'Iran et de la Syrie, a-t-il indiqué. Abou Mazen lutte contre le Hezbollah auquel il a demandé de s'abstenir de mener des attentats terroristes.»

Juché dans ses montagnes, le colonel Lior se dit prêt pour la prochaine attaque du Hezbollah. Elle serait imminente, selon lui.