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L'AUTRE MOITIÉ DU PROBLÈME
PAR NISSIM
ZVILI ambassadeur d'Israël en France
Paru dans Le
Figaro du 27 avril 2005
L'assassinat de
Rafic Hariri, qui a déclenché le retrait syrien, a réveillé les consciences sur
un fait: l'inféodation du Liban à la Syrie. Mais cela ne doit pas occulter
l'autre moitié du problème : la liberté du Liban est aussi bafouée par le
Hezbollah et son mentor iranien. Entre la Syrie et l'Iran, le Liban est
véritablement pris en étau. Et l'on ne peut raisonnablement envisager de résoudre
le cas libanais en ne traitant qu'une moitié du problème.
Unis
contre Israël pour déstabiliser la région, l'Iran des ayatollahs et la Syrie
d'inspiration baasiste, à première vue opposés, se servent du levier du
Hezbollah pour maintenir la tension. Ces deux régimes autoritaires n'ont rien à
gagner d'un processus de démocratisation et de paix dans la région. Pour
atteindre les buts de la Syrie et de l'Iran, le Hezbollah constitue un bras
armé contre Israël sans que ces pays aient à s'impliquer directement. De plus,
pour l'Iran, le Hezbollah est aussi un instrument d'exportation de la
révolution islamique.
Car, sur
le fond, le Hezbollah demeure un mouvement intégriste et profondément
antisémite dont l'inspiration idéologique lui vient de l'Iran des ayatollahs.
Le Hezbollah prône un Etat islamique et impose au Liban la présence de
centaines de pasdarans, ces «gardiens de la révolution» venus d'Iran.
Pour
masquer son curriculum vitae peu avouable autant que pour parvenir à ses buts,
le Hezbollah joue sur deux tableaux : l'un consiste à asseoir son emprise sur
la société libanaise en dispensant abondamment des aides sociales et en
utilisant un puissant organe de propagande, sa télévision al-Manar.
L'autre tableau
consiste à se déguiser en parti politique : le Hezbollah compte 12 sièges sur
128 au Parlement libanais.
Mais le
Hezbollah a beau se déguiser en parti respectable, il demeure un organe qui
possède une branche armée opérante et des buts de guerre limpides, résumés par
son secrétaire général, Hassan Nasrallah : «La guerre du djihad contre
l'entité sioniste durera tant que cette tumeur cancéreuse – Israël – ne sera
pas extirpée.» Le Hezbollah fait sa loi au Sud-Liban, en totale
indépendance du gouvernement libanais et de son armée. Qui le contesterait ?
Les «fous de Dieu» sont puissamment armés et personne ne veut revivre la guerre
civile.
Où a-t-on vu un
groupe parlementaire posséder 12 000 missiles dont l'ordre de tir ne dépend pas
de l'Etat, mais de pays étrangers ? Existe-t-il au monde un «parti» représenté
au Parlement qui a la capacité de frapper partout dans le monde et qui commet
des attentats à l'étranger (ils sont commandités par l'Iran : les attentats en
Argentine contre des cibles israéliennes et juives, dans les années 90, ont
fait 129 morts et 350 blessés) ?
Quel groupe
parlementaire s'est spécialisé dans l'enlèvement de soldats et de civils, en
cachant leur sort pendant des années, parfois des décennies ?
Le Hezbollah est
de plus en plus critiqué par les Libanais. Quand, en juillet 2004, son chef,
Nasrallah, a déclaré soutenir le terrorisme palestinien, il a été vivement
critiqué sur la scène politique libanaise. Le directeur d'al-Nahar, un
quotidien libanais, reflétait l'opinion publique en écrivant : «Qui a
autorisé Nasrallah à représenter les Libanais, à prendre des décisions en leur
nom ? Nasrallah s'est-il nommé secrétaire général de tous les Libanais et de
tout le monde arabe ?»
La plupart des
Libanais en ont «ras le bol» de se voir imposer par la Syrie et le Hezbollah
une hostilité éternelle envers Israël.
Depuis 2000,
l'Iran et la Syrie ont renforcé la capacité militaire et financière du
Hezbollah, et les chiites libanais agissent depuis sur deux fronts dans le but
de contrecarrer toute initiative allant dans le sens de l'apaisement. Un front
qu'ils ont ouvert le long de la frontière israélo-libanaise, envoyant des
roquettes sur Israël. C'est une menace stratégique constante : 12 000 roquettes
sont pointées vers Israël et peuvent atteindre Haïfa. Un autre front du côté
palestinien fournit aux terroristes palestiniens des fonds, des armes et des
bases d'entraînement.
De surcroît,
depuis l'élection de Mahmoud Abbas, le Hezbollah tente de faire déraper le
processus en cours entre Palestiniens et Israéliens. Il a intensifié sa présence
dans les territoires palestiniens. En 2004, le Hezbollah pilotait 51 cellules
terroristes en Judée-Samarie et dans la bande de Gaza, commettant 68 attaques
terroristes.
Au lendemain du
sommet de Charm el-Cheikh, des membres des services de sécurité palestiniens
ont rapporté que le Hezbollah représente actuellement la menace la plus grave à
la trêve signée avec les Israéliens. Des menaces sur la vie du président
palestinien ont même été prises très au sérieux. Aujourd'hui, Mahmoud Abbas
s'est engagé dans un processus politique de réconciliation avec Israël, et cela
n'est pas du goût du Hezbollah. C'est Mahmoud Abbas en personne qui envoie des
émissaires au Liban pour tenter de stopper l'action nocive du Hezbollah. C'est
l'Autorité palestinienne elle-même qui a mis sur pied un comité chargé du
contrôle des transferts bancaires du Hezbollah aux éléments terroristes
palestiniens.
La majorité des
Libanais aspire à une indépendance politique et territoriale, comme le stipule
la résolution 1559 du Conseil de sécurité de l'ONU. Pudique, l'ONU ne les nomme
pas mais évoque cependant très clairement l'Iran («les milices non
libanaises»), le Hezbollah («les milices libanaises») et la Syrie («les
forces étrangères»).
Heureusement,
les pressions franco-américaines, puis onusiennes, ont permis un retrait des
troupes syriennes du Liban. Mais il a fallu l'assassinat de Rafic Hariri pour
que la pression monte d'un cran et oblige Bachar el-Assad à un repli. Mais rien
n'est fait encore contre le Hezbollah. Or ce mouvement ne permet pas à l'armée
libanaise de se déployer au Sud-Liban : la souveraineté libanaise en est
bafouée. C'est une épine dans la démocratie.
Si la France et
l'UE veulent jouer pleinement un rôle au Proche-Orient, si elles veulent un
processus de paix entre Israéliens et Palestiniens, ainsi qu'un Liban libre,
démocratique et souverain, elles devraient montrer une même cohérence tant avec
le Hezbollah qu'avec la Syrie.
Le Hezbollah
étant aujourd'hui ce qu'il est, son inscription sans détour dans la liste
européenne des organisations terroristes serait un signal clair et sans
ambiguïté de la détermination européenne à conduire vers la paix et établir la
stabilité dans cette région du globe. Cette inscription n'est pas que
symbolique puisqu'elle implique des sanctions financières concrètes. Elles
permettent de bloquer des comptes en banque dans les pays de l'UE et de casser
des réseaux financiers internationaux qui alimentent le terrorisme. D'autres
pays l'on déjà fait.
Par la suite, le
Hezbollah aura toujours la possibilité d'opérer une véritable mue. Il lui
suffira de désarmer ses milices et d'accepter l'autorité de l'Etat en devenant
vraiment un mouvement politique, en somme. Avec les autres blessures en voie de
cicatrisation, la région et la communauté internationale pourront commencer à
rêver à une véritable réconciliation.