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CELUI QUI SENTAIT LE
VENT TOURNER
Par JONATHAN SPYER
JPost - 18.04.10
"Pas besoin d'être un spécialiste de la météo pour savoir dans quelle direction souffle le vent", disait une chanson de Bob Dylan. La petite et très dispersée communauté druze est devenue experte en météorologie politique. En réalité, elle n'a pas vraiment eu le choix. Il en va de sa survie. Sa stratégie : sentir quelle tendance, quel leader ou quel pays est au sommet de la vague, puis se dépêcher de s'allier pour ensuite se laisser porter par le courant. En Israël, personne ne s'étonne plus de l'alliance entre Druzes de Galilée et formations sionistes. On pourra, en revanche, être surpris de la récente métamorphose du leader des Druzes libanais, Walid Joumblatt.
Comment Joumblatt, le défenseur acharné de la démocratie, partisan du Mouvement du 14 mars, en est-il venu à s'agenouiller devant Damas ? Lui, l'héritier de la tradition des seigneurs de guerres libanais, mais aussi le leader du Parti socialiste progressiste. Fin mars, il rencontrait à Damas, Bachar el-Assad, l'assasin de son père Kamal Joumblatt. Une première depuis 2004, soit le début des graves tensions entre la Syrie et le Liban. C'est Joumblatt qui aurait visiblement sollicité cette rencontre depuis un long moment, mais Assad voulait jouer les vizirs et laisser mariner son courtisan un certain temps.
Selon l'agence de presse syrienne SANA, les deux hommes ont évoqué "les liens historiques et fraternels" entre les deux pays, et la "nécessité de les renforcer". Joumblatt a, quant à lui, loué les efforts d'Assad dans "la préservation de la sécurité et de la stabilité du Liban".
Les deux hommes ont aussi pu partager leurs points de vue sur la "résistance" (à savoir le Hezbollah) face à Israël. Pas un mot en revanche sur la surprenante escorte de Joumblatt à Damas. Selon le premier quotidien du pays Al Nahar, favorable au Mouvement du 14 mars, Joumblatt aurait fait le voyage en compagnie, non pas de représentants de son parti, mais d'Hassan Nasrallah et de ses deux lieutenants, Wafik Safa et Hussein Khalil. Le mouvement islamiste chiite a en effet joué le rôle de médiateur dans cette rencontre.
Le nouvel ami du
"serpent"
Surprenante "lune de miel" pour Joumblatt, qui traitait il y a encore peu de temps le président syrien de "serpent", "tyran", ou autre "singe" et surtout d'"assassin de mon père". Et en ce qui concerne le Hezbollah, Joumblatt avait déclaré en 2008 : "Eux, une opposition ? Ce sont surtout des sauvages, qui déclarent la guerre et kidnappent des soldats quand bon leur semble." Il n'avait pas non plus hésité à pointer du doigt la Syrie pour sa responsabilité dans les assassinats des leaders libanais pro-occidentaux, après le retrait en 2005 des troupes syriennes du sol libanais. Et, autre déclaration à propos du droit de veto du Hezbollah, aujourd'hui au sein de la coalition gouvernementale : "Ils pourront utiliser la force et marcher sur nos cadavres, mais moi vivant je ne laisserais jamais au Hezbollah, et donc à son amie la Syrie, le droit de veto."
Il ne s'agissait pas que de petites phrases bien lancées. Lors des affrontements de mai 2008, alors que le Liban était au bord de la guerre civile, c'étaient les combattants de Joumblatt qui avaient opposé la plus grande résistance au Hezbollah. Dans le fief druze, les montagnes du Chouf, 40 combattants du Hezbollah avaient été assassinés par les Druzes.
Washington à ouvert la voie
Que s'est-il passé ? Qu'est ce qui pu transformer le rebelle Joumblatt en un timide et repenti paillasson devant Damas. La réponse n'est pas compliquée. Joumblatt, l'expert en météorologie politique, a senti le vent tourner en direction de Damas et de Téhéran, et a activé ses réflexes de survie.
En 2004, au lendemain de l'invasion américaine en Irak, il regardait vers l'Occident, tandis que l'Iran et la Syrie faisaient profil bas. Mais cette époque est révolue. Damas et Téhéran ont fait leur grand retour au Liban, en Irak, mais aussi chez les Palestiniens. Washington, avec sa nouvelle stratégie de négociation avec l'ennemi, a ouvert la voie à la plus grande consternation de ses alliés. Le rapprochement de l'Arabie Saoudite avec la Syrie l'année dernière a prouvé que Ryad ne souhaitait plus s'embarrasser d'une politique coercitive envers Damas. Pas plus qu'ils ne souhaitaient s'embarrasser d'un soutien au Mouvement du 14 mars. Leur stratégie d'influence au Liban passe désormais par un appui au Hezbollah. Par conséquent, Joumblatt n'a fait que constater un retournement de situation, déjà flagrant. Derrière lui les slogans en faveur du panarabisme ou de la démocratie régionale. Le souci principal de Joumblatt : s'aligner avec le pouvoir actuel et protéger sa communauté et son territoire. Les combattants druzes des montagnes du Chouf sont désormais armés par ceux qu'ils combattaient il y a à peine deux ans.
Cette évolution révèle à quel point l'Iran et la Syrie sont devenus ceux "avec qui il faut à tout prix être ami" au Moyen-Orient. Elle montre aussi où mène la politique des Etats-Unis qui consiste à punir ses alliés et encourager ses ennemis. Quiconque se soucie de l'avenir de la région à de quoi être inquiet.