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Au Liban, la Syrie
Mène Toujours le Jeu
Bachar al-Assad ne peut se permettre de voir le Liban lui
échapper et vient de relancer la vague des assassinats politiques.
Par Jacques Benillouche
Slate.fr - 13/04/12
http://www.slate.fr/story/53023/liban-syrie-mene-le-jeu
La Syrie semble
renouer avec les assassinats politiques tandis que le TSL (Tribunal spécial
pour le Liban) n’a pas encore rendu ses conclusions sur l’attentat contre le Premier ministre Rafik Hariri. La révolution
intérieure n’a pas désarmé les officines occultes qui agissent impunément au
Liban pour s’attaquer à ceux qui s’opposent à l’hégémonie syrienne dans le
pays. Bachar al-Assad ne se contente pas de lancer ses hommes sur les traces de
son opposition mais aussi sur les hommes politiques libanais qui ont le courage
de contester ses capacités de nuisance au Liban.
Méthodes
syriennes
Le 4 avril, le chef
du parti chrétien des Forces Libanaises, Samir Geagea, a échappé à un
attentat. Le modus operandi s’apparente aux méthodes des services de
renseignements syriens qui utilisent des tueurs professionnels disposant d’une
logistique militaire et de relais locaux leur permettant de s’évanouir dans la
nature, sitôt leur forfait accompli.
La Syrie avait
pourtant réussi, par la menace et la contrainte, à mater les chrétiens et, à
leur tête, le chef de l’Eglise maronite, le Patriarche Béchara Raï, qui s’était
compromis avec les chiites et le Hezbollah. Il avait été reçu en septembre 2011 à Baalbek, zone contrôlée par le Hezbollah,
par des miliciens qui arboraient les portraits de Bachar al-Assad et de
Nasrallah.
La communauté maronite avait peu apprécié les accointances de leur
patriarche avec des éléments «ennemis»au moment où la région subissait le feu
des troupes syriennes. Une grande partie de la communauté chrétienne s’était
désolidarisée de son chef. Le Vatican n’avait pas non plus apprécié cet écart
dans les déclarations du patriarche favorables au régime syrien et à ses alliés du Hezbollah. Il l’aurait d’ailleurs sanctionné
par le report de sa nomination au rang de Cardinal.
Les Libanais
étaient conscients que la Syrie n’avait pas renoncé aux éliminations physiques;
le patriarche lui-même avait reçu des menaces s’il ne se soumettait pas. Des
membres de l’opposition syrienne ont confirmé la volonté du régime de faire
taire les personnalités agissant pour que le Liban se débarrasse de la tutelle
syrienne et retrouve son autonomie. C’est d’ailleurs la raison qui a poussé
Saad Hariri, ancien Premier ministre, à s’exiler à Paris. Rares sont
aujourd’hui les chrétiens qui osent affronter Bachar al-Assad. Le seul qui
avait la stature et la crédibilité pour le faire, le général Michel Aoun, est
passé avec armes et bagages dans le camp syrien, faisant de lui le Pétain
libanais.
Seul
opposant
Samir Geagea,
l’opposant historique à la Syrie, se savait en danger et avait décidé de
limiter ses déplacements. Il avait d’ailleurs refusé d’assister à la messe
annuelle célébrant l’anniversaire de la mort de Bachir Gemayel
assassiné par Habib Chartouni, membre du Parti syrien
national. La soumission du général Aoun aux thèses syriennes ont
fait de Geagea l’ennemi public numéro un doté d’un contrat sur sa tête.
Cet attentat
confirme que Bachar al-Assad n’a pas renoncé à sa mainmise sur le Liban et
qu’il est prêt à user des mêmes moyens qu’il utilise chez lui pour faire taire
toute contestation libanaise sur ses prétentions. Le chef des forces
libanaises bénéficie d’une très haute protection dans sa résidence blockhaus de
Meerab au nord de Beyrouth. Les tueurs savaient qu’ils ne pouvaient l’atteindre
qu’à l’occasion de l’un de ses déplacements. Les deux balles explosives de
calibre 12,7 l’ont raté de peu dans le jardin de sa résidence et Geagea doit sa
vie au reflexe militaire de s’allonger sur le sol pour attendre que ses
services de sécurité n’interviennent pour le protéger.
Les complicités
locales sont certaines et certains chrétiens avaient déjà mis en garde leurs
amis du danger de louer certains appartements de la zone chrétienne à des
complices du Hezbollah qui y stocke armes et munitions en prévision d’un
soulèvement islamiste contre les chrétiens, chapeauté par Hassan Nasrallah.
Cette tentative
d’assassinat va exacerber les tensions communautaires susceptibles de conduire
à une nouvelle guerre civile que le Hezbollah appelle de ses vœux pour
intervenir en sauveur de la situation. Sa mort aurait entraîné une explosion de
violence et des représailles sanglantes qui auraient servi Bachar al-Assad. La
main de l’Iran n’est pas étrangère à cet acte qui aurait pour résultat de
soulager son allié syrien. Selon des informations sécuritaires, les balles
tirées, rares et d’origine militaire, sont utilisées par les tireurs de
précision équipés de matériel iranien.
Implication
syrienne
La cible était
prévisible, mais aucune preuve de l’implication syrienne n’existe bien que les
motivations soient évidentes. Samir Geagea veut prendre le leadership de la
communauté chrétienne abandonnée par le général Michel Aoun
qui s’est plié aux injonctions syriennes.
Il demeure l’unique
chrétien à oser ouvertement le conflit avec la Syrie. Il prépare les élections
législatives prévues en 2013 en se présentant comme le seul leader démocratique
arabe du Moyen-Orient. Pour une fois, il semble que les chrétiens du Liban
acceptent de faire taire leurs dissensions pour présenter un front uni face au
danger du voisin encombrant.
Certains
souverainistes musulmans et les souverainistes druzes de Walid Joumblatt sont
aussi prêts à les rejoindre dans une alliance contre l’étranger. La Syrie était
consciente de ce danger car elle craint l’avènement d’un régime libanais qui
refuserait tout compromis avec elle. Ainsi, elle inscrit toute personnalité
politique qui s’opposerait à son influence sur la liste des victimes
probables.
Les Israéliens
suivent l’évolution de la situation au Liban avec sérieux. Ils observent avec
bienveillance les tentatives des chrétiens de s’affranchir de la mainmise
syrienne car le calme à la frontière nord en dépend. Des druzes israéliens ont été
envoyés auprès de leurs frères libanais pour les assurer de leur solidarité
–certains disent pour leur offrir de l’armement. Israël est prêt à aider le
Liban si la demande était faite mais il refuse, du moins ouvertement, de
s’impliquer dans la querelle interne entre communautés. Il avait cependant
apprécié l’analyse faite en janvier 2011 par le leader chrétien Samir Geagea
qui avait lancé un avertissement: «Si le Hezbollah réussit à prendre le
pouvoir politique, il va transformer le Liban en bande de Gaza n°2, avec un
désastre économique et la suppression des libertés individuelles.»