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L’heure de Vérité
Par le Père Henri Boulad,
Le Caire, 14 novembre 2015
Lettre sereine aux Musulmans
ouverts, modérés et libéraux !
J’imagine votre embarras et votre confusion face à cette
horreur, que vous condamnez sans doute du plus profond de vous-mêmes. Vous
sentez bien cependant que c’est l’Islam lui-même qui est incriminé, car c’est
bien aux cris d’ "Allahou aqbar" que s’est perpétuée cette tragique
agression.
N’essayez surtout pas d’exonérer l’Islam de ce qui s’est passé.
Ne continuez pas à répéter ce refrain bien connu, suite à
toutes les horreurs commises par les Islamistes dans le monde : "Tout ça
n’a rien à voir avec l’Islam". Ne criez surtout pas à
l’"amalgame", manière élégante de dédouaner l’Islam des violences
récurrentes perpétrées en son nom.
C’est incongru d’affirmer que tout ce qui se passe comme atrocités au nom de
l’Islam n’a rien à voir avec l’Islam. Un certain Occident libéral et une
certaine Eglise catholique, tous deux partisans de l’ouverture et du dialogue,
ne cessent de ressasser de tels slogans, sans chercher à aborder les vrais
problèmes, dans un dialogue franc et ouvert.
L’heure de vérité a sonné, et il est
grand temps de reconnaître que l’Islam a un problème. Un problème qu’il doit
avoir le courage de regarder en face et de tenter de résoudre en toute
objectivité et lucidité. Ce n’est pas en enfouissant sa tête dans le sable
qu’on peut espérer trouvera une solution.
Je ne doute nullement de la sincérité et la bonne volonté
des Musulmans ouverts et modérés. Mais là n’est pas la question. On peut être
pleinement sincère tout en étant dans l’erreur.
Il est trop facile pour les Musulmans d’incriminer "l’Occident corrompu
et impérialiste" comme étant la source de tous leurs maux.
Il est trop facile d’accuser ceux qui instrumentalisent
l’Islam pour leurs propres intérêts. C’est dans l’Islam même que gît le
problème. Les Musulmans ont toujours eu tendance
à chercher des boucs émissaires partout, sauf en eux-mêmes. Il est
grand temps qu’ils se posent certaines questions cruciales et se rendent compte
que le ver est dans le fruit. S’ils
condamnent et rejettent ce radicalisme barbare qui les embarrasse, qu’ils
fassent un petit effort pour en chercher la cause.
Ils découvriront alors que la cause se trouve dans les
textes fondateurs de leur religion – Coran, Sunna, Hadiths – qui regorgent
d’appels à l’intolérance, au meurtre et à la violence. Ces textes sont encore
enseignés aujourd’hui à l’Azhar, la plus haute instance de l'Islam sunnite,
chargé de la formation des prédicateurs et ulémas à travers le monde. Cette
doctrine atteint le petit peuple à travers les prêches du vendredi – souvent
incendiaires – et rejoint les élèves via les manuels scolaires.
Vers le 10ème siècle, l’Islam a eu le choix entre
la voie mystique, modérée et ouverte, celle de La Mecque, et la voie violente,
radicale et conquérante, celle de Médine. Il a malheureusement opté pour la
seconde, en privilégiant les versets médinois aux mecquois, dans la fameuse doctrine de l’abrogeant et de l’abrogé
(An nâsékh wal mansoukh).
Pour éviter alors que quiconque ne revienne sur cette décision, les ulémas de
l’époque ont décrété que la porte de l’ijtihad
était désormais close. Ce qui signifie que tout effort de réflexion critique
susceptible de remettre en question une telle décision était pour toujours
interdit.
Les nombreuses tentatives de réforme de l’Islam, tout au
long de son histoire, se sont heurtées à ce décret considéré comme immuable et
irréversible. Le grand cheikh soudanais, Mahmoud Taha, pour avoir proposé
d’inverser la doctrine de l’abrogeant et de l’abrogé, en privilégiant les
versets mecquois aux médinois, a été pendu sur la grande place de Khartoum, le 18 janvier 1985.
L’Islam est dans la souricière, une
souricière dans laquelle il s’est lui-même mis. Une souricière dont
il ne parvient pas à sortir. Tel est le drame qui met les Musulmans dans une
angoissante situation.
Les nouveaux penseurs de l’Islam - comme on les appelle aujourd’hui - rêvent
d’une réforme et d’un Islam compatible avec la modernité. Les émouvantes
tentatives d’un homme aussi brillant qu'Abdennour Bidar n’en sont qu’un
exemple. Malheureusement, la pensée de ces hommes courageux ne fait pas le
poids, face à l’Islam rigoureux et borné qui domine depuis 14 siècles.
J’imagine à quel point cela doit être douloureux pour ces penseurs, qui
aimeraient tant trouver une issue à l’impasse dans laquelle ils se trouvent.
L’Eglise est passée par la même crise. Mais elle est parvenue à la dépasser grâce au Concile Vatican II.
Il est grand temps que l’Islam en fasse autant et procède au même aggiornamento.
Vœu pieux ? Utopie, "Wishful Thinking" ?...
L’Islam peut-il se réformer sans se dénaturer ?
Je ne le pense pas. Mais c’est aux Musulmans eux-mêmes de répondre.
Note de www.nuitdorient.com
Le maréchal al Sissi a essayé une approche réformiste auprès des ulémas d'al Azhar, mais à ce jour nous ne voyons pas encore de progrès dans le sens d'une réforme.
Pour comprendre la différence entre le Coran de la Mecque et
celui de Médine, nous conseillons la lecture de l'excellent ouvrage
d'Anne-Marie Delcambre "Soufi ou mufti ?"
Editions DDB.2007