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L’Islam est une Régression
et ne Peut être Réformé
Interview de Ali Harb par Tarek Abi Samra
Courrier International - 28/3/16
Les débats sur la nécessité de réforme de l’islam déchirent les intellectuels du monde musulman. Dans un entretien accordé au mensuel francophone libanais, le philosophe Ali Harb affiche une position très sceptique.
Quelle relation l’islam entretient-il avec le terrorisme qui sévit actuellement partout dans le monde ? Depuis les attentats du 11 Septembre, cette question fait souvent la une de la presse et déchaîne des polémiques passionnées, voire haineuses. Certains affirment que le terrorisme est une aberration n’ayant aucun rapport avec l’islam en tant que tel ; ils sont traités d’aveugles. D’autres pensent que cette religion est fondamentalement violente ; ils sont qualifiés d’islamophobes.
Les deux camps font parfois référence à tel ou tel verset du Coran, espérant par ce moyen démontrer la barbarie de l’islam ou bien sa nature tolérante. Mais procéder ainsi, c’est oublier qu’une religion ne peut jamais être réduite à un livre fondateur, puisqu’elle est avant tout une pratique millénaire qui s’est cristallisée en une multitude d’institutions et de formes culturelles ; c’est comme ramener tous les régimes communistes au seul Capital de Marx.
Un tel retour aux textes fondateurs pour y déterrer l’essence d’une religion, Ali Harb refuse de le pratiquer. Selon cet écrivain et philosophe libanais, une simple lecture du Coran montre que celui-ci dit tout et son contraire. Il faudrait donc adopter une méthode différente, aborder l’islam sous un autre angle : en tant que doctrine du salut, c’est-à-dire comme un système de pensée qui, à l’instar du christianisme et du judaïsme, mais également des religions du 20ème siècle telles que le communisme et le fascisme, prétend détenir la vérité absolue.
Pareille approche dévoile un potentiel terroriste bien réel inhérent à l’islam, idée que Harb développe dans son dernier ouvrage, "Le Terrorisme et ses créateurs : le prédicateur, le tyran et l’intellectuel"(1).
Courrier International (CI): - Il semble que la définition implicite du terrorisme qui sous-tend les thèses de votre livre est assez large, qu’elle s’applique autant à des actes de violence qu’à des systèmes de pensée…
Ali Harb (AH): En effet, je pense que le terrorisme est surtout une attitude intellectuelle, celle de l’homme qui se croit le seul possesseur de la vérité absolue, le seul autorisé à parler en son nom. Cette vérité pourrait relever du domaine religieux, politique, social ou moral ; elle pourrait concerner Dieu, la nation, le socialisme, la liberté ou l’humanisme. Le terrorisme est également une manière d’agir : celui qui se croit l’unique possesseur de la vérité se comporte avec l’autre, le différent ou l’opposant, en ayant recours à une logique de l’exclusion, que ce soit au niveau symbolique – le takfir et l’excommunication, la déclaration de quelqu’un comme traitre à la patrie – ou au niveau physique – l’éradication, le meurtre. La devise du terroriste : pense comme moi, sinon je t’accuse et te condamne. C’est en ce sens que le terrorisme est perpétré par le prédicateur détenteur d’un projet religieux, le tyran porteur d’un projet politique, ou l’intellectuel promoteur d’un projet révolutionnaire pour transformer la réalité. Le prédicateur excommunie, le tyran condamne et déclare quelqu’un comme traître, l’intellectuel théorise et le militant ou le djihadiste agit et tue.
CI: Le terrorisme islamiste a-t-il subi l’influence de ces régimes totalitaires ?
AH: Les promoteurs des nouveaux projets religieux ont sans doute été influencés par les exemples de Franco, d’Hitler et de Mussolini, par leurs moyens de gouverner et leurs techniques de contrôler les hommes en les mobilisant et les remodelant pour en faire un troupeau scandant inlassablement un même slogan. Ce dualisme du dirigeant déifié et de la foule qui l’adore est une création assez récente. Mais d’un autre côté, les régimes totalitaires, malgré la modernité et la laïcité de leurs projets, sont une rémanence de la pensée religieuse, comme en témoigne la sacralisation de leurs doctrines et de la figure du dirigeant unique.
CI: Dans quel sens dites-vous qu’un musulman modéré et tolérant est une chose qui n’existe pas ?
AH: Toute religion monothéiste est en soi, de par sa définition même, un réservoir inépuisable de pratiques violentes. C’est l’une de ses potentialités toujours présentes, une sorte de virus logé au sein de ses gènes culturels. Tant que la religion est fondée sur l’exclusion de l’autre, sur le dualisme du croyant et de l’impie, du fidèle et de l’apostat, il est impossible de la comprendre autrement. Dans l’islam, la violence est encore accrue par un dualisme supplémentaire, celui de la pureté et de la souillure. C’est le scandale de la pensée religieuse islamique : le non-musulman est un être souillé, impur ; c’est une des plus viles formes de violence symbolique. De là vient mon affirmation qu’il n’y a pas de musulman fidèle aux dogmes et pratiques de sa religion qui soit modéré ou tolérant, sauf s’il est hypocrite, ignorant de sa doctrine ou en a honte. L’exemple le plus flagrant est la relation entre sunnites et chiites. L’ouverture de ces deux groupes, l’un vis-à-vis de l’autre, ne s’est pas faite, après des siècles de conflits et d’hostilité, grâce à de prétendues valeurs de modération et de tolérance qui seraient inhérentes à leurs doctrines, mais à cause de leur intégration dans les institutions de la société moderne : l’école, l’université, le marché économique, l’entreprise… Et lorsque chacun a régressé vers sa doctrine originelle, le conflit a éclaté de nouveau, mais d’une manière encore plus cruelle et destructrice, ce qui me fait dire que nous sommes en présence de deux religions plus hostiles l’une à l’autre qu’envers l’Occident ou Israël.
CI: Vous dites que les religions ne deviennent tolérantes
qu’après leur défaite. La seule solution pour nos sociétés serait-elle donc de
vaincre l’islam comme l’Europe a vaincu le christianisme durant le siècle des
Lumières ? Ou bien l’islam peut-il être
réformé ?
AH: L’islam ne peut pas être réformé. Les tentatives de réformes qui se sont
succédé depuis plus d’un siècle, que ce soit au Pakistan, en Egypte ou
ailleurs, ont toutes échoué et n’ont engendré que des modèles terroristes.
C’est pourquoi je ne compte pas sur le renouveau du discours religieux réclamé
par certains musulmans et même certains laïques. La seule issue est la défaite
du projet religieux tel que l’incarnent les institutions et les pouvoirs
islamiques avec leurs idées momifiées et leurs méthodes stériles. Par ailleurs,
je suis très critique à l’égard du concept de “tolérance ”, l’un des scandales de la pensée
religieuse en général, puisqu’il implique une sorte d’indulgence de la part du croyant
envers l’autre différent de lui, tout en considérant en son for intérieur que
cet autre est un pécheur, un impie et un renégat, ou même une honte pour
l’humanité. Ainsi, la tolérance annule toute possibilité de dialogue ; seule la pleine
reconnaissance d’autrui permet à quelqu’un de briser son narcissisme, de
dialoguer avec l’autre.
CI: Peut-on comprendre la montée actuelle du terrorisme
comme un signe du dynamisme et de la vitalité de l’islam ?
AH: Parler de la vitalité du phénomène religieux nous ramène à une formule
célèbre attribuée à Malraux et concernant le retour du religieux. La religion
est évidemment de retour, mais c’est un retour terrifiant qui a transformé le djihadiste en un monstre et un bourreau. Mais il ne faut
pas se laisser ensorceler par des mots tels que "retour" ou "vitalisme". Tout phénomène ou activité
possède deux aspects :
initialement bénéfique, il peut dégénérer et produire des effets nocifs si l’on
ne réussit pas à le modifier pour le faire évoluer. C’est ce qui arrive
actuellement en France : son modèle
social et économique, le meilleur en Europe, s’est usé et a maintenant besoin
d’être renouvelé, ce que la France semble incapable de faire. Pour toutes ces
raisons, je dis que le projet religieux de l’islam, ainsi qu’il a été reformulé
il y a plus d’un siècle, n’exprime ni vitalité ni créativité ; il se réduit à une simple
régression vers le passé, une réaction, motivée par un désir de vengeance
contre l’Occident qui a réveillé la civilisation islamique de son sommeil. Je
dis également que le projet de l’islam contemporain a échoué partout où des
islamistes se sont emparés du pouvoir, et que des organisations terroristes
comme Daech et ses semblables travaillent eux-mêmes à
leur propre destruction et à celle du projet religieux en général. J’entends
par là que les sociétés arabes devraient traverser
tous ces malheurs, ces catastrophes, ces massacres et ces guerres civiles afin
de se convaincre que l’islam n’est plus valable pour construire une
civilisation développée et moderne. Il n’y a pas de réconciliation possible
entre l’islam et la modernité
CI: Pourquoi dites-vous que les élites intellectuelles ont
contribué à la montée du fondamentalisme religieux ?
AH: Ils y ont contribué de deux manières. Premièrement, par l’échec de leurs
projets de modernisation et de réforme. Leur attitude était utopique. Ils se
sont comportés avec les idées qu’ils ont proposées d’une manière simpliste, les
prenant pour des vérités absolues, des modèles préétablis n’ayant besoin
d’aucune modification pour pouvoir s’appliquer à la réalité. Tandis qu’une
idée, en passant d’une société à une autre, doit subir une sorte de transformation
créative afin qu’elle puisse être efficacement implémentée dans un domaine ou
un autre. Deuxièmement, certains intellectuels ont soutenu les régimes
despotiques, dans leurs deux versions, laïque et théocratique, sous prétexte
que ceux-ci luttaient contre l’hégémonie des Etats-Unis. Le plus fameux parmi
ceux qui ont défendu cette position est probablement Chomsky, qui considère que
la crédibilité de l’intellectuel se mesure en fonction de son opposition à la
politique américaine. Il a tracé le chemin à beaucoup d’intellectuels arabes
qui se sont ainsi jetés dans les bras des tyrans.
Note
(1) Al-Irhab wa sounna‛ihi : Al-Mourshed, Al-Taghiya, Al-Mouthakaf (Le Terrorisme et ses créateurs : le prédicateur, le tyran et l’intellectuel) de Ali Harb, Arab Scientific Publishers 2015