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MALGRÉ L'ACCORD DE PAIX SIGNÉ LE 9 JANVIER À NAIROBI
LE SOUDAN OU L'ARÈNE DES MARTYRS
PAR JACQUES PELLETIER ET BERNARD SEILLIER, Sénateurs du
groupe RDSE
Le Figaro le 30 janvier 2005
Le 9 janvier dernier, à Nairobi, un accord de paix était signé entre le
gouvernement soudanais et le Mouvement populaire pour la libération du Soudan
mettant ainsi fin à vingt-deux années d'un conflit qui a opposé le gouvernement
du Nord musulman aux rebelles d'un Sud en majorité chrétien et animiste,
combattant pour une autonomie et un partage des richesses.
Le bilan est plus qu'effroyable : 2 millions de morts et près du double de déplacés
ou de réfugiés vers les pays voisins, des crises humanitaires récurrentes qui
déciment la population civile, une aide alimentaire pillée par les groupes
armés. La plupart des morts sont le fait des famines et des épidémies
organisées, des massacres méthodiques, au point que la question du génocide
mérite d'être posée avec toute la prudence requise
Le dernier rapport d'Amnesty International s'interroge « qui répondra de ces
crimes ? » La guerre menée par le régime islamiste de Khartoum a été un
véritable djihad contre le christianisme et la négritude chère à Aimé Cesaire.
Des enfants ont été séparés de leurs parents, ont reçu des noms arabes et ont
été islamisés contre leur gré. Des jeunes filles ont été mariées de force à des
soldats gouvernementaux. L'esclavage a été pratiqué
par certaines milices à la solde de Khartoum. Depuis 1992, une fatwa a été
promulguée par les imams pro gouvernementaux contre le peuple nouba dans sa
totalité. Ils étaient 1,2 million et sont aujourd'hui à peine 200 000. Au
Mémorial de l'Holocauste à Washington figure une référence à cette
extermination.
La période chrétienne de l'histoire du Soudan qui commença à partir de l'an 34
et connut son apogée au VI° siècle a été systématiquement occultée par la
propagande du régime et les programmes d'enseignement. L'histoire du pays ne
débute désormais plus qu'avec l'apparition de l'islam et toute référence aux
cultures africaines est bannie.
De nombreux lieux de culte, écoles religieuses et hôpitaux ont été
systématiquement détruits. Les chrétiens n'ont plus le droit de construire
d'église dans le Nord, alors que les musulmans se voient reconnaître toutes les
facilités de construire des mosquées et des écoles islamiques dans le Sud. Lors
d'un discours à propos de la transformation d'écoles primaires en écoles
coraniques, le général et-Bechir annonçait : « Le
gouvernement suit un plan à long terme pour convertir le Soudan en un Etat
islamique quels que soient les moyens. »
Nombre de tribunes, de rapports sont écrits aujourd'hui à propos
du Soudan - même s'il est bien tard -, mais force est de constater que le
mot « chrétien » y est souvent absent, alors qu'il s'agit d'un nettoyage ethnique,
d'une crise humanitaire sans précédant... Mg' Zubeir Wako, archevêque de Khartoum,
disait en 2001: « Nous, chrétiens du Soudan, pensons que nous avons été oubliés
par le reste du monde chrétien. » Un silence terrible face à ce martyre comparable
à celui que connurent les
Cambodgiens sous le régime de Pol Pot au milieu des années 70.
L'accord qui vient d'être signé offre sur le papier un répit pour les chrétiens.
Le Parlement de Khartoum et le Parlement sudiste doivent rédiger une Constitution
intérimaire, notamment en révisant les modalités d'application de la charia,
la loi islamique, qui ne pourra plus s'appliquer dans le Sud, ni aux non-musulmans
dans le Nord. Mais qu'en est-il en réalité ? Un programme d'islamisation est
déjà prévu pour le Sud, financé par l'Arabie saoudite, sous couvert d'une
aide à la reconstruction de la région.
Le calvaire n'est donc pas terminé, non seulement pour les chrétiens, mais
pour tous les Soudanais. La paix signée entre Khartoum et les indépendantistes
du Sud risque même d'aggraver le conflit en cours au Darfour, une autre zone
du Soudan : déclaré en février 2003, il a déjà fait plus de 70 000 morts,
1,6 million de déplacés, y compris 200 000 réfugiés dans le Tchad voisin.
Ici, il ne s'agit pas de chrétiens, mais d'hommes et de femmes en majorité
musulmans sur lesquels le gouvernement s'acharne en raison de la couleur de
leur peau.
La vision optimiste présentée jusqu'à présent par les experts et les hommes
politiques de la communauté internationale, selon lesquels la conclusion du
conflit historique entre Khartoum et l'Armée de Libération populaire du Soudan
ne pourra qu'avoir des effets positifs sur la crise la plus récente ouverte
dans la région occidentale soudanaise, n'est pas fondée. La paix risque de
permettre à Khartoum de libérer des hommes et des moyens financiers jusqu'à
présent déployés dans le Sud pour mieux livrer la guerre
au Darfour.
Plus que jamais, le Soudan a besoin de l'aide internationale. Le régime de
Khartoum souhaiterait qu'à la suite de cet accord, les organisations internationales
baissent la garde et quittent le terrain. C'est au contraire vers un renforcement
de l'aide qu'il faut aller. La présence de la France est indispensable, en
termes d'accompagnement, de transmission des informations.
Si le Soudan n'est pas zone touristique fréquentée par des touristes occidentaux,
il dispose d'autres atouts notamment ses réserves pétrolières considérables
dans le Sud. Le pays produit environ 600 000 barils par jour. Les grandes
compagnies pétrolières asiatiques, mais aussi européennes et françaises
sont intéressées à y développer leurs affaires. Force est de constater que
ni la France, ni les Etats-Unis et la Chine ne sont entrés en conflit
avec le Soudan à cause du pétrole.
L'exploitation du pétrole a deux conséquences majeures: les populations telles
que les Noubas, qui vivaient à proximité de ces zones, ont été déplacées dans
des conditions atroces, leur bétail volé, 1eurs villages brûlés... Les gains
réalisés ont été réinvestis par le pouvoir central dans l'effort de guerre.
L'entreprise Total est propriétaire de la plus vaste concession pétrolière
du Sud-Soudan qui est pour le moment inexploitée. La
concession se trouve en plein cour du territoire des rebelles du SPLA.
Conséquence de l'accord de paix, le gouvernement de transition du Soudan,
pour son fonctionnement, devrait recevoir 50% des recettes pétrolières du
Sud après prélèvement d'une part de 2 % pour l'Ftat producteur. Veillons
à ce que la manne pétrolière aille bien au développement du Sud-Soudan et
contrecarre ainsi les programmes de financements saoudiens.
Le Soudan doit demeurer notre mauvaise conscient raison du martyre des
chrétiens et des animistes et des atteintes portées à la dignité de l'homme.
La situation des chrétiens se dégrade dans le monde. Que ce soit en
Afrique, au Moyen-Orient ou en Chine, ne laissons pas l'oppression éliminer
les sources d'espérance qui apportent partout dans le monde une lumière sur
la paix et la Iiberté