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LES 3 REVOLUTIONS EN
COURS
Par Henry
A Kissinger
Paru dans le Wahington Post du 07/04/08 - © 2008 Tribune Media Services Inc.
Traduit
par Artus pour www.nuitdorient.com
Voir aussi
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Prévu
depuis longtemps, le débat sur la politique de sécurité nationale n'a pas
encore eu lieu.
Ce défi
d'importance capitale, que toute nouvelle administration sera obligée
d'affronter, a été submergé par des sujets d'ordre tactique surtout. Comment extraire un nouvel ordre
mondial des trois révolutions simultanées qui ont cours à travers le globe ?
- la
transformation du système traditionnel de l'état en Europe
- le défi
de l'Islam radical aux notions historiques de "souveraineté"
- la
dérive progressive du centre de gravité des "affaires
internationales" de l'Atlantique vers le Pacifique et l'Océan Indien.
Il est
communément admis que le désenchantement avec le prétendu
"unilatéralisme" du président Bush est au centre des désaccords entre
Américains et Européens. Mais après le changement d'administration, il
apparaîtra clairement aussitôt que ce qui différencie les 2 rives de
l'Atlantique ce sont la nature de l'état et l'intérêt national, l'Amérique
restant encore un état-nation classique dont le peuple répond aux appels au
sacrifice, au nom d'une définition de l'intérêt national plus large qu'en
Europe.
Traînées à
deux reprises dans des guerres mondiales, les nations européennes ont accepté
de transférer des pans significatifs de leur souveraineté à l'Union Européenne.
Néanmoins il est apparu que les loyautés politiques associées à l'état-nation
n'étaient pas automatiquement transférables. Ainsi l'Europe est en situation de
transition entre un passé qu'elle cherche à surmonter et un avenir qu'elle n'a
pas encore atteint.
Dans ce
processus, la nature de l'état européen a été modifiée. Les nations ne se
définissant plus par des objectifs distincts et la cohésion d'une Union
Européenne restant à démontrer, la capacité de la plupart des gouvernements
européens à demander des sacrifices à leurs peuples a sensiblement diminué. Les
pays ayant une histoire longue et continue, comme la France ou la Grande
Bretagne, sont les seuls qui aient accepté d'assumer des responsabilités
militaires internationales.
Un exemple
frappant est le désaccord sur l'usage des forces de l'Otan en Afghanistan.
Après le 11/9, agissant en dehors de toute demande américaine, le Conseil
Atlantique-Nord a invoqué l'article 5 du traité de l'Otan pour demander une
assistance mutuelle. Mais lorsque l'Otan voulut assumer ses responsabilités
militaires, des contraintes nationales ont obligé de nombreux alliés à limiter
l'ampleur des troupes envoyées et à restreindre les missions risquées.
De ce
fait, on a obtenu une Alliance Atlantique à 2 vitesses, une alliance à la carte
dont les capacités d'action commune ne correspondent pas à ses obligations
générales. Dans l'avenir une de ces 2 adaptations sera nécessaire: soit on
redéfinit ces obligations générales, soit on formalise le système à 2 vitesses,
dans lequel les obligations politiques et les capacités militaires sont
harmonisées, par le biais d'un système d'alliances volontaires.
Alors
qu'en Europe le rôle de l'état diminue par le choix fait pas les gouvernements,
le rôle déclinant des états au Moyen Orient provient de leur création même (1).
L'effondrement de l'Empire ottoman a entraîné les puissances victorieuses à
créer divers états à la fin de la 1ère guerre mondiale.
Contrairement aux états Européens, les frontières de ces états ne reflètent pas
les différences ethniques ou linguistiques, mais le pouvoir de compétition des
puissances européennes en lice. Aujourd'hui l'Islam radical menace une
structure d'état fragile, du fait d'une interprétation fondamentaliste du
Coran, comme base d'une organisation politique universelle. L'Islam du Jihad
rejette toute souveraineté nationale, basée sur un modèle d'état laïc. Il étend
son pouvoir à toutes les populations qui ont la foi Musulmane. Aux yeux des
Islamistes ni le système international, ni la structure interne des états n'ont
de légitimité, et leur idéologie laisse peu de place pour les notions
occidentales de négociation ou d'équilibre régional d'intérêt vital pour la
sécurité ou le bien-être des pays industriels (2).
Cette
lutte est endémique et nous n'avons aucune option de retrait. Nous pouvons nous
retirer d'une place comme l'Irak, mais nous serons obligés de résister à partir
de positions nouvelles, sans doute moins avantageuses. Même les partisans du
retrait unilatéral d'Irak parlent de laisser des forces résiduelles pour
prévenir toute résurgence d'al Qaeda ou de toute force radicale.
Ces 2
transformations constituent la toile de fond d'un 3ème courant, le
glissement du centre de gravité des affaires internationales de l'Atlantique
vers Pacifique et l'Océan Indien. Paradoxalement, cette redistribution du
pouvoir a lieu à un endroit du monde où les nations ont encore les attributs
des états européens traditionnels. La plupart des états d'Asie (Chine, Japon,
Inde et peut-être plus tard l'Indonésie) s'observent comme le faisaient les
nations européennes dans un équilibre du pouvoir, ce sont des pays en
compétition, bien qu'ils leur arrivent parfois de participer à des projets
communs. Dans le passé, de tels glissements dans la structure du pouvoir
économique menaient généralement à la guerre, comme au 19ème siècle
l'émergence de l'Allemagne. Le réveil de la Chine incite à des parallèles dans
certains commentaires alarmants. En effet, les relations sino-américaines
contiennent des éléments géopolitiques et de compétition classique. On ne doit
pas les négliger. Mais il y a aussi des éléments compensatoires. La
globalisation économique et financière, les impératifs d'énergie et
d'environnement, la puissance destructrice des armes modernes imposent un
sérieux effort de coopération, notamment entre la Chine et les Etats-Unis. Des
relations ennemies laisseraient les deux pays dans la situation de l'Europe,
après deux guerres mondiales, quand d'autres pays ont atteint cette prééminence
que recherchaient les nations européennes dans leurs conflits auto destructeurs.
Aucune
génération précédente n'avait eu à assister à 3 révolutions concomitantes, en
différents endroits du globe. La recherche d'un seul remède global tient de la
chimère. Dans un monde où la seule superpuissance est favorable aux
prérogatives de l'état-nation traditionnel, où l'Europe est enlisée à
mi-parcours, où le Moyen Orient ne correspond pas au modèle d'état-nation et
affronte une révolution du type religieux, et où les nations du Sud-est
asiatique pratiquent encore l'équilibre du pouvoir, quel ordre international
pourrait les satisfaire tous?
Quel
pourrait être le rôle de la Russie, qui affirme une souveraineté comparable à
celle de l'Amérique, et un concept d'équilibre de pouvoir qui ressemble à celui
d'Asie?
Est-ce que
les organisations internationales existantes satisfont ces buts? A quels
objectifs réalistes les Etats-Unis peuvent-ils prétendre pour eux-mêmes et pour
la communauté internationale? Est-ce que la transformation des principaux états
est un but réaliste qu'on peut atteindre?
Quels sont
les objectifs à rechercher ensemble et quelles sont les circonstances extrêmes
qui justifieraient des actions unilatérales?
C'est
ce genre de débat dont nous avons besoin, et pas des slogans démagogiques destinés
à remplir la manchette des journaux.
Notes de www.nuitdorient.com
(1) états artificiels créés par les pays mandataires, la France et la
Grande Bretagne
(2) l'islamisme rejette des organisations comme l'Onu ou l'Otan.