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Les 10 Fatwas de l’Année
Par Chawki Amari
Slate Afrique – 1/04/12
http://www.europe-israel.org/2012/04/les-10-fatwas-de-lannee/
Les fatwas, avis religieux de spécialistes mais qui n’ont pas valeur de loi, sont nombreuses, presque autant que les musulmans eux-mêmes. Le Best Of des fatwas les plus remarquables. Chacun peut émettre lui-même une fatwa, un avis religieux concernant telle pratique ou phénomène nouveau qui n’est pas prévu par la loi coranique.
Cette fatwa n’a pas valeur de loi mais dans la pratique, une fatwa émise par un éminent juriste, un célèbre prédicateur ou une prestigieuse université islamique comme l’Egyptienne Al-Azhar, a beaucoup plus de valeur que celle émise par le mécanicien du coin, fut-il fervent musulman.
Al-Azhar, garante du dogme sunnite, est d’ailleurs en Egypte une grande productrice de fatwas, devenue un appareil politique de par la portée et l’implication de ses avis sur le comportement des Egyptiens et de la majorité des musulmans du monde.
Fatwas «sauvages» d’origine non contrôlée qui posent problèmes ou en résolvent d’autres, contre fatwas politiques savamment gérées par les régimes en place, l’affrontement est quotidien.
Dans les fatwas, on trouve évidemment de tout, du comment tuer les fourmis et insectes nuisibles aux droits du mort, et de la possibilité pour les femmes célibataires d’utiliser des sex toy ou d’acheter des esclaves masculins pour les consommer (fatwa koweitienne de Salwa al-Mutairi), en passant par les opérations de change Forex Trading, récemment autorisées par la plus haute autorité musulmane de Malaisie.
Bien sûr, chaque fatwa n’est pas suivie aveuglément, comme celle du controversé cheikh marocain Abdelbari Zemzami explique que «l’islam autorise l’acte sexuel sur un cadavre quelques heures après la mort», pour peu que cette relation nécrophile soit du fait d’un veuf qui vient de perdre son épouse. Bref, de tout et de rien, Best of des fatwas de l’année.
1 – L’alcool
rendu licite
Une nouvelle fatwa d’Al-Azhar tombée début janvier sème la polémique et l’euphorie dans le monde musulman. Le cheikh Saâdeddine El-Hilali, juriste islamique affirme qu’il est «halal de boire de la bière ou du vin de dattes, tant qu’on n’est pas ivre.»
Selon ce vénérable cheikh de l’institution d’Al Azhar, considérée comme l’autorité et le référent en matière de pratique, les buveurs qui ne boivent pas jusqu’à l’ivresse sont autorisés à le faire. Pour l’instant, cette fatwa n’a pas été encore appliquée mais pour les buveurs, c’est un grand soulagement, boire avec autorisation religieuse.
2 – Le printemps
arabe
La religion au secours du politique. Une fatwa d’Arabie Saoudite considère l’émeute et la révolte illicite, reprise immédiatement par Abdelmalek Ramdani, chef spirituel des salafistes algériens (en exil en Arabie Saoudite), qui exhorte les musulmans à ne tenir aucun compte des appels au changement.
Dans une fatwa de 48 pages, il appelle les musulmans à ignorer les appels pour le changement parce que la démocratie est contre l’islam. Idée forte «tant que le commandant de la nation est un musulman, vous devez obéir et écouter.»
Pour le changement, il y a une autre méthode. Abdelmalek Ramdani explique que «face à un dirigeant non désiré, un musulman pratiquant peut seulement prier et faire preuve de patience.»
Cette fatwa contre-révolutionnaire va à l’encontre du plus médiatisé des producteurs de fatwas, le Cheikh Al Qaradoui lui-même, qui avait appelé l’année dernière sur Al Jazeera à se révolter contre Kadhafi, estimant qu’il était «licite de le tuer».
Et il y a quelques temps, une fatwa a été émise en appelant à une intervention militaire en Syrie. En février dernier, le dignitaire religieux saoudien Cheikh Raed Al Karani a décrété une fatwa rendant licite l’assassinat du président syrien Bachar Al-Assad.
3 – La
destruction des Eglises
Passée presque inaperçue, le 12 mars dernier, le Cheikh Abdul Aziz bin Abdullah, émetteur régulier de fatwas, déclarait qu’«il est nécessaire de détruire toutes les églises de la région.»(Golfe persique)
4 – Téter sa
collègue
Bien que datant de quelques années (2007), cette fatwa avait provoqué un tollé dans le monde musulman. Elle avait quand même été reprise l’année dernière par des religieux fanatiques.
Selon deux professeurs de l’Université d’Al Azhar, la seule façon permise pour un homme de se retrouver seul avec une collègue de travail dans un bureau est de la téter.
L’idée n’est pas aussi absurde, elle provient d’une tradition du prophète Mahomet, qui avait demandé à une femme d’allaiter son fils adoptif, alors adulte, pour devenir ainsi sa mère de lait, après l’interdiction de l’adoption dans l’islam. Cette femme lui aurait donné à boire de son lait dans un bol et non directement de son sein.
Mais il n’en fallait pas plus aux deux cheikhs d’Al Azhar pour légiférer et demander la tétée au bureau, pour que la femme, dont d’autres fatwas interdisent d’être seule dans une pièce avec un homme (en dehors du mariage ou sans lien de parenté proche) pour contourner la problématique. Il lui suffit de donner le sein, même petit.
Dans le même registre, le Cheikh Abd As-Sattâr Fath Allah As-Saïd vient de déclarer licite par une nouvelle fatwa les implants mammaires.
«Si une femme, victime d’une émaciation considérable du sein, induisant une souffrance physique et psychologique chaque fois que son mari la voit, alors elle peut traiter ce défaut de manière à éliminer cette gêne qui lui empoisonne la vie.»
Le silicone est donc autorisé, qui
n’est pour le religieux que «chirurgie plastique utilisée pour réparer
une partie déformée du corps lorsque l’opération offre une meilleure qualité de
vie.» Un bémol cependant, «si cela est fait en vue d’un excès de
plaisir ou de séduction envers son mari», précise-t-il. Quelle est la
limite?
5 – OTAN et les
forces US
Convoqué par l’Arabie Saoudite lors de l’invasion du Koweit par Saddam Hussein, le vénérable Cheikh Ibn Baz avait permis dans une fatwa que des «musulmans puissent demander l’aide de non-musulmans pour défendre des musulmans et même obligatoire». C’est ainsi que les troupes US débarquèrent en Arabie Saoudite pour protéger le royaume des prétentions irakiennes.
La suite est connue, les Américains sont restés et cette fatwa a été réutilisée l’année dernière en Libye lors de l’intervention de l’OTAN. C’est d’ailleurs le même Ibn Baz, aujourd’hui décédé, qui avait émis une fatwa en 2000, expliquant que c’est le soleil qui tourne autour de la Terre et non le contraire, que celle-ci était plate et que toutes les images satellites qui disent le contraire n’étaient que la partie d’un «vaste complot occidental conte le monde musulman.
6 – Mickey Mouse
et les rongeurs
Il y a tout juste une semaine, la célèbre souris de Walt Disney a été victime d’une mise à mort, par l’intermédiaire d’une fatwa qui demande sa tête. Le cheikh saoudien Mohammed al-Mounajid, ancien diplomate et habitué des plateaux TV d’Al Jazeera, a réclamé l’extermination de toutes les souris, y compris les rongeurs et la célèbre souris de dessin animé. Mickey Mouse représente un animal sale, honni par l’Islam. Elle est par ailleurs de nationalité américaine, ce qui n’arrange pas son CV.
7 – Les transexuels
Si l’homosexualité est condamnée par la plupart des muftis de l’Islam, ce n’est pas le cas de la transexualité. L’imam iranien Khomeyni, plus connu ailleurs pour d’autres fatwas plus répréhensibles, avait légiféré en ce sens, estimant qu’«une femme ou un homme qui ne se sent pas bien dans son sexe, peut en changer».
De fait, héritage spirituel oblige, aujourd’hui encore, des fatwas équivalentes sont émises pour conforter cette appréciation. Résultat, les transexuels sont admis par la société. Avis aux amateurs.
8 – Fellation et
cunnilingus
Ce grand débat a alimenté pendant des années les musulmans et musulmanes, soumis à de nouvelles pratiques sexuelles. Les deux actes sont aujourd’hui considérés comme licites.
Le cheikh Al Qaradaoui, encore lui, avait explicité que ces «caresses bucco-génitales» étaient permises, à la condition pour la femme de ne pas boire le sperme, «liquide impur», reprenant d’autres théologiens de l’Islam, qui «ont autorisé le baiser génital (entendez, aussi bien celui de la femme pour son mari que celui du mari pour sa femme, et il n’y a aucune honte à cela», précisant que «si une personne prend son plaisir par la bouche, c’est un comportement qui sort de l’ordinaire, mais on ne peut l’interdire, surtout si c’est avec l’accord de la femme et qu’elle aussi y prend du plaisir.»
En revanche, autre fatwa récente d’un religieux égyptien, l’interdiction pour les femmes de toucher aux bananes et aux concombres, à cause de leur forme phallique. Fatwa faisant suite à une ancienne fatwa d’Al-Qaïda en Irak, qui exigeait que les vendeurs séparent les tomates et les concombres sur leurs étals sous prétexte que ces légumes seraient de sexe différent, et a décrété que seuls les hommes pouvaient acheter des concombres.
A la suite de cette histoire à l’époque, aux Maldives, la télévision publique a censuré le mot concombre par crainte de représailles, pendant qu’un musulman indien, lecteur du Hindustan Times, demandait si dans ce cas, un homme peut toucher un melon. Tous les goûts sont dans la nature.
9 – La violence
et le terrorisme
Ambigüe et au centre de la problématique, la condamnation de la violence dans l’Islam a toujours suscité de nombreux débats, jusqu’à aujourd’hui. Pris dans le jeu macabre, les Occidentaux et les chrétiens (d’Irak et d’Egypte particulièrement) ne cessent de réclamer des fatwas claires et sans ambigüité contre le terrorisme.
Celles-ci existent déjà pourtant depuis longtemps, même s’il faut les chercher dans le bazar des avis religieux émanant de partout. La plus connue de ces fatwas anti-terroristes et probablement la plus célèbre est celle du pakistanais Shaykh-ul-Islam Muhammad Tahir-ul-Qadri.
En 2010, avec un argumentaire théologique des plus complets, il émet une fatwa de 600 pages condamnant fermement le terrorisme et le meurtre d’innocents. Le reprenant, Mohamed El Koury Ould Abd El Hay, célèbre juriste et exégète mauritanien, qualifie aussitôt cette fatwa «d’argument décisif et impératif pour ceux qui croient en Dieu», convaincu que «son impact sera très fort dans notre monde islamique.»
10 – Les fatwas
contre les fatwas
On le voit bien, la fatwa, avis religieux à l’origine, est une arme à double tranchant. Une fatwa peut en annuler une autre et changer la morale ambiante en quelques lignes, redéfinissant en permanence la frontière étroite entre le bien et le mal. A ce titre, la plupart des pays musulmans ont déjà instauré des centres de promulgations de fatwas «officielles», pour contrer l’assaut des fatwas pirates venues de partout.
Si au Maroc, un Conseil suprême des oulémas ou des fatwas vient de voir le jour, sous l’autorité directe du roi Mohamed VI, en Algérie, on attend toujours l’institutionnalisation de la fatwa et d’un mufti général, à même de représenter l’Islam.
D’une manière générale, pour centraliser cette forme d’anarchie de fatwas contradictoires, la plupart des pays n’autorisent qu’une seule structure d’émission de fatwas. Même l’Europe a mis en place un Conseil Européen de la Fatwa et de la Recherche, tout comme l’Australie a créé aussi un Dar ul Fetwa (maison de la fatwa) pour officialiser le licite et l’illicite musulman.
Mais rien n’interdit à un imam ou un autre d’émettre une fatwa. Pour toutes ces structures officielles, il suffit donc d’une fatwa sauvage pour décréter qu’elles sont illicites et les réduire à néant. Avec près de 1,5 milliards de musulmans sur la Terre, une bonne fatwa peut changer la face du monde.