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UN AUTRE VISAGE DE LA TERREUR AU PAKISTAN

 

Par Nicholas Kristof, éditorialiste au New York Times- nicholas@nytimes.com

Paru dans le New York Times des 1& 3/8/05

Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com

 

Pervez Mousharaf, président du Pakistan est supposé être un allié de qualité des Etats-Unis dans leur guerre contre la terreur. Mais cette terreur peut prendre d'autres formes que le détournement d'avions ou les explosions dans le métro.

Pour la majorité des êtres humains, notamment au Pakistan, la terreur apparaît sous des formes plus banales, comme des mains violentes qui réveillent Shazia Khaled, alors qu'elle dormait dans son lit, ainsi que les abus subis depuis entre les mains des sbires du gouvernement Mousharaf.

J'ai déjà parlé de Shazia en juin, brièvement, lorsque j'ai rédigé un article sur le quasi-enlèvement de Moukhtarran BibI et de sa mise aux arrêts; je veux parler de cette victime d'un viol qui a utilisé la compensation reçue pour ouvrir des écoles et démarrer un centre d'aide aux femmes violées. Mais à ce moment là Shazia Khaled était trop traumatisée pour pouvoir parler d'elle-même.

Aujourd'hui, Shazia Khaled a accepté de raconter son épreuve, malgré les risques et la mise en péril des siens. Son histoire est à la fois un chef d'accusation contre la duplicité de Mousharraf et une ouverture sur le sort des femmes violées, une histoire d'amour du moment.

À 32 ans, il y a 2 ans, Shazia Khaled a ouvert un cabinet médical dans la région sauvage du Balouchistan, dans le cadre d'une société pétrolière, la Pakistan Petroleum. Cette société lui a promis une fonction dans l'usine pour son mari ingénieur, mais la promesse n'a jamais été tenue. La famille de Shazia Khaled était fort inquiète pour sa sécurité en ce lieu, mais Shazia résidait dans un ensemble bien gardé. De plus, elle avait la profonde conviction que dans cette région, les femmes avaient besoin d'un médecin féminin.

Le 2/1/05 elle est réveillée en pleine nuit. Au début elle croyait que c'était un cauchemar, mais elle réalisa très vite qu'un homme lui tirait les cheveux très fort, lui serrant la gorge et l'empêchant de respirer, nouant le fil du téléphone autour du cou. "J'ai résisté en luttant, mais cet homme me frappa à la tête avec le combiné, en m'intimant l'ordre de me taire, prétextant qu'il y avait un autre homme dehors avec un bidon d'essence, prêt à m'enflammer". "Si tu cries on va te brûler vive" me dit-il.

Il prit mon foulard et me couvrit les yeux, prit le fil du téléphone et me noua les poignets, puis s'étendit sur moi dans le lit. J'ai essayé de lutter mais il finit par me violer. Il passa la nuit dans la chambre, me battant ou regardant la télévision, me violant à plusieurs reprises, tout en se vantant de ses relations à haut niveau.

Un rapport confidentiel de 35 pages du tribunal décrit Shazia Khaled, titubant au petit matin dans le local des infirmières, à demi-consciente, le front tuméfié et le nez et les oreilles en train de saigner. Les responsables de Pakistan Petroleum se sont précipités pour étouffer cette affaire. Shazia Khaled se souvient: "ils m'ont dit de rester tranquille, de ne rien dire qui puisse ternir ma réputation. Un chef m'a prévenu de ne pas rapporter ce crime car je risquais d'être arrêtée. En fait c'était un risque réel. Selon la législation en vigueur au Pakistan, une femme qui rapporte un viol qu'elle a subi est susceptible d'être arrêtée pour adultère ou fornication, car elle admet alors avoir eu des relations sexuelles extra maritales. À mois qu'elle ne puisse présenter 4 témoins masculins!…" Shazia Khaled n'était pas sûre de vouloir rapporter son viol, mais elle demanda l'autorisation de parler à sa famille. À ce moment, les gens de Pakistan Petroleum l'ont droguée et enfermée dans un hôpital psychiatrique à Karashi. "Ils voulaient me déclarer comme folle" dit-elle avec amertume, "c'est la raison du transfert dans une maison de fous".

Le mari de Shazia, Khaled Aman travaillait comme ingénieur en Libye. Enfin informé, il se précipita chez lui onze jours plus tard. Libérée à ce moment là, Shazia ne pouvait soutenir son regard, mais il la réconforta et il insista pour que le viol soit déclaré à la police pour que l'auteur du crime soit arrêté. C'était naïf de sa part, car la rumeur circulait que le violeur avait été identifié comme étant un officier supérieur de l'armée, et la police le couvrait. Dr Shershah Syed, une éminente gynécologue de Karashi me dit: "Quand je traite une victime d'un viol, je lui conseille de ne rien déclarer à la police, car les flics eux-mêmes voudront la violer. C'est ainsi que le monde fonctionne pour celles qui ont le malheur de naître fille"

 

Au Pakistan toutes les 2 heures il y a un viol, et ce n'est que le début de l'horreur. Comme un peu partout dans ces contrées arriérées, on s'attend à ce que la victime d'un viol l'expie en mettant fin à ses jours, alors que le violeur n'est nullement inquiété.

Malgré ses larmes, sa culpabilité, son manque de confiance en elle, Shazia Khaled a cherché à aller plus loin pour obtenir la punition de l'homme qui l'avait violée. On a vu comment les autorités locales ont réagi à la déclaration du viol, comment Shazia a été droguée et internée dans un hôpital psychiatrique. Mais la détermination de Shazia fit long feu, du fait du rang élevé du violeur. Pervez Mousharaf était déterminé à étouffer cette affaire qui devenait embarrassante. Alors il fit enfermer Shazia et son mari pour 2 mois et les geôliers commencèrent à insinuer que Shazia était une femme libre, voire une prostituée. Un moyen de faire pression sur le couple pour qu'il cesse les poursuites. Mortifiée, Shazia a essayé de se suicider, mais son époux et son fils adoptif Adnan sont intervenus pour l'en empêcher.

Le grand père de Khaled, patriarche de la famille, a ébruité le viol de Shazia, déclarant qu'elle était de ce fait "kari", c'est à dire qu'elle avait entaché l'honneur de la famille, et qu'on devait la tuer ou qu'au moins elle devait divorcer. Le patriarche a commencé à rassembler une foule pour la lapider. L'époux Khaled dit "j'étais en colère contre mon grand père car il savait que Shazia était innocente; ces gens là traitent les femmes comme des vaches!"

Mousharaf était irrité devant la détermination du couple à obtenir justice. Alors il fit en sorte qu'ils soient expulsés du pays, les menaçant de disparition brutale, avec élimination de leurs corps, s'ils persistaient dans leur demande. Quand Shazia implora que son fils Adnan puisse l'accompagner en exil, les autorités lui répondirent que plus elle tardait à s'en aller, plus elle risquait de rapidement disparaître. Ils l'obligèrent à remercier les autorités pour l'aide qu'elles lui ont apportée, sur une vidéo. Ces autorités l'ont mise en garde de ne pas approcher des journalistes ou des groupes liés aux droits de l'homme, car elle risquerait alors la vie de ses parents demeurés au Pakistan.

Shazia rappelle qu'elle était effrayée par ces menaces quant à sa sécurité et à celle de sa famille, mais elle a considéré qu'il fallait que la vérité éclate (avec l'aide de Dieu, dit-elle)

Le couple s'envola pour Londres sans Adnan. Shazia demanda aussitôt le droit d'asile au Canada où elle avait des parents et des amis. Un bureaucrate canadien rejeta sa demande d'asile, sous le prétexte qu'elle était en sécurité en Grande Bretagne.

Le couple Khaled vit aujourd'hui dans une chambre sordide dans une banlieue mal famée de Londres, dans l'attente du droit d'asile dans ce pays. Shazia rêve de pouvoir rentrer un jour chez elle pour fonder un hôpital pour les femmes violées et battues.

Pour le moment, elle n'est qu'une réfugiée terrorisée, isolée et fragile qui ne quitte sa chambre que pour aller au café internet. Devenue insomniaque et prête à fondre en larmes, elle ne trouve réconfort qu'en son mari qui a abandonné son travail pour s'occuper d'elle, lui répétant qu'elle n'avait rien fait de mal et qu'elle était aussi "pure" qu'avant.

Le résultat est que la carrière de ces deux êtres est ruinée et que Shazia, toujours au bord des larmes, se demande si sa mort n'eut pas été préférable à ce qu'elle endure. Mais l'épreuve de Shazia est l'image exemplaire de ce qu'est la vie de la majorité des femmes du tiers-monde. Elle montre aussi que de plus en plus de gens refusent de trembler et de plier devant l'injustice et deviennent de ce fait les forces du changement dans ces pays. Pour moi Shazia est une héroïne pour son courage et sa détermination, et bien sûr "sa pureté".

 

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