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JE ME SENS LA RESPONSABILITÉ DE DÉNONCER L'ISLAM
Par Taslima Nasreen
Propos
recueillis par Monique Atlan -
L'Express 10/02/06
Ses mots sont directs, durs, éprouvants.
Taslima Nasreen n'aime pas les fioritures. Menacée de mort par une fatwa lancée
par les fondamentalistes de son pays, l'écrivain bangladaise, qui vit en exil
depuis huit ans, dénonce la condition des femmes musulmanes, considérées comme
des «êtres de seconde classe» dans les pays où la charia fait office de droit.
Pour elle, ce n'est pas seulement le fondamentalisme qu'il faut incriminer,
mais bien l'islam, le «vrai», et le Coran tout entier... On pourra trouver ces
propos choquants, objecter que seule une certaine interprétation du Coran est
responsable des souffrances infligées aux femmes... Mais une chose est avérée:
ces souffrances sont bien réelles. Et on ne peut pas les ignorer
Elle vit
désormais en exilée, dans une petite maison près de Stockholm, où trône en
bonne place un buste de Voltaire. Née en 1962 dans une famille musulmane de
Mymensingh, au Bangladesh, Taslima Nasreen a d'abord été gynécologue, avant de
se consacrer définitivement à l'écriture, en tant que poète, romancière,
essayiste, éditorialiste. Son premier roman, Lajja (La Honte), publié en 1994, lui a valu une condamnation à mort par une fatwa
qui l'a obligée à quitter son pays. La parution, à Dacca, de Rafale de vent, deuxième tome de son autobiographie (à
paraître en France fin 2003 aux éditions Philippe Rey), vient d'ajouter
une nouvelle condamnation à la prison par contumace. Mais rien ne semble
entamer sa tranquille et farouche détermination à lutter pour une prise de
conscience des femmes dans les pays musulmans.
Pourquoi est-il important
pour vous d'évoquer à nouveau la condition des femmes musulmanes?
Partout
dans le monde, les femmes sont opprimées par les religions, les coutumes, les
traditions. Mais là où elles souffrent le plus de nos jours, c'est dans les
pays islamiques. L'Occident a instauré la laïcité, la séparation des Eglises et
de l'Etat, alors que dans la plupart des pays musulmans les femmes sont
toujours sous le joug de sept cents ans de charia. Des millions de femmes
endurent de terribles souffrances. Elles sont enfermées, brûlées, lapidées à
mort... Venant d'une famille musulmane, je me sens la responsabilité de
dénoncer l'islam, car les femmes qui y sont soumises n'ont ni les droits ni la
liberté qu'elles devraient avoir. On leur a inculqué depuis des siècles
qu'elles étaient des esclaves pour l'homme, qu'elles devaient suivre le système
que les hommes ou Dieu ont créé. Sous la charia, les femmes sont considérées
non pas comme des êtres humains, mais comme des objets sexuels, des êtres de
seconde classe. Nous n'avons pas besoin de cette loi, il faut la combattre!
De quelle façon votre
propre vie illustre-t-elle cette condition féminine? En êtes-vous un bon
exemple?
Je
le suis. J'ai vécu dans une société dominée par les hommes. Toute mon enfance,
j'ai beaucoup souffert, surtout parce que la tradition m'interdisait de sortir.
Je devais rester à la maison, pour aider ma mère. Celle-ci n'était pas la seule
à être opprimée. Toutes les femmes l'étaient: mes tantes, mes voisines... A
l'époque, je ne voyais pas cela comme de l'oppression, mais comme le fruit de
la tradition. Je ne comprenais pas que l'islam était l'outil du système
patriarcal. Je vivais dans une société musulmane, dans une famille musulmane,
et j'avais l'habitude de voir les femmes enveloppées dans leur burqa de la tête
aux pieds, se faire battre par leur mari, qui pouvait être polygame ou qui
divorçait quand il le voulait. Je pensais alors que, peut-être, ces hommes
agissaient mal, que sûrement l'islam ne permettait pas de telles choses.
C'est en lisant le
Coran que vous avez vu les choses différemment?
Oui.
C'est ma mère qui m'a enseigné le Coran. J'avais aussi un maître qui venait à
la maison m'apprendre l'arabe pour que je puisse déchiffrer le texte, sans que
je le comprenne vraiment. Souvent, les femmes ne savent pas ce que dit le
Coran, car le texte est écrit en arabe, et dans beaucoup de pays non
arabophones on déchiffre l'arabe sans comprendre le sens des versets... Mais, à
14 ans, je suis tombée sur un Coran traduit en bengali, et j'ai comparé plus de
12 traductions bengalies différentes... A ma grande surprise, j'ai compris que
c'était bien Allah qui déclarait les femmes inférieures, qui prônait la
polygamie, le divorce uniquement pour les hommes, le droit de battre leurs
épouses, l'interdiction faite aux femmes de porter témoignage en justice,
l'inégalité en matière d'héritage, le port du voile… Oui, Allah permettait tout
cela. J'ai compris que la condition des femmes musulmanes n'était donc pas un
problème spécifique à la société bengalie, mais bien le fait de la loi d'Allah,
une loi terrifiante, ou plus précisément de la loi que Mahomet avait faite au
nom d'Allah… Lorsque j'ai tenté de critiquer l'islam au nom des femmes et de la
justice, les fondamentalistes sont devenus fous; ils n'ont pas accepté de
débattre, ils n'ont pas argumenté, ils ont seulement voulu me faire taire et me
tuer. Ils ont décrété une fatwa que le gouvernement a cautionnée au lieu de les
sanctionner. Ce n'était pas illégal, puisque le Coran dit que l'incroyant doit
être tué: Allah le permet. Pour sauver ma vie, j'ai été forcée de me cacher et
de quitter mon pays, sachant que beaucoup de gens me soutenaient mais ne
pouvaient le dire publiquement.
Est-ce vraiment le Coran qui est responsable, ou
les fondamentalistes qui l'interprètent à leur manière?
Beaucoup de musulmans modernes disent que les fondamentalistes ont tort, que
ces derniers ne représentent pas le vrai islam, et que celui-ci n'a jamais
prescrit d'assassiner les incroyants. C'est faux! C'est bien l'islam, le vrai
islam, l'authentique islam, qui prescrit de tuer les apostats et les
incroyants. Cela est explicite dans le Coran. Le Coran dit même que l'on peut
tuer les juifs et les chrétiens et que, si on se lie d'amitié avec eux, Allah
promet l'enfer.
Ne serait-il pas plus
juste de dire qu'on y trouve des versets contradictoires?
Oui,
mais c'est uniquement parce que, lorsque Mahomet n'avait pas le pouvoir, il
recherchait des alliances politiques avec les non-musulmans. Il se voulait
tolérant. Mais, dès qu'il eut le pouvoir, il changea radicalement et commença à
parler de massacrer les non-musulmans... Si les fondamentalistes ont voulu me
tuer, c'est parce qu'ils veulent vraiment appliquer le vrai islam. Ils sont
l'islam authentique. Les musulmans qui souhaiteraient voir les femmes libérées
sont en contradiction avec leur doctrine: Allah ne les aurait pas acceptés. Le
Coran le dit clairement, et ce sont les paroles d'Allah lui-même: «Les hommes
ont autorité sur les femmes du fait que Dieu a préféré certains d'entre vous à
certains autres, et du fait que les hommes font dépense, sur leurs biens, en
faveur de leurs femmes. Les femmes vertueuses sont obéissantes… celles dont
vous craignez l'indocilité, avertissez-les! Reléguez-les dans les lieux où
elles couchent! Frappez-les… (4.34).»
«Réalisez aussi que Mahomet a pris Aïcha pour femme quand elle
avait 6 ans !»
Que
dit-il de la vie sexuelle des femmes?
L'islam
considère la femme uniquement comme un objet sexuel, un objet sale comme de la
merde, car le Coran dit textuellement: «Ô vous qui croyez, si vous êtes malade
ou en voyage, si vous avez été en contact avec vos excréments ou que vous ayez
touché une femme et que vous n'ayez pas d'eau, recourez à du sable [avant de
prier] (4.43).» Il dit aussi: «Vos femmes sont un champ de labour pour vous.
Venez-y comme vous voulez.» Donc, quand les hommes veulent et comme ils
veulent! Que la femme veuille ou non, la question n'est jamais posée! Les
hadith précisent que deux catégories de prières n'atteignent jamais les cieux:
celles de l'esclave en fuite et celles de la femme qui se refuse la nuit à son
mari...
Et le voile?
Il
faut savoir que le voile existe uniquement parce que Mahomet était très jaloux
de ses amis qui venaient lui rendre visite et regardaient Aïcha, sa femme. Il
ne pouvait tolérer cela. C'est alors qu'il dit avoir reçu une révélation
d'Allah lui disant que les femmes devaient se couvrir face au regard des
hommes. Il imposa donc le voile à Aïcha, et par extension à toutes les femmes.
Réalisez aussi que Mahomet a pris Aïcha pour femme quand elle avait 6 ans! Ce
qui est, bien sûr, un abus d'enfant. Oui, je pourrais qualifier Mahomet
d'abuseur d'enfant. Et le voile est, pour moi, le signe de la plus profonde
oppression.
Réalisez-vous que vos
propos peuvent être considérés comme choquants, voire insultants, pour l'islam?
Si
c'est insulter l'islam que d'affirmer que le Coran est un texte oppressif,
alors je peux insulter l'islam. Ce qui compte pour moi, c'est l'être humain, et
non le texte. L'islam n'est pas une personne avec un cœur et des sentiments. Ce
n'est qu'une création humaine qui date de très longtemps. Je pense réellement
que l'islam est une torture contre les femmes, une torture que nous devons
combattre. Mon stylo est ma seule arme. Je ne me trouve pas spécialement
radicale. Je dis seulement la vérité. Tout est écrit dans le Coran. C'est moi
qui ai été choquée quand je l'ai lu pour la première fois, quand j'ai vu que
des millions de gens croyaient encore à ce livre horrible. Comment est-ce
possible si l'on croit aussi à l'humanisme? Je pense que toute personne
consciente serait choquée comme moi.
Vous n'avez pas peur
de parler ainsi?
Pourquoi
aurais-je peur, puisque je dis la vérité? Même au Bangladesh, je parlais de
cette manière, et je n'avais pas peur. Le Coran ne dit rien sur la réalité du
monde, il ne permet pas la mise en œuvre des droits de l'homme, de la
démocratie, de la liberté d'expression. Il est plein d'idées fausses sur
l'Univers.
Plutôt que la cause
de l'oppression, le Coran ne serait-il pas un prétexte dont les hommes se
servent pour conserver leur pouvoir sur les femmes?
C'est
parce que le texte existe qu'ils peuvent s'en servir. Si ce texte n'était pas
considéré comme provenant d'Allah, intangible pour tous les temps passés et à
venir, alors le Coran ne serait pas important. En réalité, les fondamentalistes
peuvent justifier leurs crimes du seul fait que ce texte est considéré comme
saint.
Il n'y a donc rien à
garder du Coran?
Non,
parce que maintenant nous connaissons la modernité et les droits de l'homme.
J'ajoute que, pour moi, il n'y a pas de conflit entre l'Islam et l'Occident,
entre la chrétienté et l'islam; il existe plutôt un conflit entre
sécularisation et fondamentalisme, entre pensée logique et pensée
irrationnelle, entre innovation et tradition, passé et présent, modernité et
antimodernité, entre ceux qui valorisent la liberté et ceux qui ne la
recherchent pas. Je défends les musulmans partout où ils sont opprimés, en Inde
ou ailleurs quand ils sont en minorité. Je suis contre la violence. La violence
n'est jamais une solution. Je sais que la plupart croient en l'islam d'abord
par ignorance et parce que les politiciens se servent de la religion pour les
maintenir dans l'ignorance. Ce dont nous avons besoin, c'est d'une éducation
éclairée. Il y a des siècles, des hommes ont créé l'islam. Le Coran peut être
considéré comme un document historique. Je n'ai jamais dit qu'il fallait le
détruire, pas plus qu'il ne faut détruire les hadith! On doit le prendre comme
un élément de notre histoire passée, mais ne pas chercher à l'appliquer de nos
jours.
Vous
ne pouvez pas nier une certaine évolution de la condition des femmes. On n'est
quand même plus au temps du Prophète!
Bien
sûr. Mais l'essentiel ne change pas. Un exemple: au Bangladesh, avant 1962, un
homme qui voulait divorcer devait simplement prononcer trois fois le mot
«divorce» pour l'obtenir. Depuis la réforme de la loi islamique, il lui suffit
d'écrire une simple lettre à l'autorité locale, et le divorce est prononcé. Où
est la différence? Autre exemple: si un homme veut se marier une seconde fois,
il doit demander la permission à sa première femme. En réalité, comme celle-ci
continue à dépendre économiquement de son mari, elle n'a pas d'autre choix que
d'accepter... De même, lapider une femme n'est plus légal au Bangladesh.
Pourtant, cela arrive quotidiennement dans les villages, et les autorités
laissent faire: les fondamentalistes répondent simplement qu'ils ne font que
suivre la loi d'Allah. Pour moi, ces réformes n'ont aucun sens. Je veux une
révolution.
Tout dépend des pays.
Au Maghreb, par exemple, les jeunes femmes semblent plus libres que leurs
mères.
Dans
certains pays musulmans, il arrive que des femmes aient plus de liberté
sexuelle, mais ce n'est pas grâce à l'islam. Si elles ont plus de liberté,
c'est parce qu'elles l'ont prise! Aucune société ne la leur a accordée. Il
reste que la majorité des femmes musulmanes a toujours peur et ne peut rejeter
le système si facilement.
Que souhaitez-vous
dire à toutes ces femmes?
Je
voudrais leur faire comprendre qu'elles doivent lire le Coran avec un esprit
clairvoyant pour y chercher une quelconque justice. Si elles ne la trouvent pas
dans le texte (et elles ne la trouveront pas), elles devront cesser de suivre
ces règles et commencer à se battre. A chacune de trouver la manière de le
faire. La mienne, c'est l'écriture. Je veux simplement les encourager, leur
dire que, si nous voulons être plus civilisés, nous ne pouvons plus suivre ces
livres qui prescrivent l'inégalité. Je veux leur faire prendre conscience que,
si elles n'entament pas leur propre libération, alors leurs filles souffriront,
elles aussi. Peut-être que les femmes d'aujourd'hui ne verront pas l'avènement
d'une société laïque de leur vivant, mais il est de leur devoir de la préparer
pour les futures générations. A celles qui ne se battent pas pour faire cesser
l'oppression de ce système patriarcal et religieux, je dis: honte à vous! Honte
à vous de ne pas protester, honte à vous de conforter un tel système! C'est
difficile, car il existe une sorte de conspiration qui maintient les femmes
dispersées et isolées (dans de nombreux pays musulmans, elles n'ont pas même le
droit d'entrer dans les mosquées) et il est difficile pour elles de se
rassembler... Mais, dorénavant, les femmes doivent conquérir leur indépendance
économique. Elles doivent se battre pour vivre dans la dignité, en êtres
humains. Nous avons besoin maintenant d'une éducation laïque, nous avons besoin
des Lumières.