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DÉBAT SUR LES DROITS DE LA FEMME EN ARABIE SAOUDITE
MEMRI - Dépêche Spéciale n° 670 –5 mars 2004 – Arabie Saoudite / Réforme
De hauts responsables et hommes d’affaires saoudiens ont
participé au forum économique de Djedda, entre le 17 et le 19 janvier 2004,
ainsi que les dirigeants de différents pays, comme le Premier ministre turc
Recep Tayyip Erdogan, le Premier ministre libanais Rafiq Al-Hariri, l’ancien
président des Etats-Unis Bill Clinton et l’ancien Premier ministre de Malaisie
Mahathir Mohamad.
Pour la première fois, des femmes d’affaires saoudiennes participaient au forum en compagnie des hommes. Certaines d’entre elles ne portaient pas le voile (hidjab). Or, dans les précédents forums, les femmes n’étaient autorisées qu’en circuit fermé télévisé. Les rapports de médias sur la conférence comportent des photographies de participantes non voilées, ce qui a soulevé la colère de l’establishment religieux saoudien. (1)
Au cours de la conférence, la femme d’affaires saoudienne Lubna Al-Alian, qui a prononcé un discours sur “ la perception saoudienne de la croissance ” devant tous les participants, a eu un effet marquant. Elle a notamment dit : “ Sans véritable changement, il sera impossible d’accomplir de véritables progrès. Si nous voulons des progrès en Arabie Saoudite, il n’y a pas de substitut à la réforme. ” (2)
Commentant le discours d’Al-Alian, Nahed Taher, économiste de la banque Al-Ahli en Arabie Saoudite, a confié à l’AFP : “ En tant que Saoudienne, je pense que nous avons accompli un acte historique, grâce à vous, Lubna (…) Nous, femmes, avons été reléguées à nos foyers pour cause de discrimination, mais aujourd’hui, il existe une volonté politique de nous accepter dans la vie quotidienne (…) Le changement constitutionnel est nécessaire au renforcement du rôle de la femme [dans la société], un rôle complémentaire à celui de l’homme. ” (3) Voici quelques réactions à l’événement :
Le cheikh Abd El-Aziz El-Cheikh, mufti d’Arabie Saoudite, a condamné la mixité du forum et la publication de photos des femmes d’affaires saoudiennes non voilées dans la presse. Dans un communiqué officiel, il a déclaré : “ Ces derniers jours, nous avons suivi les événements du forum économique, lesquels appellent notre condamnation (…) ”
La présence d’hommes et de femmes dans un même lieu est clairement interdite. Allah a dit des femmes du Prophète, les femmes les plus pures et les plus pudiques de ces deux mondes : ‘Et quand vous leur demanderez quelque chose, [faites-le] derrière un écran. Ce sera [un gage de] pureté pour vos cœurs et les leurs.’ [le Coran 33 : 53]. Allah a demandé à ce que les propos tenus entre les femmes du Prophète et ses compagnons se fassent avec un écran interposé. [Cette injonction] découle clairement de l’interdiction de mêler [les sexes], de l’obligation pour la femme de porter le voile et de l’interdiction de montrer son visage (…)
J’enjoins ceux présents au forum à craindre Allah, Son courroux et le châtiment qu’Il destine à ceux qui transgressent Son commandement, dévient du chemin de la droiture et permettent que s’ouvrent les portes du mal (…) Je condamne clairement une telle attitude, interdite par l’islam, et [vous] mets en garde contre ses conséquences catastrophiques. Ma douleur est accentuée par le fait qu’un comportement aussi pervers puisse exister en Arabie Saoudite, pays dont les dirigeants s’efforcent d’appliquer [les commandements] de la charia (…) ” (4)
Les journalistes arabes ont qualifié la participation de
femmes au forum de Djedda de succès important pour les femmes d’Arabie
Saoudite. Nasser Al-Sarami écrit dans son article, paru dans le quotidien
saoudien Al-Riyad :
“ (…) La présentation de Lubna Al-Alian est un pas important pour la croissance nationale dans tous les secteurs (…) Il ne fait aucun doute que les Saoudiennes sont intelligentes, dotées de qualités, d’une volonté et d’une assurance inébranlables. Elles sont [aussi] assurément moins corrompues que les hommes, contrairement à l’image que certains essaient de donner. Si vous ajoutez à cela leur diplomatie naturelle bien connue, alors vous vous trouvez face à des personnalités hors du commun. Pourquoi donc les femmes ne jouent-t-elles pas un plus grand rôle [dans la société] ?
Lubna Al-Alian souligne que le pays doit pourvoir un terrain fertile en encourageant les investissements, en mettant fin au processus bureaucratique exténuant, en facilitant les entrées et les sorties du pays et en réexaminant [l’attribution] des visas. Ces réclamations et cette perception mûre sont le fait de la fille de feu Suleiman Al-Alian ; c’est la première fois qu’une femme d’affaires saoudienne s’adresse à un public [d’hommes] directement, et non par le biais du circuit fermé télévisé. Il s’agit là d’un progrès significatif, au vu des problèmes économiques et sociaux [de l’Arabie Saoudite]. Avec ce type de personnes, le changement ne manquera pas d’arriver. ” (5)
Ahmed Al-Jarallah, directeur du quotidien koweïtien Al-Siyassa, écrit dans un éditorial : “ Le rôle caché des femmes saoudiennes commence à être mieux connu, et les gens commencent à comprendre que les femmes jouent un rôle égal à celui des hommes saoudiens, dans l’économie, les banques, les universités, la médecine et les hôpitaux. Ce rôle a été révélé au cours de toutes les sessions du forum de Djedda, qui s’est ouvert il y a deux jours et a été qualifié de précédent historique (…)
Il ne fait aucun doute que l’émir Abdallah ibn Abd El-Aziz, prince héritier d’Arabie Saoudite, qui a conduit la grande réforme de son royaume, a suivi le déroulement du forum de Djedda et a été fier de Lubna bint Suleiman Al-Alian, Dr Haifa Himl Al-Layl, Dr Salwa Hazza, Dr Thuraya Al-Aridh et Dr Nahed Taher, qui ont toutes participé aux activités du forum. Deux d’entre elles se sont tenues debout sur le podium lors de la conférence de presse, à laquelle ont participé un grand nombre de journalistes saoudiens, arabes et étrangers. Ainsi est apparue la femme saoudienne, enfin révélée [au monde]. Telles sont ses qualités, dévoilées au forum de Djedda : la culture, le bon sens, la compréhension et l’argent. La femme saoudienne a prouvé qu’elle était à l’opposé de la description qu’en font ceux qui oppriment [les femmes en disant] qu’elles ne sont bonnes qu’à porter des enfants et préparer à manger (…)
Le prince héritier [saoudien], l’émir Abdallah, a probablement été heureux et fier face aux brillants esprits de ces femmes saoudiennes (…), universitaires et femmes d’affaires, qui ont manifesté fierté et assurance en évoquant le rôle de la femme saoudienne, sa capacité de production, ses facultés mentales et économiques. Aujourd’hui, nous attendons un autre forum [à Médine], entièrement consacré au débat sur la situation de la femme, et nous espérons qu’il sera du même niveau [que le forum de Djedda]. ” (6)
Dans un éditorial du quotidien londonien Al-Qods Al-Arabi, intitulé “ La révolution féminine en Arabie Saoudite ”, on peut lire : “ L’Arabie Saoudite connaît actuellement les douleurs de la naissance à tous les niveaux : politique, social et économique. Le ‘royaume du silence’, comme le qualifient de nombreux journalistes, doit actuellement relever le plus grand défi de son histoire, en optant pour l’ouverture, en quittant la coquille du ‘conservatisme’, en abandonnant le ‘pacte’ politico-religieux conclu avec les oulémas conservateurs à la base du régime.
Le phénomène sans précédent du forum économique de Djedda (…) est considéré comme une révolution, et indique qu’une nouvelle étape a été franchie, qui nous sort des 15 siècles précédents.
L’audace de Lubna Al-Alian, directrice générale de l’établissement financier Alian, apparue non voilée au forum économique de Djedda et intervenue sur le podium devant hommes et femmes confondus, est un événement historique qui la place au même niveau que Huda Sharawi, pionnière de la modernité en Egypte au début du siècle précédent.
Si Mme (7) Al-Alian avait osé agir ainsi l’année dernière, elle aurait reçu les coups de fouet de la police religieuse [saoudienne]. Si le forum économique de Djedda avait, il y a deux ans, abrité hommes et femmes, il aurait été incendié, et les femmes y participant auraient été accusées de licence et d’avoir enfreint les [principes] religieux ; elles auraient peut-être été lapidées. Il est clair qu’une telle réunion, avec la participation de femmes ‘provoquant’ l’establishment religieux traditionnel, ne serait pas arrivée sans les encouragements de la famille gouvernante ou d’une partie de cette famille, et si [la famille au pouvoir] n’avait pas pris la décision de se démarquer de l’establishment religieux traditionnel, pour faire plaisir aux libéraux qui réclament la réforme et sous l’effet des pressions américaines (…)
(…) La condamnation de mufti [saoudien] était modérée et faible, et ne correspond pas au ton traditionnellement adopté par son institution. Peut-être cette condamnation a-t-elle été dictée d’en haut par les autorités, afin d’absorber la colère et l’amertume des oulémas (…)
Il est toutefois vrai que la permission accordée aux femmes de participer aux forums - ce qui représente une étape libérale et réformatrice - demeure hautement marginale. La véritable réforme est politique, et étend la participation [des sujets à la vie du] régime ; elle consiste à réformer le système judiciaire, à promouvoir l’égalité, à agir avec justice, à cesser de gaspiller les fonds publics et à restituer ce qui a été pillé par la corruption, les commissions et les dons de terres. ” (7)
L’ancien directeur d’Al-Sharq Al-Awsat : les femmes saoudiennes ont régressé et non progressé.
Abd El-Rahman Al-Rachid, ancien directeur du quotidien Al-Sharq Al-Awsat, édité en arabe à Londres, a minimisé l’importance de la participation des femmes non voilées au forum de Djedda, dans un article intitulé ‘La conférence manquante’ : ‘Je suis surpris de voir des gens s’enthousiasmer de la participation de 10 saoudiennes à la conférence d’affaires de Djedda - leur participation n’ayant été que d’ordre décoratif – ainsi que de l’attention qu’elle a suscitée dans et en dehors de nos frontières. A mon avis, [cette participation] ne représente rien de plus qu’un quart de pas en avant.
Pour bien saisir la petitesse de ce pas, il convient de regarder l’image dans son ensemble. Comparez ce quart d’étape aux mille pas en arrière [de l’Arabie Saoudite] la même semaine.
Le Dr Ali Al-Afis, directeur de l’Institut général d’études technologiques, s’est empressé d’écarter l’idée de la création d’un institut d’études technologiques pour femmes. Ainsi, le danger de se retrouver officiellement démuni du droit d’acquérir la moitié des connaissances qui existent aujourd’hui – c’est-à-dire d’études technologiques - menace plus de trois millions de femmes.
Dans une telle situation, que représente la présence de 10 femmes à la conférence, 10 femmes dont les activités et l’impact ont été oubliés avec le départ des participants et l’arrivée des femmes de ménage, et dont il ne reste qu’une photo souvenir ? (…)
La vérité est qu’une femme respectable et accomplie, comme Lubna Al-Alian, n’aurait pas atteint son niveau sans sa volonté et celle de sa famille (…)
L’ouverture d’instituts technologiques pour femmes aurait été une réussite mineure dans un pays qui a déjà fait le grand pas [de permettre] aux femmes d’étudier – il y a plus de trois siècles. La décision de refuser [la création d’instituts technologiques pour femmes] aura des effets indésirables sur la situation du pays d’ici un siècle, aux niveaux économique et social.
Quant à la présence de ces 10 femmes à la conférence, elle était purement décorative, même si elle leur a octroyé un certain degré de confiance en elles. Mais que représente cette confiance pour ces participantes, qui ont déjà plus d’assurance et d’argent que la plupart des participants hommes ? Et à quoi sert-il de faire confiance [aux femmes] si c’est pour leur nier [le droit d’intégrer] les instituts et de trouver du travail ? Que vaut l’apparition de 10 femmes quand trois millions de jeunes filles n’ont pas le droit de faire des études dignes de ce nom ? ” (8)
(1) Les photos des participantes non voilées ont été publiées, notamment dans le quotidien saoudien Okaz, le 27 janvier 2004, et dans le quotidien Al-Qods Al-Arabi, édité en arabe à Londres, le 21 janvier 2004.
(2) Al-Qods Al-Arabi (Londres), le 18 janvier 2004.
(3) IslamOnline.net, le 18 janvier 2004 ; Al-Qods Al-Arabi (Londres), le 18 janvier 2004.
(4) Al-Jazirah (Arabie Saoudite), le 21 janvier 2004.
(5) Al-Riyad (Arabie Saoudite), le 19 janvier 2004.
(6) Al-Siyassa (Koweït), le 19 janvier 2004.
(7) Al-Qods Al-Arabi
(Londres), le 21 janvier 2004.
(8) Al-Sharq Al-Awsat
(Londres), le 26 janvier 2004.