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PERFIDE UNION

PAR EMMANUEL NAVON  - Professeur de sciences politiques à l'Université de Bar-Ilan et de relations internationales à l'Université de Tel Aviv (Israël)

Article  paru dans le Figaro du 22 avril 2002

Le représentant de la Commission européenne en Israël, Gincarlo Chevallard, a récemment essayé de justifier aux Israéliens le vote du Parlement européen en faveur de la suspension de l'accord commercial entre Israël et l'Union européenne. Selon Chevallard, ce vote reflétait la « colère » de l'opinion publique européenne face au refus du premier ministre israélien Ariel Sharon d'autoriser la rencontre entre Arafat et deux dignitaires européens (le chef de la diplomatie européenne Javier Solana et le ministre espagnol des Affaires étrangères Joseph Pique). Nous autres Israéliens avons des doutes sur cette théorie.

 

La « colère » des Européens était injustifiée car le but de leur rendez-vous avec Arafat était inacceptable. Tandis que l'émissaire américain Anthony Zini avait rencontré Arafat pour exiger qu'il acceptât, comme Israël, un cessez-le-feu, Solana et Pique voulaient rendre publique la politique européenne de soutien à Arafat et d'opposition au droit d'Israël de se défendre contre le terrorisme. Les Etats-Unis reconnaissent à Israël son droit à la légitime défense, tandis que l'UE le lui dénie explicitement. Comme le reconnaît The Economist (6 avril), les Européens « rejettent le droit d'Israël à répliquer militairement » au terrorisme palestinien.

Certains Européens affirment que la décision de leur Parlement n'est pas simplement l'expression d'une « colère » mais plutôt d'une opposition de principe à tout usage de la force entraînant des pertes civiles. Dans ce cas, comment se fait-il que les armées européennes aient pris part aux opérations militaires de l'Otan contre la Serbie, causant de nombreuses pertes civiles ? Et si l'UE ne peut souffrir des partenaires commerciaux qui ne seraient pas à la hauteur de ses critères de démocratie et de respect des droits de l'homme, comment se fait-il qu'elle négocie des accords commerciaux avec l'Iran et la Syrie ?

 

Que l'UE ait besoin d'amadouer ses fournisseurs de pétrole et son électorat musulman est compréhensible et n'a pas besoin d'être camouflé par des excuses douteuses. Comme tout autre membre de la communauté internationale, l'UE est en droit de défendre ses intérêts économiques comme elle l'entend ; mais contrairement à d'autres, elle n'a moralement pas le droit de donner des leçons à Israël.

Lors de la guerre de Kippour, les neuf gouvernements de ce qui s'appelait à l'époque la Communauté économique européenne (CEE) rejetèrent la demande américaine de faire transiter par l'Europe le pont aérien militaire américain destiné à Israël. La CEE n'approuva pas l'accord de paix entre Israël et l'Égypte en 1979, sous prétexte que cet accord ne faisait pas mention de l'OLP. En juin 1980, le Conseil des ministres de la CEE adopta la « Déclaration de Venise » appelant Israël à reconnaître l'OLP, alors même qu'à la veille du sommet de Venise l'OLP avait officiellement déclaré que sa branche militaire, le Fatah, était « un mouvement national révolutionnaire indépendant dont le but est de libérer toute la Palestine et de liquider l'entité sioniste ».

Les gouvernements européens, et en particulier la France, firent tout dans les années 1970 et 1980 pour prendre le contre-pied de la politique américaine de pacification graduelle entre Israël et les pays arabes modérés. La France construisit une centrale nucléaire à Saddam Hussein, ferma les yeux sur l'occupation du Liban par la Syrie, et se fit l'avocat zélé de l'OLP. Elle fait usage de son droit de veto au Conseil de sécurité des Nations unies pour empêcher le vote de sanctions contre le régime de Saddam Hussein, défie les efforts américains pour couper l'Iran de la technologie et des capitaux occidentaux, et se démarque avec condescendance de la lutte américaine contre le terrorisme (récemment qualifiée de « simpliste » par Hubert Védrine).

Il s'ensuit que la France et ses partenaires européens portent une responsabilité écrasante dans l'instabilité du Proche-Orient et dans la vague de violence et de terrorisme contre laquelle Israël essaie de protéger ses citoyens. En tant que fauteur de troubles régional, l'UE devrait avoir la décence de garder ses conseils pour elle-même et d'appliquer les formules européennes pour la paix en Irlande du Nord, en Corse et au Pays basque. Comme l'a dit Itzhak Rabin, « moins les Européens se mêlent du Proche-Orient, plus nous avons de chances d'arriver à la paix ».

 

Dans son dernier livre, Lady Thatcher a écrit que, durant sa vie, « la plupart des problèmes que le monde a connus sont nés en Europe continentale et leur solution est venue du dehors ». Cette idée s'applique au Proche-Orient, mais ne saurait exclure la Grande-Bretagne qui a vendu deux fois la même marchandise en Palestine et s'est enfuie dès que la maison a pris feu. La solution au conflit israélo-arabe, si tant est qu'il y en ait une, ne viendra pas d'un continent qui fait des affaires avec l'Iran, s'évertue à préserver Saddam Hussein, et continue de se faire le dernier avocat international d'Arafat. Cette solution émergera d'une victoire totale contre le terrorisme et de la démocratisation du Proche-Orient deux phénomènes que la politique de l'UE ne cesse de gêner.

 

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