www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
LES ÉLITES
"BOURBON" D'ISRAËL
Par Ari Shavit, journaliste, article paru
dans Haaretz du 28/11/02
Traduit par Bertus
Peu après que Tsahal ait entrepris
l'opération "Bouclier de défense" au printemps dernier, un de ses
commandants utilisa une métaphore intéressante pour décrire le sens de cette
incursion militaire de grande envergure. "En Cisjordanie, nous ne
faisons qu'étouffer le feu avec une couverture. Nous ne l'éteignons pas et nous
ne empêchons pas sa ranimation. Mais en couvrant d'une couverture les
territoires en flammes, nous empêchons la propagation de l'incendie et, petit à
petit, nous essayons de l'étouffer".
Certes! Mais récemment, il est apparu que
la couverture de Tsahal n'a plus d'effet à long terme. Pire! Pendant que Tsahal
et le Shin Bet couvrent le terrorisme palestinien d'une couverture suffocante,
cette même terreur a jeté une couverture étouffant le public israélien. Et
l'économie israélienne. Mais surtout la clarté de la réflexion en Israël.
Au 2ème semestre de 2002, il est
devenu évident que la terreur palestinienne avait réussi à bloquer d'une
manière significative le flux d'oxygène nécessaire à la résistance du pays.
L'expression la plus claire de
l'affaiblissement de la détermination israélienne ces derniers mois est la candidature de Mitzna.
Le fait que des Israéliens sensés soient aujourd'hui prêts à gober les
"étranges promesses" faîtes par le maire de Haifa est le témoignage
qu'en fin de compte, les Palestiniens sont en train d'user les Israéliens plus
que l'inverse! Le fait que tant
d'Israéliens soient prêts à accepter les conditions de reddition de Mitzna,
notamment des négociations sous la menace du feu de l'ennemi, un retrait sous
le feu de l'ennemi et l'installation immédiate d'un état armé et hostile,
montre que quelque chose s'est cassé depuis quelques mois. Après deux ans d'une
résistance impressionnante, des pans entiers du public israélien recommencent à
accepter des idées saugrenues.
Les propositions de Mitzna sont tellement
étranges qu'il devient même embarrassant de les discuter. Le principe de
négocier sous le feu signifie l'écroulement de deux ans d'efforts pour parvenir
à une forme de modus vivendi stable. On en paiera le prix par des rivières de
sang. Le principe de se retirer sous le feu signifie un encouragement pour des
attaques répétées contre Israël. Et le prix à payer sera la guerre. Le principe
de l'installation immédiate et inconditionnelle d'un état palestinien armé
signifie qu'Israël perd sa capacité à se défendre avec des moyens
conventionnels. Et le prix ici est de risquer l'existence même de l'Etat
d'Israël!
Il est vrai que le programme de Mitzna n'a
aucune chance d'être adopté comme base d'une politique israélienne. Quand la
campagne électorale va s'animer et qu'Omri Sharon et Réouven Adler expliqueront
au peuple ce que ce programme signifie réellement, la gauche israélienne suivra
le même processus que celui de la gauche américaine en 1972, sous George Mac
Govern: elle sera taillée en pièces! Mais le simple fait que pendant ces six
derniers mois la nouvelle excentricité politique d'un Mitzna ait gagné des
suffrages parmi tant de bons Israéliens montre que les élites du pays restent
des élites "Bourbon", c'est à dire qu'elles n'ont rien appris et tout
oublié! Plus exactement, elles ont appris quelque chose pendant un moment et
puis elles se sont empressées de l'oublier. En fait sous la pression de la
terreur palestinienne, elles ont choisi une fois de plus d'oublier!
Ainsi, à la fin de ces primaires
électorales, l'homme de la Mouqata peut marquer des points: le phénomène
"Mitzna" est la preuve formelle que dans le match Arafat/Sharon, ce
dernier n'a pas forcément la haute main. Les Palestiniens peuvent bien étouffer
sous la main de fer de Tsahal, mais ce sont les Israéliens qui clignent de
l'œil les premiers. L'étouffoir de la terreur a plus gagné sur le plan
stratégique que l'occupation militaire de territoires. La "feuille de
route" américaine en est aussi la preuve, de même que les statistiques
déprimantes et la perte d'espoir de la société israélienne.
Mais la campagne électorale n'est pas
encore terminée. Le bon sens
Israélien doit avoir le dernier mot! Pour gagner cette guerre de
terreur et d'usure qu'on nous impose, nous avons besoin d'une nouvelle manière
de réfléchir et de penser. Pour faire front au défi existentiel de la prochaine
décennie, Israël doit entreprendre une révision de sa réflexion et aborder une
pensée à la fois dialectique et créative pour asseoir une nouvelle idéologie
politique. Car ce qui est frustrant dans le programme Mitzna, mais aussi dans
ses parallèles de la droite (1), c'est l'indifférence des politiques devant le
besoin urgent d'une restructuration de l'idéologie politique. Il y a comme un
désespoir dans cette campagne électorale où on nous offre de choisir entre deux
pôles anachroniques qui partagent la même ignorance délibérée des réalités du
terrain.
Mais il reste encore 60 jours. Le seul
peuple du Moyen Orient qui a le droit de choisir son destin dans les urnes peut
encore faire une pression morale sur ceux qui prétendent être nos leaders. Mais
il est intolérable qu'après ce que nous avons enduré ces dernières années, nos
candidats se conduisent comme s'ils arrivaient d'une autre planète! Il est
intolérable que nous puissions leur permettre de nous mener une fois de plus
dans "les pièges à c…" qui ont montré par expérience qu'ils mettent
en péril nos vies mêmes.
(1) note du traducteur:
l'Institut Shalem est un centre de réflexion qui définit pour le Liqoud
des axes d'une idéologie et d'une stratégie politique depuis déjà de nombreuses
années, voir www.shalem.org.il