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OPÉRATION « PLOMB DURCI » À GAZA
ANALYSE ET PERSPECTIVES
Par
Emmanuel Dubois, Chercheur associé à l’ESISC- www.esisc.org
Conclusion d'une note d’analyse de
24p de l'Esisc - 01/03/2009
http://www.esisc.org/documents/pdf/fr/operation-plomb-durci-a-gaza-436.pdf
Synthèse, un bilan mitigé
Avant de
conclure, il est temps de faire une synthèse des points forts de cette analyse.
Après trois
semaines d’opérations dans la bande de Gaza, Israël
a clairement obtenu la victoire militaire sur le Hamas. L’opération
« Plomb durci » a démontré les progrès notables de Tsahal par rapport à 2006,
où elle avait peiné à forcer la décision face au Hezbollah. L’armée israélienne
a donc fait preuve de ses très grandes capacités de frappe grâce au retour aux opérations
combinées et à un meilleur équilibre entre puissances aérienne et terrestre.
Des progrès
évidents ont été faits en termes de logistique. La chaîne de commandement a été
révisée. Les équipements qui avaient fait défaut aux réservistes ont été
disponibles aux troupes au sol. Surtout, Tsahal a su faire preuve de sa très
grande capacité d’adaptation à un ennemi asymétrique qui a tenté, mais sans
succès, de s’inspirer de la techno-guérilla du Hezbollah. Sa créativité, ses
tactiques novatrices, associées à une très haute technologie ont été
déterminantes sur le terrain. Autre fait majeur, le renseignement a été
remarquable, s’appuyant sur un réseau d’informateurs humains et un
renseignement technologique sans faille. Voilà qui a permis à Tsahal des
performances peu communes.
A la lumière de
l’opération « Plomb durci », il apparaît donc clairement que Tsahal est bel et
bien une des meilleures armées du monde. Israël a
donc pu restaurer pleinement sa capacité de dissuasion sur le plan strictement
militaire à l’occasion de cette opération, Tsahal se révélant être
un outil de premier ordre sur le champ de bataille, y compris en milieu urbain.
Par contre, le
bilan politique semble plus incertain. Si Tsahal a visiblement su intégrer
les
recommandations de la Commission Winograd, qu’en est-il de l’échelon politique
? La détermination des objectifs est ainsi du ressort du politique, à qui
revient le pouvoir décisionnel en derrière instance, le plaçant dès lors à la
tête de la chaîne de commandement politico-militaire. Or c’est précisément
cette dernière qui avait été pointée du doigt par la Commission Winograd, même
si celle-ci s’était au final montrée plutôt clémente envers la direction politique,
de façon assez inattendue d’ailleurs. Par ailleurs, le concept de dissuasion,
même militaire, ne dépend-t-il pas en définitive du politique, et ne doit-on
pas plutôt parler de dissuasion politico-militaire ? Le comportement du
gouvernement israélien et l’issue politique de l’opération « Plomb durci » se
devaient donc de démontrer l’intégration par l’échelon politique des critiques
issues de la guerre manquée de 2006 contre le Hezbollah au Liban.
Les opérations militaires
terminées et le Hamas incontestablement vaincu par Tsahal après trois semaines
d’engagement au cours desquelles les islamistes ont été incapables de freiner
la progression de l’armée israélienne, ne lui causant que des pertes très
faibles et échouant même à capturer des soldats, projet pourtant maintes fois
exprimé avant et pendant les opérations, le résultat politique semble d’autant
plus incertain que les objectifs annoncés par les autorités israéliennes ne
sont manifestement pas atteints. Certes, la guerre ne s’est pas achevée sur une
résolution bancale et dangereuse pour la sécurité d’Israël et l’équilibre dans
la région, à l’instar de ce qui s’était passé en 2006 avec la résolution 1701,
négociée par les soins de l’actuelle ministre des Affaires étrangères Tsipi
Livni et de son ancienne homologue américaine Condoleezza Rice. Mais le tableau
n’est guère brillant en l’absence de tout accord concernant le réarmement du
Hamas, et en dépit de déclarations de bonnes intentions de nombreux pays occidentaux.
Si l’Egypte semble effectivement prendre un peu plus au sérieux le contrôle de
sa frontière avec la bande de Gaza, rien ne dit que la contrebande d’armes
cessera définitivement. C’est pourtant là la clef de toute stabilisation du
front sud pour Israël et un des objectifs avoués de son opération militaire.
Dans la même
veine, il semble que le gouvernement israélien n’a pas assuré le contrôle
de l’Axe
Philadelphie en retirant sans doute prématurément ses troupes dès l’annonce d’un
cessez-le-feu unilatéral. Du coup, la contrebande d’armes a déjà repris. Aucun
accord avec le Hamas n’a été conclu au moment où ces lignes sont écrites,
malgré des rumeurs persistantes et contradictoires dans la presse, provenant
notamment de journaux en langue arabe. On parle d’une trêve d’un an ou d’un an
et demi. Mais n’est-ce pas la conclusion d’une trêve et l’échec qui en a
résulté qui avait permis au Hamas de se réarmer depuis la précédente opération
militaire dans la bande de Gaza, l’opération «Hiver chaud », en février-mars
2008 ?
Autre dossier
croupissant dans les méandres des négociations improbables entre Israël
et le Hamas,
celui de Guilad Shalid est toujours aux mains de ses ravisseurs islamistes, au
mépris le plus total des conventions internationales. D’ailleurs, sa libération
n’a jamais été vraiment évoquée comme un objectif durant les trois semaines
d’opérations militaires.
Enfin, et
surtout, le Hamas est toujours en vie, ce qui lui permet de crier victoire.
D’ailleurs, à
peine la guerre finie, les islamistes ont repris le contrôle de la bande de
Gaza, avec la poigne de fer qu’on leur connaît. Quelques ONG ont alors émis des
critiques. Mais n’est-ce pas un peu tard pour le faire, quand elles en avaient
l’occasion pendant la guerre et même avant ? Il faut dire aussi que les
autorités israéliennes n’ont jamais su se mettre d’accord sur l’avenir du Hamas
dans la bande de Gaza, tiraillées qu’elles étaient entre la crainte d’une anarchie
à Gaza et la peur d’un ennemi islamiste aux portes des localités du sud
d’Israël. Sans oublier les dissensions entre les membres du triumvirat à la
tête du gouvernement israélien, si proche des élections de ce 10 février en
Israël. En attendant, les tirs de roquettes continuent, même de façon
sporadique, obligeant régulièrement la Heyl Ha’Avir à intervenir.
Le gouvernement
israélien a, semble-t-il, négligé que dans une guerre asymétrique, ne pas
perdre est une victoire pour l’acteur asymétrique. Et pour ce dernier, ne pas perdre, c’est parfois tout simplement rester en vie.
Le gouvernement israélien aurait-il une fois de plus manqué de détermination
dans sa conduite de la guerre ? N’est-ce pas là une fois encore un mauvais
message envoyé par Israël à ses ennemis et aux forces déstabilisatrices dans la
région ?
Il serait
peut-être temps que les dirigeants israéliens méditent cette maxime désormais
fameuse du
général Beaufre selon laquelle la guerre est une dialectique des volontés.
Et le tableau
régional n’est pas bien meilleur. La guerre à Gaza a révélé un monde arabe
divisé, écartelé
entre la question de l’expansion iranienne d’un côté, et sa propagande destinée
à calmer les ardeurs des populations du Moyen-Orient, souvent confrontées à
l’incurie et à la corruption des gouvernants en place, de l’autre. Ajoutons
l’inconscient collectif qui considère qu’Israël est toujours au centre de tous
les problèmes du monde arabo-musulman, et on comprend les difficultés des
dirigeants arabes de s’accorder sur une ligne commune, face au danger que
représente l’islamisme dans la région.
On peut
d’ailleurs épingler le rôle encore mal connu des
Frères Musulmans au cours de
ce
conflit, y compris sur la
scène européenne, où ils sont très bien implantés. N’oublions pas que le Hamas
est une de leurs émanations et que les milieux djihadistes et salafistes y
puisent leur inspiration. Voilà qui jette une ombre encore plus sombre sur les
manifestations qui ont eu lieu dans le monde entier et en particulier en
Europe, où des slogans ouvertement antisémites ont pu fleurir à l’occasion.
Autre acteur
régional de poids : l’Iran. Si celui-ci soutient indéniablement le Hamas, il
est difficile de
se prononcer sur ses gains dans l’opération. Est-il sorti renforcé du résultat
de « Plomb durci » ? Sur le plan militaire, le Hamas est durement atteint et
mettra du temps à se reconstituer. Mais vu que le gain politique d’Israël n’est
pas assuré et que toutes les conditions nécessaires au tarissement des sources
d’approvisionnement en armes du Hamas ne sont pas réunies, on ne peut pas
encore juger du coût pour l’Iran de la guerre à Gaza. En fait, tout dépendra à
la fois de la nouvelle direction israélienne issue des toutes récentes
élections législatives, mais dont il est possible qu’on ne connaisse le visage
que dans plusieurs semaines, et de la nouvelle politique américaine de l’administration
Obama, dont on sait d’ores et déjà qu’elle privilégiera une politique de détente et la négociation avec l’Iran, en vue de
la conclusion d’une entente, vieux rêve de certains milieux politiques
américains.
La Turquie et
l’Egypte sont quant à elles à la croisée des chemins. L’Egypte, surtout, se
trouve désormais
devant un choix crucial face au Hamas, sous la
double pression
déstabilisatrice
des Frères Musulmans et de l’Iran. Dans ce cadre, la coordination de sa
politique avec
Israël et les Etats-Unis est d’une importance capitale pour son avenir. Mais
son action politique, militaire et diplomatique ne sera pas le seul facteur
permettant, ou non, à l’Egypte de prendre la bonne direction. Dans ce contexte
mouvant, sa politique intérieure sera sur la sellette, avec, en particulier, sa
propagande, virulemment antisémite et peu propice à l’équilibre régional,
paradoxe d’un régime fatigué, trop faible pour contrôler totalement son armée,
et secrétant son propre poison, celui qui nourrit précisément ses ennemis les
plus dangereux, tapis dans les faubourgs du Caire.
L’Autorité
palestinienne ne s’en trouve pas mieux lotie. La persistance du Hamas à Gaza
n’augure pas pour
elle d’une meilleure assise locale, en dépit d’une proposition renouvelée de dialogue
avec le Hamas, en vue d’une toujours impossible entente sur un gouvernement national
palestinien. Et les déclarations pleines de bonnes intentions des diplomates occidentaux
en faveur d’un renforcement de Mahmoud Abbas n’y pourront rien. Au-delà, le mouvement
national palestinien paraît toujours emprisonné dans ses mythes et de ses contradictions,
hypothéquant toujours un peu plus le règlement du contentieux israélo-arabe.
Sur le plan
international, il faut relever la situation singulière qui prévaut en Europe.
Une puissante
alliance entre médias, politiques et intellectuels est désormais en place et a démontré
sa virulence, empoisonnant les débats à l’occasion de l’opération israélienne «
Plomb durci ». L’instrumentalisation manifeste de la morale et du droit international
n’a en effet pas été le seul fait de la propagande arabe et islamiste. Elle a
bénéficié clairement de la complaisance, voire du zèle de certains milieux
occidentaux, et en particulier en Europe. Si le conflit israélo-arabe ne
trouvera sa solution que dans l’éducation et l’éradication de l’antisémitisme
au Moyen-Orient, peut-être l’Europe devrait-elle commencer à faire de même et
ne plus tourner le dos à sa mémoire, si douloureuse soit-elle. Sans cela, elle perdra immanquablement en crédibilité, tant sur le
plan moral que politique. N’en déplaise à certains, c’est le coeur
même de sa civilisation qui a été un peu plus atteint durant cette guerre. Les violentes
manifestations qui ont eu lieu sur son sol et la recrudescence de
l’antisémitisme qu’on a pu, hélas, constater n’en sont que des signes tangibles
et inquiétants.
Conclusion, inquiétude et
prudence
On le voit, les
seules ruptures visibles qui se sont manifestées à l’occasion de la guerre
de Gaza ne sont
pas nécessairement positives et incitent au contraire à la prudence, voire à l’inquiétude.
Il est par conséquent difficile de considérer l’opération israélienne « Plomb durci
» comme un succès. Israël a démontré qu’il avait restauré un outil de
dissuasion efficace avec la victoire sans appel de Tsahal sur le terrain, et le
Hamas a été réellement et durement atteint. Néanmoins, en dépit de cet
affaiblissement militaire du Hamas à Gaza, celui-ci reste debout et bien
implanté. Son maintien au pouvoir et sa forte assise sociopolitique dans la région
font planer un danger perpétuel sur Israël, tandis qu’ils grèvent durablement
l’Autorité palestinienne, hypothéquant par là toute possibilité d’accord de
paix dans la région.
Mais
le Hamas constitue également la branche palestinienne des Frères Musulmans et
le
récent conflit à Gaza a démontré que la Confrérie possède un dangereux pouvoir
de
déstabilisation
dans la région et en Europe.
La combinaison à la fois de l’influence des Frères musulmans au Moyen-Orient et
en Europe, de la progression des thèses d’un nationalisme arabo-palestinien qui
ne se départit pas de sa substance pathologique,
et du maintien du pouvoir de nuisance de l’Iran,
puissance ouvertement révisionniste dont l’expansionnisme n’est toujours pas
démenti, ne peut qu’inquiéter. La conjonction de l’islamisme et du nationalisme
au Moyen-Orient a encore des beaux jours devant elle, même s’il appert que le
premier prend l’ascendant depuis quelques années et qu’il phagocyte le second,
à l’image de ce que l’on peut constater dans la société palestinienne.
Le résultat
mitigé de l’opération « Plomb durci », dû essentiellement au manque de
détermination du
leadership israélien, dans un contexte certes limité par le calendrier
politique, à la faillite de l’Egypte, avec sa responsabilité face à la contrebande
d’armes à destination de la bande de Gaza, et à la complaisance des élites
européennes et occidentales vis-à-vis des thèses anti-israéliennes, même
lorsque cela implique un soutien aux islamistes, ne présage pas d’un Moyen-Orient
plus stable demain et explique pourquoi la carte de la région n’a pas évolué positivement
à l’occasion de la guerre de Gaza.
Si les puissances
occidentales paraissent avoir désormais pris conscience de la nécessité
de couper les
sources d’approvisionnement en armes du Hamas en soutenant Israël et l’Egypte, il
semble que cette dernière soit bien au coeur du combat contre les islamistes du
Hamas. Sa fragilité n’est malheureusement pas un gage de succès. C’est donc sans doute là le maillon faible où l’Iran et
les islamistes chercheront à agir à l’avenir. Mais que penser alors
de la stratégie américaine qui se dessine avec l’administration américaine de
Barack Obama, qui semble privilégier une forme de détente et cherche activement un arrangement avec
l’Iran, paraissant ignorer au passage la nature du danger de l’islamisme ?