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Par Daniel Pipes
Times of Israel
(en français) 29
août 2017
http://fr.danielpipes.org/17900/iran-et-turquie-deux-pays-du-moyen-orient-en
Version
originale anglaise: Iran
vs. Turkey, the MidEast's
Perpetual Rivalry
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La conclusion
récente entre les gouvernements turc et iranien d'un accord
à propos d'Idlib, une petite ville syrienne
devenue le centre d'intérêts américains, remet momentanément en lumière les
relations entre deux des États les plus grands et les plus influents du Moyen-Orient.
Vieille d'un demi-millénaire et ponctuée de onze guerres,
la rivalité entre les deux pays représente aujourd'hui, selon les termes de Soner Cagaptay du Washington Institute, « la plus ancienne lutte de
pouvoir » de la région. Dès lors, que signifie l'accord signé récemment et de
quelle manière la rivalité irano-turque va-t-elle influencer l'avenir de la
région ?
Les
ressemblances entre les deux pays sont notables. Chacun compte une population
de 80 millions d'habitants (l'Égypte, troisième grand pays de la région, en
compte 96 millions). Fiers héritiers de civilisations anciennes et de longues
traditions impériales, ils connaissent des tensions avec la Russie et ont
réussi à éviter la colonisation européenne. À l'époque contemporaine, les deux
pays sont tombés, au lendemain de la Première Guerre mondiale, sous la coupe
d'un modernisateur
implacable et, plus récemment, sous celle d'un
régime islamiste plus implacable encore.
Leurs dirigeants
actuels, Ali Khamenei en Iran et Recep Tayyip Erdoğan en Turquie,
jouissent d'un pouvoir quasi-absolu qu'ils s'ingénient l'un et l'autre à
masquer sous une batterie impressionnante d'élections, de parlements, de
cabinets, de lois et d'ONG. L'un comme l'autre aspire à diriger l'ensemble de
la communauté musulmane au point, un jour peut-être, de se proclamer calife. En
cette époque d'antisionisme latent en provenance des États arabes, Téhéran et
Ankara mènent désormais la charge : alors que la République islamique d'Iran
nie avec fracas l'Holocauste, la République turque compare les Israéliens aux
nazis.
À certains
égards, les Iraniens devancent les Turcs mais ces derniers sont en train de
combler leur retard. L'ayatollah Khomeiny est arrivé au pouvoir en 1979 et Erdoğan en 2002. L'Iran jouit depuis longtemps
d'importantes réserves de gaz et de pétrole mais la Turquie s'est constituée
récemment une infrastructure économique impressionnante. Téhéran déploie des
forces armées à l'étranger et domine quatre capitales arabes alors qu'Ankara
combat toujours des opposants intérieurs, notamment les partisans de Gülen et les Kurdes. Les deux régimes méprisent l'Occident
mais alors que l'Iran lui est ouvertement hostile, la Turquie demeure
officiellement dans l'OTAN et cherche ostensiblement à devenir membre de
l'Union européenne.
Les sbires de
Khamenei capturent
des marins américains en haute mer alors que ceux
d'Erdoğan prennent
des habitants en otage. Les théories du complot,
qui constituent depuis longtemps une véritable forme d'art en Iran, ont fait d'énormes progrès depuis ces vingt dernières
années en Turquie qui peut désormais se vanterr
d'abriter les
spéculations les plus fantasmagoriques de la
région. Les deux pays sont devenus des alliés enthousiastes du dictateur
vénézuélien Nicolás Maduro. En tant que chef d'une dictature relativement ancienne,
Khamenei peut tolérer une certaine liberté
d'expression. En comparaison, Erdoğan
nourrit un désir obsessionnel de tout contrôler, y compris les déclarations de joueurs
de basketball aux États-Unis ou les pensées de voyageurs
en transit dans l'aéroport d'Istanbul.
Ce qui distingue
le plus les deux personnages, c'est leur attitude vis-à-vis de leurs sujets.
Alors que Khamenei ne bénéficie du soutien que d'à peine environ 15 % de la
population, Erdoğan peut compter sur 45 %
d'opinions favorables, ce qui confère à ce dernier une légitimité et une
confiance que Khamenei ne peut concevoir qu'en rêve. Cette différence résulte
en partie de l'écart de longévité entre les deux régimes islamistes et d'autre
part de l'écart du revenu moyen par habitant qui s'élève à seulement 4.700
dollars en Iran où il stagne, et à 10.700 dollars en Turquie, où il augmente.
Indicateurs économiques de la Banque mondiale montrant
l'évolution du PIB par habitant de la Turquie, de l'Iran et de l'Égypte (en
dollars) entre 1960 et 2014. |
En Iran, l'effondrement
du régime, qui n'est plus très loin, affaiblira l'islamisme, ce qui encouragera
les musulmans à évoluer vers une forme plus moderne et plus modérée de leur
religion. En Turquie, le gouvernement jouit d'une immense popularité et met
en œuvre une version plus avancée de l'islamisme, autant de moyens pour augmenter
ses chances de rester au pouvoir et pour incarner désormais et pour longtemps
un adversaire des plus redoutables. Par conséquent, le Moyen-Orient va probablement
connaître un changement important qui verra l'Iran emprunter la voie de la
modération et la Turquie se muer en péril majeur de la région.
Durant les
premières années du gouvernement d'Erdoğan
(2002-2010), les relations
bilatérales étaient au beau fixe. À l'époque,
l'un et l'autre partageaient la même vision islamiste du monde et la même
suspicion quant aux intentions américaines en Irak. Mais depuis lors, les
relations se sont dégradées, d'abord parce que les deux régimes cherchent à
acquérir un poids international, ce qui, en tant que voisins, conduira
inévitablement à la confrontation. La guerre civile en Syrie, où Téhéran
soutient des djihadistes de tendance chiite et la
Turquie des djihadistes sunnites, constitue leur
problème majeur. Mais ce n'est pas le seul : d'autres
points de litige enveniment leurs relations comme
le soutien à deux camps adverses au Yémen, l'installation
par la Turquie d'un radar de l'OTAN destiné à
pister les faits et gestes de l'Iran et le soutien
apporté par l'Iran à Al-Qaïda contre la Turquie.
Les tensions ont
atteint un tel niveau qu'Ali
Vaez de l'International
Crisis Group estime que Téhéran et Ankara sont « sur
une trajectoire de collision ». À ce rythme, il s'attend à ce que la dynamique
en cours conduise « à de terribles massacres, à une instabilité croissante et à
des risques majeurs d'une confrontation militaire directe. » En termes plus
poétiques, Cagaptay observe que le Moyen-Orient offre
assez d'espace pour « un chah ou un sultan mais pas pour un chah et un sultan.
»
Dans ce
contexte, l'accord d'Idlib semble fragile et éphémère. Téhéran et Ankara vont
probablement se tourner bientôt l'un contre l'autre et poursuivre, avec une
vigueur renouvelée, leur rivalité perpétuelle.