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Un An de Protestations en Iran : Etat
des Lieux
Par Raz Zimmt
19 décembre 2018
Traduction et adaptation
par Edouard Gris, mabatim.info
La vague
de manifestations qui a éclaté en décembre 2017 et qui a duré jusqu’à janvier
2018, dans des dizaines de villes iraniennes, montre la profondeur de la frustration
de la population à cause de l’aggravation de la récession économique et du
fossé grandissant entre le peuple et le régime.
La
méfiance à l’égard de la classe politique et son incapacité à trouver des
solutions aux problèmes fondamentaux des citoyens, alimente le divorce entre la
population et la caste dirigeante. Ce mécontentement endémique représente un
potentiel de durcissement du mouvement de protestation à l’avenir.
Toutefois,
ces menaces sociales ne deviendront critiques pour la stabilité du régime, que
dans le cas où celui-ci n’arrivera pas à surmonter son incapacité structurelle,
à faire coexister les classes moyennes avec les travailleurs. Le manque de
volonté politique d’agir, mine l’existence même du régime islamique. L’Iran a
fait face à des défis économiques importants dans le passé et le public iranien
a développé, avec le temps, une résilience aux difficultés économiques. À ce
stade, il semble que le régime soit incapable à juguler les manifestations, et
à contrario, ces manifestations ne sont pas assez puissantes, pour saper les
fondements du régime.
Les
protestations de fin 2017 à début 2018, dans des dizaines de villes iraniennes,
se sont estompées au bout de deux semaines, mais ont continué avec moins
d’intensité et durant toute l’année 2018. Des grèves ont eu lieu dans tout le
pays, contre l’aggravation de la crise économique, l’augmentation du coût de la
vie, la retenue sur salaires des travailleurs et l’effondrement des fonds de
pension.
Des
milliers de chauffeurs routiers avaient entamé une grève pour protester contre
les conditions de leur emploi. Les commerçants du bazar de Téhéran protestaient
contre l’effondrement continu de la valeur de la monnaie locale (Rial). Des
enseignants ont réclamé une augmentation de 20% de leur salaire, et la
libération de certains de leurs dirigeants syndicaux, arrêtés au cours des
manifestations. Des travailleurs de deux usines de la province du Khûzistân,
dans le sud-ouest de l’Iran, une usine sucrière de la ville de Shosh et une aciérie de la ville d’Ahwaz, ont protesté
contre des retenues sur salaires.
La
vague de manifestations en cours témoigne de la profondeur de la frustration
des Iraniens, face à l’aggravation de la crise économique. Avant l’entrée en
vigueur des sanctions économiques, août et novembre 2018, la crise des devises
étrangère s’est aggravée, l’inflation s’est accélérée et le volume des
investissements étrangers s’est écroulé. En novembre, la Banque Centrale
Iranienne a estimé le taux d’inflation à 18,4% mais le FMI a estimé quant à lui
qu’elle atteindrait, en 2019 plus de 34%.
Le
taux de chômage, se situe actuellement à 12% (plus de 40% chez les jeunes
diplômés d’université) et il pourrait encore augmenter en raison du
ralentissement de la croissance économique. En août 2018, le ministre du
Travail et des Affaires sociales estimait qu’en raison des nouvelles sanctions
et de la fermeture de nombreuses usines, environ un million d’Iraniens
perdraient leur emploi.
La
dévaluation de la monnaie, dont résulte une inflation importante, oblige le
gouvernement à compenser l’érosion dramatique du pouvoir d’achat par des
mesures d’aide. Lors de la proposition du projet de budget pour la nouvelle
année iranienne, des représentants du gouvernement et du Majlis
(le parlement iranien) ont eu des discussions ces dernières semaines, afin de
définir les budgets d’indemnisation des couches les plus faibles de la population.
Le
gouvernement subit des pressions politiques importantes, qui exigent des
indemnités de compensation aux travailleurs, d’au moins 20%, mais une telle
augmentation ne compensera pas la hausse des prix. La situation de la classe
moyenne s’avère encore plus difficile car, contrairement aux couches les plus
faibles de la population, elle ne sera pas indemnisée et devra supporter, en
premier lieu, le fardeau économique.
Les
réseaux sociaux iraniens, régissent au rétablissement des sanctions avec une
inquiétude croissante et protestent contre l’utilisation politique des
sanctions, pour imposer à Iran des diktats occidentaux. De nombreux citoyens
iraniens rejettent l’affirmation des autorités américaines selon laquelle les
sanctions visaient avant tout le régime, et soulignent que leur impact est
principalement ressenti par les citoyens ordinaires et non par de hauts
responsables du régime et leurs collaborateurs. La plupart blâment le président
Trump, mais beaucoup de voix commencent à se soulever
contre le gouvernement iranien, qui à leur avis, ne fait pas assez pour
résoudre les difficultés des citoyens.
En
même temps, le public est de plus en plus désespéré face à la situation, compte
tenu des espoirs d’amélioration économique suscitée par l’accord nucléaire du
juillet 2015. Le journaliste et militant réformiste Abbas Abadi
a récemment abordé les résultats des sondages d’opinion effectués à
l’Université de Téhéran qui reflètent la frustration parmi des citoyens face à
la situation économique.
Environ
85% des personnes interrogées ont exprimé leur désespoir quant à leur avenir et
aux chances que les autorités iraniennes trouvent une solution à la crise. Les
sondages indiquent également une déchirure croissante, entre le public et les
chefs religieux du régime. Par ailleurs, les sondages montrent une accélération
les processus de sécularisation dans la société iranienne. Cinquante pour cent
environ des personnes interrogées ont déclaré, ouvertement, ne pas avoir jeûné
pendant le ramadan.
La
crise économique grandissante, alimente les manifestations en cours et accentue
le fossé entre les citoyens et les institutions du régime. Le mouvement de
contestation souffre encore d’un certain nombre de faiblesses majeures :
·
Premièrement, il s’agit de manifestations occasionnelles
et opportunistes. La plupart des grèves s’étiolent, puis disparaissent
généralement après quelques jours ou quelques semaines. Soit à la suite d’une
réponse partielle des autorités aux demandes des manifestants, soit à la suite
de la répression limitée et des arrestations.
·
Deuxièmement, la plupart de protestations sont au niveau
local. Il n’y a pas de leadership au niveau national et, dans la plupart des
cas, il n’existe pas de coordination ni même de coopération entre les
différentes représentations participant à la manifestation (femmes,
travailleurs, enseignants, commerçants des bazars, etc.).
·
Troisièmement, la plupart de ces mouvements sociaux ont
une portée très limitée. Une série de manifestations organisées au début de
2018, telles que des femmes contre l’imposition du voile ou les membres de la
confrérie soufie de derviches Gonabadi, ont donné
lieu à des affrontements violents avec les forces de sécurité. Ces événements
ont donné l’impression que la barrière de la peur, vis à vis du régime, avait
été brisée et qu’il était possible que la désobéissance civile soit
généralisée. Cependant, la plupart des manifestations ont disparu en peu de
temps et aujourd’hui, elles rassemblent des centaines et au mieux quelques
milliers de travailleurs.
·
Quatrièmement, les manifestations revêtent, pour
l’instant, un caractère économique. La plupart des manifestations se déroulent
dans le contexte de revendications économiques catégorielles, bien que des
slogans contre le régime apparaissent ça et là.
·
Cinquièmement, les classes moyennes urbaines, considérées
comme l’épine dorsale des mouvements pour le changement politique et social en
Iran, restent, en grande partie, non concernées par la vague de la
protestation. Actuellement, la majorité des manifestants est constituée de
travailleurs, qui ont réussi à s’organiser, exceptionnellement, au sein de
syndicats indépendants, tels que des enseignants ou des employés de la sucrerie
« Fatfat ».
Ce sont des cas isolés, car les autorités iraniennes interdisent des syndicats
indépendants. Seules des associations officielles « islamiques, »
agrées par l’État et les employeurs sont autorisées.
·
Sixièmement, le régime iranien est l’un des plus répressif et efficace. Les manifestations qui ont dégénéré,
ont été réprimées sans pitié par les forces de sécurité intérieures et ce, sans
recourir aux gardes de la révolution. Et comme toujours, le régime religieux
détourne les critiques publiques du gouvernement, en rendant le président
iranien (en fait un fusible) responsable, de la crise économique.
En
résumé, l’aggravation de la crise économique ainsi que les problèmes
fondamentaux auxquels la République islamique fait face, sont porteurs d’un
renforcement de la contestation. Toutefois, cette aggravation ne constitue pas
une menace pour la stabilité du régime, sauf s’il échoue à résoudre ses
faiblesses fondamentales, analysées plus haut. À ce stade, il semble que le
régime ne puisse empêcher la poursuite de la manifestation, mais les
manifestants sont également incapables d’ébranler les fondements du
régime.