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IRAN : AOÛT, LE MOIS
CRUCIAL
Nucléaire. Après
la reprise d'activité de l'usine d'Ispahan
Par Thérèse Delpech, chercheur associée au Ceri, publie en
octobre prochain "L'Ensauvagement. Le retour
de la barbarie au XXIème siècle"
(Grasset).
Paru dans le Figaro du 19 août 2005
La période estivale n'est pas une parenthèse pour tout le monde.
Quand les inspecteurs de l'AIEA sont arrivés le 8 août en Iran, ils ont été
amenés directement sur le site d'Ispahan pour poser de toute urgence les caméras
et autres moyens de surveillance préalables à la reprise des activités de
conversion de l'uranium. Ce fut l'occasion de deux surprises. La première
fut celle des inspecteurs, qui ont généralement besoin de trois jours pour
procéder à ce type d'opérations, et qui pensaient ne rien faire de décisif
avant le Conseil des gouverneurs qui se réunissait le lendemain à Vienne.
Il leur a fallu se rendre à l'évidence : les Iraniens étaient vraiment très
pressés. Pourquoi donc ? On pouvait se le demander à bon droit, car le seul
réacteur iranien, à Boucheir, a une alimentation en combustibles assurée pour
plus de dix ans grâce aux deux contrats signés avec la Russie en février 2005.
La reprise fiévreuse de cette conversion, menée tambour battant, pouvait donc
difficilement avoir une justification civile. La seconde surprise, assez désagréable,
était pour les Européens chargés de la négociation de découvrir à cette occasion
que la toute première étape de la conversion pouvait reprendre sans que les
scellés ne soient brisés.
Contrairement à leur attente, il n'y avait pas de scellés
sur les premiers équipements remis en fonctionnement ! Des explications ont été
demandées à Vienne. Les réponses n'ont pas été aussi claires que les questions.
C'est dans cette situation que le Conseil des gouverneurs
s'est tenu la semaine dernière. Le fait de la reprise étant accompli, il
appartenait aux trente-cinq gouverneurs de tirer les conséquences d'une
situation dont ils pouvaient d'autant mieux apprécier la gravité que le dossier
iranien est leur plat de résistance, depuis l'automne 2002. La résolution
adoptée montre qu'ils ont décidé, volens nolens, peu importe, de faire jouer le
temps en faveur de l'Iran. Ils n'ont en effet produit qu'une énième demande de
restauration de la suspension, assortie d'une requête au directeur de l'AIEA de
présenter un rapport complet sur la mise en oeuvre des garanties de l'agence
pour le 3 septembre. Au cas où l'Iran n'obtempérerait pas, rien n'était prévu
par le texte.
Il faut aussi s'interroger sur la date tardive du rapport
demandé à l'AIEA, car les machines d'Ispahan tournant depuis le 8 août de façon
continue, c'est une véritable « course contre la montre » qui est engagée.
Cette expression avait été utilisée dans une interview accordée au Figaro par
Pierre Goldschmidt le jour où il a quitté ses fonctions de directeur des
garanties à l'AIEA (1). Pourquoi l'avait-il fait ? Pour une raison très simple.
La conversion est certes une étape précoce du cycle du combustible, puisqu'elle
précède l'enrichissement, mais c'est le point le plus vulnérable du programme
iranien, car la localisation de l'usine d'Ispahan est connue, et il n'y a très
probablement pas d'installation clandestine de ce type sur le territoire
iranien. En revanche, une fois la conversion terminée, les produits pourront
être stockés dans des tunnels découverts par l'AIEA, mais non déclarés par
l'Iran, et l'étape suivante, celle de l'enrichissement, est beaucoup plus
difficile à contrôler, car l'existence de centrifugeuses assemblées de façon
clandestine sur un site non identifié est l'hypothèse de travail de tous ceux
qui suivent le dossier iranien.
Cette hypothèse a été rendue publique à deux reprises : la
première fois, quand les révélations du colonel Kadhafi en décembre 2003 ont
permis d'identifier un réseau international d'origine pakistanaise ayant vendu
différents éléments nécessaires à un programme nucléaire militaire non
seulement à la Libye, mais à d'autres pays, dont l'Iran. Téhéran a dû
reconnaître en février 2004 qu'il avait acquis auprès d'Islamabad les plans de
centrifugeuses beaucoup plus sophistiquées que celles qui avaient été déclarées
à l'AIEA antérieurement. Qu'avait fait l'Iran avec ces plans depuis 1995 ? La
question n'a toujours pas de réponse, mais au début de l'année 2004, juste avant
une inspection de l'AIEA, six bâtiments étaient rasés sur le site de Lavizan,
et la terre était creusée de plusieurs mètres pour empêcher les prélèvements.
Des centrifugeuses clandestines ont pu s'y trouver avant d'être déménagées
ailleurs.
La seconde fois où l'hypothèse d'un parc de centrifugeuses
clandestin a été rendue publique a eu lieu tout récemment, dans une interview
du principal négociateur iranien du précédent régime, Hassan Rohani. Faisant le
bilan de son action, il y prétend que les négociations avec les Européens ont
permis à l'Iran de gagner un temps précieux pour avancer en toute tranquillité
dans un certain nombre de secteurs clés, et d'assembler en particulier « un
grand nombre de centrifugeuses ». Or ceci n'est pas du tout conforme à ce que
connaît l'AIEA, qui ne compte que 164 centrifugeuses opérationnelles. Des
explications ont peut-être été demandées à Téhéran sur cette déclaration
surprenante, mais alors ce fut fait avec une extrême discrétion. Le négociateur
iranien avouait pourtant une violation caractérisée de l'accord de Paris.
Aujourd'hui, la question se pose ainsi : de combien de temps
l'Iran a-t-il besoin pour sa campagne de conversion ? L'estimation est d'un
mois et demi environ. Au terme de cette période, l'Iran disposera de plus de
soixante tonnes d'hexafluorure d'uranium, qui pourront être enrichies par
Téhéran au nom de son prétendu « droit » à l'enrichissement, « droit » qui
n'est nullement garanti par le TNP, surtout pour un pays qui viole ses
engagements et le tour sera joué. L'Iran aura suffisamment d'uranium 235 pour
plusieurs têtes nucléaires, qui ont déjà leurs vecteurs d'armes. Certes, ceci
suppose que des progrès importants ont été faits en matière de vectorisation.
Mais il semble justement que tel soit bien le cas : d'après un article récent
du Wall Street Journal, les services occidentaux seraient en possession
d'informations détaillées sur ce sujet, dont ils ont même fait part à l'AIEA en
juillet.
La saisine éventuelle du Conseil de sécurité ne pose donc
pas essentiellement la question de savoir comment réagiront les différents
membres permanents. Elle pose surtout celle de la date de la saisine. Le
transfert à New York ne peut intervenir avant le début du mois de septembre. Le
sommet de l'ONU consacré à la réforme de l'institution doit se tenir peu après.
Un sujet aussi important ne doit pas être « pollué » par l'affaire iranienne.
Rien ne sera donc fait avant la fin septembre. Il sera alors trop tard pour
brandir des menaces qui aient un sens pour Téhéran, quelle que soit la
détermination des différents acteurs. L'Iran aura donc sa bombe, et tous ceux -
Européens, Russes et Américains - qui ont déclaré que ceci était « inacceptable
» devront faire face aux conséquences de leur choix d'août 2005.
(1) Voir nos éditions
du 30 juin 2005.