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GARDER LA FOI EN LA RÉFORME DE L’ISLAM, EN IRAN
Alors que le mouvement laïc s’effrite,
Mohsen Kadivar, un clerc provocateur accuse avec le sourire
Par Robin Wright, Rédacteur au Washington Post - Le 15 décembre 2004
Traduction française de Simon Pilczer, volontaire de l’IHC
Mohsen Kadivar est une voix isolée ces jours-ci.
Clerc charismatique à la barbe poivre et sel et au sourire
inspiré, Kadivar devint un héros pour la jeunesse iranienne pendant son procès
en 1999 pour avoir défié la théocratie rigide en Iran.
Mais le mouvement de réforme autrefois robuste qu’il
symbolisa s’est évaporé cette année. Ses groupes politiques sont en pleine
confusion. Les derniers des 110 journaux ou magazines dissidents ont été
fermés. Les avocats de la démocratie au parlement ont été empêchés de se
présenter de nouveau aux élections en février dernier, et les activistes
étudiants emprisonnés ou harcelés.
Ces derniers jours, Kadivar, 45 ans, est de plus en plus
isolé – et il critique aussi bien les conservateurs que les réformistes. Il
agite encore la controverse avec sa critique virulente du leader suprême,
l’ayatollah Ali Khamenei, le symbole du système politique de l ’Iran. Kadivar
prévient que la position de Khamenei devient plus puissante à mesure que les
réformistes sont marginalisés.
« Le leader suprême accroît ses pouvoirs… Mais pas
son autorité. L’autorité, vous pouvez en juger dans la rue, chez le peuple.
Le pouvoir, vous le détenez des soldats et des forces de sécurité »
a déclaré Kadivar, encore provocateur après avoir passé 18 mois en quartier
d’isolement à la prison Evin de Téhéran pour « dissémination de mensonges »,
et « diffamation de l’Islam ».
Interviewé dans son modeste bureau, tout garni de livres, Kadivar
déclara que les Iraniens ordinaires « n’étaient pas satisfaits »
de Khamenei. « S’il le voient à la télévision, ils changent de chaîne »,
dit-il.
Kadivar dit que le pouvoir absolu de veto du dirigeant
suprême sur la législation, les décisions présidentielles, les verdicts
judiciaires, et les candidatures aux charges publiques ont transformé l’Iran en
une « dictature religieuse » aussi injuste et illégitime que la
monarchie chassée en 1979.
« Personne ne devrait se situer au dessus de la constitution.
La majorité des Iraniens croient cela mais ont peur de le dire »
ajouta-t-il. « Le leader suprême n’est pas de droit divin ».
Selon les standards contemporains du Moyen-Orient, l’Iran
possède une variété inhabituelle d’activistes et de penseurs. Shirin Ebadi a
obtenu le Prix Nobel l’an dernier pour sa campagne pour les Droits de l’Homme.
Abdul Karim Soroush, philosophe qui enseigne désormais à l’étranger, est
souvent surnommé le Martin Luther de l’Islam pour ses idées sur la Réforme de
la foi.
La jeune sœur de Kadivar, Jamieh, a été une éminente réformiste,
membre du parlement jusqu’à ce que les Gardiens de la Révolution, l’empêchent
de se représenter cette année. Son mari, Ataollah Mohajerani, a été membre
du cabinet du Premier Ministre, et un avocat de premier plan pour une presse
plus libre jusqu’à ce qu’il fût évincé.
Mais avec le reflux de l’influence des réformistes, Kadivar
est parmi les peu nombreux qui restent une menace sérieuse pour la tutelle
des religieux parce que lui aussi porte un turban blanc de clerc. « En tant que clerc, il s’adresse avec
plus d’autorité à la communauté des croyants. Il reflète aussi la scission
au sein de la communauté cléricale qui est dépositaire du pouvoir en Iran »
a déclaré Shaul Bahkash, auteur du « Règne des Ayatollahs », qui
enseigne à l’Université George Mason.
D’autres analystes résidents aux USA ont déclaré que des perspectives
de réforme en Iran dépendront beaucoup des jeunes clercs dissidents mettant
en cause les révolutionnaires des débuts, qui ont aujourd’hui dans les soixante
ou soixante-dix ans.
« Les cléricaux ont parlé de ces questions entre eux,
mais Kadivar a porté la question sur la place publique, ainsi est-il plus
menaçant » déclarait Hadi Semati, politologue à l’université de Téhéran,
aujourd’hui universitaire en visite à la Fondation Carnegie pour la Paix
Internationale à Washington.
Semati considère que le plus grand succès de Kadivar a été
de susciter des idées telles que « une redéfinition de l’Islam compatible
avec la démocratie, et une relation plus adéquate entre la mosquée et l’état
».
Même au sein du clergé Shiite, dit-il, il y a un appétit
pour des vues alternatives. « Au moins 95% du clergé n’a pas été bénéficiaire
de la révolution », dit Semati. « Certains en ont tiré de
l’argent et du prestige, mais l’écrasante majorité est pauvre, et n’appartient
pas aux cercles du pouvoir ».
Kadivar cite volontiers aussi bien le Coran et l’écrivain
français du 19ème siècle Alexis de Tocqueville, aussi bien que
d’autres penseurs occidentaux, alors qu’il monte le dossier pour mêler Islam et
démocratie.
" Sans le respect del’individu et la liberté de choix, la dignité humaine ne peut pas être respectée » a-t-il écrit dans un papier présenté à Bruxelles le mois dernier. « Toute tentative de force et de contrainte sur les gens au nom de la religion est interdite "
Kadivar affirme que le projet des conservateurs est destructeur
à la fois pour l’Iran et l’Islam. « Notre rôle en tant que religieux
n’est pas politique » dit-il. « Ils entraînent l’Iran en
arrière, pas vers le futur ».
Mais il est aussi sévère avec les réformistes, disant qu’ils
ont échoué à promouvoir leurs idées de façon dynamique. « Ils n’ont
pas de plan précis. Ils n’étaient pas puissants… Ils ont juste l’apparence
de partis », ajoutait-il. Kadivar dit que le Président Mohammad Khatami,
un canard boiteux réformiste dont le dernier mandat s’achève à la mi-2005,
« considérait que s’il avait fait un beau discours, c’en était assez ».
Mais ajoutait-il, « Si vous voulez vraiment changer la société, cela
exige de la résistance… Khatami n’en n’avait pas ».
La famille de Kadivar vient de Chiraz, ancienne capitale de l’Iran connue pour ses
roses, ses poètes et sa bonne humeur. Avec un large sourire barrant souvent le
visage de Kadivar, même quand il vilipende ses collègues du clergé – et songe à
sa propre vulnérabilité.
Kadivar, auteur de 12 livres, n’a pas pu publier de nouveaux
manuscrits depuis qu’il a été libéré de prison en 2000. Il compte désormais
sur un site internet, en Anglais et en Farsi, pour publier ses écrits.
Des officiels l’ont menacé de le renvoyer en prison plusieurs
fois, dit Kadivar, ajoutant que pour lui, « Cela ne compte presque
pas. Je sors d’une petite prison, pour une plus grande, car si je ne peux
faire part de ma pensée, je suis encore en prison ».