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LES NUAGES S'ACCUMULENT
Le défi nucléaire de l'Iran va peut être obliger Israël à la
confrontation
Par Frik Shechter, journaliste
Paru dans le Jerusalem Post International du 30/12/2005-5/01/2006
Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com
Deux événements parallèles à Téhéran ont ému la communauté internationale, notamment Jérusalem. La volonté inébranlable de l'Iran de produire une bombe nucléaire, (malgré ses démentis et dénégations) et les attaques verbales répétées de son président relatives à la légitimité de l'état d'Israël.
En août, l'Iran a redémarré la conversion de son uranium sur son site nucléaire d'Ispahan, ce qui est un début d'enrichissement. Le même mois son président Mahmoud Ahmedinejad menaçait de cesser toute coopération avec l'Agence Internationale pour l'énergie atomique (AIEA), si jamais le Conseil de Sécurité de l'ONU décidait de sanctions contre l'Iran, pour avoir pris cette initiative….
Les Iraniens ont reconnu qu'ils avaient reçu des informations techniques sur la transformation du nucléaire civil en nucléaire militaire de l'ingénieur Pakistanais voyou A Q Khan en 1987. En 2004, les experts de l'AIEA ont trouvé des traces d'uranium enrichi sur le site de Natanz. De même l'Iran parade régulièrement avec ses missiles balistiques Shihab3 qui peuvent porter des têtes nucléaires pouvant atteindre Israël.
Depuis, comme pour inciter à agir le plus confiant des chefs d'état, Ahmedinejad s'adonne à son exercice préféré, les menaces de génocide contre Israël et les provocations pouvant mener à un affrontement entre le monde musulman et le monde non-musulman.
Avec son nouveau président, l'Iran semble se délecter d'un sentiment d'invincibilité (1)
pouvant faire craindre un nouvel aventurisme shiite au Moyen
Orient. Et pour Israël la peur est viscérale. Le ministre des Affaires
étrangères Sylvain Shalom a dit récemment "Israël ne peut pas se
permettre de vivre avec l'idée que l'Iran possède l'arme nucléaire",
ajoutant que la menace iranienne concernait toute la communauté internationale.
"Si l'Iran avait la bombe, c'est un cauchemar pour chacun de nous, et
pas seulement pour Israël".
Jusqu'à ce jour, Israël a laissé le problème iranien entre les mains de la Communauté internationale, (sans résultat tangible). Peut-on encore attendre? Pas longtemps. Et que peut-on faire? Il y a 5 options possibles: sanctions économiques, frappes militaires conventionnelles (ou les 2), protection par anti-missiles, dissuasion nucléaire, ou coercition nucléaire.
On discute au niveau européen de l'éventualité de sanctions économiques contre l'Iran, notamment suite aux déclarations provocantes de son président niant l'Holocauste et voulant effacer Israël de la carte du monde. Les sanctions économiques donnent bonne conscience, en évitant un affrontement militaire. Selon Gary Clyde Hufbauer, expert de l'Institut International d'économie de Washington et auteur de "Les sanctions économiques reconsidérées", les sanctions n'ont jamais empêché un pays de développer des armes nucléaires. Et d'après lui, ce développement est vital pour l'intérêt national de l'Iran et pour son prestige. Les sanctions américaines contre l'Inde ou le Pakistan ne les ont pas empêchés d'avoir la bombe. De même, les incitations positives proposées aujourd'hui par les Etats-Unis ont échoué avec la Corée du Nord du temps de l'administration Clinton. Même si tous les Etats se mettaient d'accord pour des sanctions, il sera difficile d'amener la Chine ou la Russie à le faire, d'où un trou béant. En effet, ces deux géants ne compromettront pas les liens économiques lucratifs avec l'Iran. De son côté Ouzi Arad avertit qu'au point où en est l'Iran, on ne peut plus lui dire "c'est à prendre ou à laisser". Ancien du Mossad, aujourd'hui directeur de l'Institut Interdisciplinaire pour la Politique et la Stratégie de Herzlyah, Arad suggère qu'Israël agisse dans le cadre élargi d'une coalition occidentale et qu'il faudra prendre là des mesures à la fois économiques et militaires. "Ce ne sera pas "Bang! Et on a la solution!" Ce problème nucléaire sera long à résoudre, et même si l'Iran a la bombe, il faudra persévérer dans les pressions, jusqu'à obtenir son abandon, comme on l'a fait avec l'Afrique du Sud" dit-il.
En théorie, les Etats-Unis pourraient détruire, ou au moins endommager sévèrement le programme nucléaire Iranien. Cependant les conséquences seraient désastreuses pour l'Irak voisin, où le Renseignement Iranien est déjà sur place, et où les forces de la coalition devraient faire face à nouveau à une insurrection shiite.
Dans une certaine mesure, Israël est moins vulnérable à une réaction Iranienne, mais néanmoins ses capacités militaires sont très limitées, par rapport aux Américains. D'ailleurs un rapport de l'Ecole de Guerre de l'armée américaine intitulé "se préparer à un Iran nucléarisé" exprime des doutes sur la capacité de l'armée de l'air Israélienne de venir à bout des sites nucléaires iraniens (2). En effet en considérant qu'aucun état de la région ne procure des terrains d'atterrissage, un avion israélien devrait parcourir jusqu'à 1700 km pour atteindre les cibles les plus éloignées, les détruire et revenir. Cela suppose deux alimentations aériennes en kérosène, problématiques, car Israël ne possède pour cela que de quelques Boeing 707 vulnérables à toute attaque. Et toute escadrille d'attaque a besoin d'avions de soutien pour les contre-mesures électroniques, les communications et le sauvetage éventuel. Et le rapport conclut que toute attaque israélienne ne pourrait être qu'un seul coup contre des cibles précises et limitées. Bien sûr, la question demeure de savoir s'il est nécessaire de détruire l'ensemble des sites pour mettre l'Iran hors course nucléaire. Zéev Schiff, le chroniqueur militaire de Haaretz dit que certains experts tels que le major général en retraite Eytan Ben Elyahou, ex-commandant des forces aériennes, Yitshaq Ben Israel ou Nehemia Dagan pensent que la mission est double. Dagan ne veut rien dévoiler du programme prévu, mais il dit: "Je connais bien les capacités de l'armée de l'air et dès qu'il y a une menace, on trouve la parade. Cette mission est particulièrement difficile, du fait de la dissémination des sites, mais comme d'habitude, nous n'avons pas le choix".
Il est certain aussi que la réaction iranienne sera méchante. Dans un document stratégique datant de l'an dernier, le colonel de réserve Efraim Kam précise ce qu'une attaque militaire contre l'Iran implique. D'abord l'Iran arrêtera les inspections de ses sites et même quittera le "Traité de non prolifération nucléaire". Puis il encouragera le H'ezbollah à attaquer Israël et des cibles juives à l'étranger. Enfin certains pays Musulmans considéreront toute attaque contre l'Iran comme une agression contre l'ensemble du monde musulman, avec les conséquences néfastes sur ce qui reste de bonnes relations entre Israël et les pays arabes.
Contre une attaque des Shihab3, Israël peut déployer le système anti-balistique Arrow II dont les essais de décembre dernier ont été concluants. Dov Raviv est le père fier du développement du système Arrow et il nous précise que l'Arrow (H'ets) est capable d'intercepter en même temps une salve de plus de 5 missiles, dans les 30 secondes. Seuls les Etast-Unis et la Russie sont capables de faire aussi bien. Et le système discerne un vrai missile d'un leurre. Son seul défaut, c'est qu'il n'a pas encore été essayé dans une guerre.
Cette approche défensive n'est que la retombée de la
stratégie d'attente que le régime théocratique iranien pourrisse de
l'intérieur. Rien de concret ne suggère que les mollahs subiront le sort des
marxistes-léninistes. Ils sont abhorrés et les étudiants manifestent, mais le
régime tient tous les rouages de l'état. David Menashri, un expert de l'Iran à
l'Université de Tel Aviv nous dit: "Depuis 1981, chaque président a
duré 8 ans; j'ai horreur de le dire, mais l'Iran est plus stable que notre
pays"
Même si nous sommes d'abord attaqués, Israël pourra envoyer des têtes nucléaires sur l'Iran, soit par superjet, soit par missile Jéricho II de 1500 km de portée. De plus la marine pourra répondre grâce aux 3 sous-marins Dolphin (et bientôt 5). D'où un équilibre de la terreur, et il n'y a aucun avantage en théorie d'avoir une capacité nucléaire.
D'après Stephen Walt, professeur pour les Affaires Internationales à l'Université Harvard, "il y a des limites réelles à l'arsenal nucléaire, car elles ne servent qu'à éviter que votre pays ne soit éliminé et c'est tout!" mais cela suppose aussi que les 2 parties soient intéressées par la survie. Mais est-ce que les Iraniens apprécient la leçon de MAD (fou) ou Destruction Mutuelle Assurée ? (3)
Akbar Hashemi Rafsanjani dirige aujourd'hui le Conseil de
discernement d'opportunité, organe d'influence. Il déclarait en 1981: "Si
un jour l'Islam venait à posséder les armes que possède Israël, l'ère de
l'arrogance globale prendra fin. Car l'utilisation d'une bombe nucléaire ne
laissera rien au sol israélien et toute riposte israélienne ne fera qu'égratigner
le monde islamique". Cela signifie que l'Iran pourrait admettre de
souffrir si l'enjeu est d'éliminer l'état Juif. Espérons que ce n'était qu'une
bravade….(4). Mais il ne faut pas perdre de vue que l'Iran est un pays où 40
000 personnes ont signé un document pour se transformer en bombe-suicide et où
vous pouvez trouver des affiches disant "nous
aimons nos enfants, mais encore plus, quand ils deviennent des martyrs!"
Louis René Beres un expert politique à l'Université Purdue
argumente: "Israël devrait mettre un terme à sa politique d'ambiguïté
nucléaire, pour pouvoir mieux dissuader des dirigeants ennemis cinglés. Pour
dissuader un tel ennemi de lancer une première attaque nucléaire ou de riposter
à une première attaque nucléaire), il n'est peut-être pas suffisant qu'il sache
qu'Israël possède des armes nucléaires. Il faudrait qu'il sache aussi qu'Israël
a la capacité et la volonté de lancer une attaque nucléaire"
Et ceci nous mène à l'option la plus radicale pour contrecarrer le programme nucléaire iranien: menacer les dirigeants de Téhéran, en public ou en privé, d'une attaque nucléaire préventive, s'ils ne mettent pas un terme à leur programme. À ce jour personne n'a suggéré une telle option, certainement terrifiante. Il y a des précédents historiques à une telle option.
Lors de la Guerre froide, les superpuissances se sont menacées mutuellement, ainsi que leurs satellites de guerre nucléaire, si une politique non désirable n'était pas abandonnée.
En 1946, le président Truman usa du chantage nucléaire à l'égard des soviétiques pour les empêcher d'annexer un état Azeri, faisant partie de l'Iran. Sept ans plus tard Dwight Eisenhower menaça une Chine non nucléaire d'une attaque non conventionnelle, afin d'obtenir un cessez le feu dans la guerre de Corée. En 1956, Israël a fait l'objet d'une coercition nucléaire quand les Soviétiques ont obligé le trio anglo-franco-israélien à se retirer d'Egypte avec les promesses d'une grosse punition. Les Anglais avaient plus peur de la menace américaine de faire tomber la livre, mais les Israéliens avaient pris au sérieux la menace russe et c'est ce qui incita le gouvernement à développer des armes nucléaires, avec l'aide de la France. Le problème aujourd'hui est de savoir si Israël pourra user de la même tactique.
Stephen Walt dit "Je pense qu'Israël ne serait pas
crédible s'il menaçait d'utiliser son arsenal nucléaire pour stopper le
programme nucléaire iranien, notamment si des civils iraniens étaient menacés
par une attaque"
Scott Sagan, expert politique à l'Université Stanford, ajoute qu'une telle menace entraînerait une condamnation internationale et encouragerait l'Iran à poursuivre son programme. Et Israël serait obligé de concrétiser quand même la menace, sinon il perdrait toute crédibilité dans l'avenir
(Comme pour l'éducation des enfants, sur le plan international) "on ne profère pas de menace, si on n'est pas sûr de l'exécuter, au cas où l'objectif n'est pas atteint pacifiquement", dit Sagan.
Mais cela serait différent si on menaçait d'utiliser une "bombette" qui brouillerait les limites entre arme conventionnelle super-puissante et arme non conventionnelle, comme par exemple une bombe de 10t appelée GBU-743/B. Dans ce cas, le pays visé pourrait bien croire à la réalité d'une attaque et en tirerait les conclusions attendues. C'est la logique développée par Thomas Dowler et Joseph Howard du Laboratoire National de Los Alamos. En 1991, ils ont argumenté en faveur de 3 armes successives: une microbombe de 10t d'explosif superactif, une minibombe de 100t, une picobombe de 1000t. Il serait choquant que 14 ans plus tard, Israël n'ait pas de telles armes, même si elles ne sont jamais utilisées.
Je laisse la conclusion à Gerald Steinberg, membre associé
du BESA, le Centre d'études stratégiques de l'Université Bar Ilan: "Si l'Iran poursuit son programme nucléaire et si
Israël sait qu'il construit une arme nucléaire, alors ceci changera le cours
des événements"
Notes de la traduction
Les parenthèses sont du traducteur.
(1) ce qui laisserait supposer comme nous l'avons déjà dit que le point de non retour nucléaire est déjà derrière nous.
(2) il y en a 350 disséminés dans tout le pays, et certains sont enterrés.
(3) il ne faut pas perdre de vue que dans la vraie tradition shiite, il y a un messianisme apocalyptique
(4) la réalité est autrement plus sombre étant donné la foi mystico-apocalyptique du nouveau président iranien.
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