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LE BAZAR DE L’ATOME
Ugo Rankl
pour Guysen Israël News
16/2 – 12/4/2006
Les fanatiques ont des droits. Les tyrans qui les gouvernent aussi. Des droits
véritables, légitimes, qu’ils n’ont pas obtenus en vociférant leur haine ou
en massacrant leurs opposants mais en signant des accords et des traités.
Ces droits sont reconnus par la communauté internationale. Ceux qui en disposent
ont le droit – et le devoir – de les défendre. Les illuminés qui sont arrivés
au pouvoir à Téhéran dans le sillage du Président Mahmoud Ahmadinejad ont
donc des droits que personne n’est autorisé à leur contester. L’Iran est toujours
membre de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA). Ce pays
est également signataire du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP). A
ce titre, les scientifiques iraniens ont le droit de s’investir dans tous
domaines de l’industrie nucléaire. Leur gouvernement a le droit de soutenir
leurs travaux. Les recherches sur l’enrichissement de l’uranium et la séparation
du plutonium ne leur sont pas interdites même si ces deux opérations sont
des préalables à la fabrication d’armes nucléaires.
Mais les traités, accords et conventions que
l’Iran a signés lui interdisent de se doter d’un arsenal atomique et l’obligent
à tenir l’AIEA régulièrement informée de tout ce qu’il entreprend dans ce
domaine.
Or l’Iran n’a pas respecté ces deux clauses. Depuis
20 ans, l’Iran ment. Depuis 20 ans, l’Iran trompe le monde, et cette trahison
de la confiance internationale n’a pas encore été révélée dans toute son ampleur.
Voila 18 ans au moins que l’AIEA est abusée par de faux rapports concoctés
par les savants iraniens. Ses inspecteurs ont été trompés. On leur a menti.
On a escamoté ce qu’ils ne devaient pas voir juste avant leur arrivée sur
un site suspect. Toutes les déclarations iraniennes sur le caractère pacifique
des recherches conduites à l’initiative du régime de Téhéran, étaient et restent
mensongères. L’Iran veut sa bombe et travaille d’arrache-pied, dans le plus
grand secret jusqu’à aujourd’hui, à l’obtenir au plus vite. Jamais probablement
depuis le réarmement de l’Allemagne par Hitler, une dictature n’avait consenti
autant d’efforts pour équiper son armée des armes les plus meurtrières.
Les révélations qui ont réveillé des angoisses d’apocalypse nucléaire que
l’on croyait évanouies depuis l’effondrement de l’URSS, ont été faites par
les mouvements d’opposition au régime iranien. Le mouvement Mujahedeem Khalq
a fait le travail de l’AIEA car l’Agence internationale chargée de traquer
les délinquants nucléaires pour le compte du Conseil de Sécurité n’avait jusqu’à
ces derniers mois jamais rien vu, jamais rien trouvé en Iran.
Mohamed el-Baradei, le directeur de l’AIEA, explique son échec en Iran par
la faiblesse de ses moyens. Il ne dispose que de 120 millions de dollars par
an pour surveiller 900 sites nucléaires dans 71 pays. De ce fait, et c’est
Mohamed el-Baradei qui le dit, "les limites de l’efficacité de l’AIEA
sont celles que lui imposent les pays surveillés". Le gendarme n’a
le droit de voir que ce que le voleur l’autorise à regarder. Ceci explique
les autres échecs de l’AIEA.
En 1991, l’Afrique du Sud a décidé de renoncer à son programme nucléaire et
aux six bombes atomiques dont elle s’était discrètement dotée en faisant semblant
de conduire d’inoffensives recherches sur des explosifs de très fortes puissances.
L’Afrique du Sud, jurait alors son Président Piek Botha, n’avait d’autres
objectifs que de trouver les moyens de creuser vite et à peu de frais des
ports en eau profonde et des sites de stockage d’hydrocarbures. L’AIEA n’a
pas vu que l’Afrique du Sud était devenue une puissance nucléaire. Elle n’a
rien soupçonné et a avalé sans faire la grimace les fables que lui servait
le gouvernement de Prétoria.
En 1991 toujours, l’AIEA n’a découvert aucune trace du programme d’armement
nucléaire de Saddam Hussein.
En 2003,
Mais l’échec le plus flagrant de l’AIEA et celui qui sera le plus lourd de
conséquences sur l’équilibre mondial, c’est l’Iran. La liste de ce que les
inspecteurs de l’agence internationale n’ont pas découvert est impressionnante.
Les opposants au régime de Téhéran affirment qu’au cours des vingt dernières
années, l’Iran est arrivé à construire, sans que quiconque ne s’en aperçoive,
une usine de conversion de l’uranium à Ispahan. C’est là que les Iraniens
fabriquent de l’hexafluorure d’uranium (UF6), un gaz indispensable au processus
d’enrichissement et donc à la fabrication d’une bombe atomique.
A Natanz, une autre usine géante a été construite dans le plus grand secret.
La performance technique des Iraniens et des ingénieurs russes qui les ont
aidés est époustouflante. Toutes les installations sont profondément enterrées.
Pour tromper les satellites d’observation, on a construit
des bâtiments à l’apparence inoffensive, mais qui ne servent à rien. Dans
le sous-sol, les laboratoires et les hangars d’assemblage sont protégés par
des parois de béton de huit mètres d’épaisseur, spécialement conçues pour
résister à toutes les armes antibunkers connues à ce jour. On estime que pour
détruire un seul de ces laboratoires, il faudrait y envoyer quarante tonnes
d’explosifs spéciaux sur un point d’impact extrêmement réduit. Aucune force
aérienne au monde ne semble capable aujourd’hui d’une telle performance. Natanz
parait destinée à devenir le coeur de l’industrie nucléaire iranienne. C’est
probablement là que sera assemblée, dans un délai de quelques mois à cinq
ans, la première bombe atomique de Téhéran.
Les autorités iraniennes ont été obligées de reconnaître l’existence des usines
d’Ispahan et de Natanz. L’AIEA a alors pris la mesure de l’escroquerie morale
et diplomatique dont elle avait été victime. Chahutée par les Américains qui
ne lui ont pas encore pardonné de n’avoir trouvé aucune arme de destruction
massive en Irak à la veille de la seconde guerre du Golfe, Mohamed el-Baradei
a commencé à se montrer beaucoup plus curieux qu’il ne l’avait été jusque
là.
En 2003, le patron de l’AIEA a décidé de ne plus se contenter des rapports
sur leurs activités nucléaires que lui fournissaient régulièrement les autorités
de Téhéran. Les inspecteurs de l’AIEA sont donc partis pour l’Iran avec pour
mission de découvrir tout ce qui devait l’être, sur un probable programme
nucléaire clandestin.
C’était sans compter sur l’habileté des Iraniens à escamoter tout ce qui doit
échapper à la curiosité des Infidèles. A Natanz, tous les hangars ont été
vidés de leurs équipements avant l’inspection de l’AIEA. A les croire, les
Iraniens n’auraient construit à prix d’or des dizaines de milliers de mètres
carrés de souterrains blindés que pour la beauté du geste. Les inspecteurs
de l’AIEA ayant exigé d’avoir accès au complexe de Lavizan Shian, le gouvernement
iranien les a fait attendre plusieurs mois. Quand les portes de cette base
militaire des Gardiens de
Penaud, Mohamed el-Baradei était contraint d’avouer, le 7 Décembre 2005, qu’il
ne disposait d’aucune preuve tangible, irréfutable, de l’existence d’un programme
nucléaire clandestin dont la finalité serait de doter l’armée iranienne d’un
arsenal atomique. Mais dans la même déclaration, el-Baradei précisait que
cette absence de preuve flagrante ne témoignait absolument pas des intentions
pacifiques de Téhéran, puisque pendant vingt ans, les Iraniens avaient montré
leur habileté à dissimuler des installations qu’ils n’auraient jamais du construire
sur leur territoire.
Malgré les réserves de Mohamed el-Baradei, le Président Ahmadinejad et son
entourage se sont précipités devant tous les micros tendus, pour protester
de la bonne foi des Iraniens en matière de course à l’armement nucléaire.
Pas de preuve, donc pas de crime. Les dirigeants iraniens se sont déchaînés
contre les allégations des Occidentaux qui ne sont, à leurs yeux, que des
prétextes brandis pour empêcher un peuple musulman de progresser dans la voie
des sciences et de la haute technologie.
Le 15 janvier Ahmadinejad haranguait son peuple en ces termes: "Nous
n’avons aucune illusion sur la sincérité de leurs intentions. Pour nous, il
est évident que les Occidentaux veulent empêcher le peuple d’Iran de réaliser
des prouesses scientifiques. Ils le disent d’ailleurs ouvertement: "Nous
ne voulons pas que l’Iran s’investisse dans la recherche nucléaire !"
De quel droit tiennent-ils de pareils propos ? Ne se comportent-ils pas comme
si le monde était encore au Moyen-Age ?"
Sans rire, Ahmadinejad, l’homme qui a fait pendre publiquement 80 personnes
depuis son accession au pouvoir au mois de Juin
Les protestations de Ahmadinejad ont été immédiatement suivies par de nouvelles
révélations sur les secrets nucléaires de Téhéran. L’opposition iranienne
affirme que l’Iran a construit un réseau de tunnels blindés à Téhéran, Ispahan
et Qom pour y dissimuler tout ce que le monde ne doit pas encore connaître
de ses bombes atomiques et des missiles balistiques qui vont les transporter
à Tel Aviv, Paris ou Moscou. L’AIEA n’a évidemment pas pu confirmer l’existence
de ces tunnels, mais Mohamed el-Baradei a révélé à son tour que l’analyse
des prélèvements faits à Natanz a permis de découvrir des traces d’uranium
hautement enrichi, alors que l’Iran ne devrait pas posséder ce genre de matériau
en vertu des accords internationaux que ce pays a signés et promis de respecter.
A Natanz, les déménageurs ont bien travaillé, mais le ménage n’a pas été fait
avec suffisamment de soin après leur passage. Dans la poussière récupérée
sur place par les inspecteurs de l’AIEA, crépite assez d’uranium enrichi pour
prouver que l’Iran ment au monde depuis 20 ans.
Dans les tous premiers jours de 2006, Mohamed el-Baradei se sentait assez
sûr de lui pour révéler qu’il avait connaissance du « Green Salt Project»,
un programme ultrasecret destiné à fournir à l’armée iranienne de grosses
quantités d’uranium enrichi, des explosifs spéciaux qui servent à amorcer
la réaction en chaîne dans une bombe atomique, et des missiles balistiques.
Le patron de l’AIEA prévenait alors l’Iran "que la patience du monde
est usée" et que de nouveaux mensonges ou encore plus de mauvaise
volonté à abattre ses cartes allait mettre l’Iran dans une position délicate.
Pour el-Baradei, sans cesse aiguillonné par les Européens, les Américains,
Israël et les pays arabes qui ont peur d’une bombe perse et shiite, il était
enfin clair que « l’Iran se donne les moyens de contrôler tout le cycle industriel
de l’uranium (NDLR : de l’extraction du minerai à l’enrichissement) et que
lorsque ce but sera atteint, ce pays sera à quelques mois de disposer d’armes
nucléaires... »
L’histoire nucléaire de l’Iran
commence à Washington en 1972. Richard Nixon est Président des Etats-Unis. Sa
popularité dépend largement de sa capacité à faire tourner l’économie
américaine à plein régime. Le marché intérieur ne peut suffire à soutenir la
croissance rêvée par l’exécutif américain. Il faut sans cesse trouver de
nouveaux débouchés à l’étranger. Nixon et son conseiller Spiro Agnew ont donc l’idée
de vendre 22 centrales nucléaires au Shah d’Iran. Cela devrait être le marché
du millénaire. Les Américains ont tous les atouts en mains. Le monarque iranien
leur doit son trône. Il ne peut rien refuser à ses parrains. Déjà, il est l’un
des plus gros clients de leurs fabricants d’armes. Le Shah est un allié docile
et il a les moyens de payer rubis sur l’ongle des milliards de dollars pour des
équipements dont son pays n’a absolument pas besoin.
Mais en Octobre 1973, les pays producteurs utilisent l’arme du pétrole pour la
première fois pour faire pression sur leurs clients occidentaux. Les Américains
acceptent de payer le prix exorbitant qu’on leur demande désormais pour chaque
baril de brut. Les Européens, terrifiés à l’idée d’être privés de pétrole,
payent eux aussi et se rangent docilement dans le camp arabe.
Le Shah d’Iran est loin d’être le plus antiaméricain des dirigeants du
Moyen-Orient, mais les milliards de dollars qui affluent dans ses caisses lui
donnent l’envie et le courage de manifester une certaine indépendance vis-à-vis
de Washington. Il n’abandonne pas l’idée de couvrir son pays de centrales
nucléaires, mais il décide de se passer des services des entreprises
américaines et de confier aux Allemands le programme de nucléarisation de l’Iran.
En 1974, le groupe Siemens commence les travaux de la centrale d’Haleyle et,
cinq ans plus tard, au moment de la révolution islamique, l’usine est presque
sortie de terre. Mais, en 1979, l’arrivée de Khomeiny au pouvoir à Téhéran met
un terme apparemment définitif au projet nucléaire iranien. Le Guide Suprême
décrète en effet que l’atome est une technologie qui contredit les valeurs
fondamentales de l’islam et que
Un an plus tard, Saddam Hussein attaque l’Iran. Le dictateur de Bagdad pense
triompher en quelques semaines mais l’armée iranienne encaisse sans faiblir les
coups terribles que lui assènent les troupes irakiennes. Les généraux de Saddam
Hussein sont vite obligés de faire leur deuil d’une victoire éclair et doivent
au contraire enterrer leurs divisions dans le désert et se préparer à une très
longue guerre de positions.
Mais si les forces iraniennes ont bien supporté les premiers assauts irakiens
et rendu coup pour coup à leurs adversaires, elles subissent une effroyable
épreuve du feu. Sur le front, depuis le 22 octobre 1983, Saddam, qui se vante
d’avoir dans ses arsenaux de quoi exterminer "toute la vermine
shiite" utilise les gaz de combat pour faire céder les Iraniens.
Depuis le mois de juin 1984, la guerre des villes commencée par Saddam Hussein
s’est intensifiée. Irakiens et Iraniens cherchent à frapper des cibles civiles
en faisant le plus de victimes possible pour provoquer un soulèvement des
populations prises en otages d’une guerre qui semble ne jamais devoir finir.
L’Irak envoie ses missiles sur seize villes iraniennes. Téhéran réplique en
bombardant Bassora et Bagdad.L’année 1985 est particulièrement dure pour
l’Iran. L’aviation irakienne attaque sans discontinuer les tankers iraniens. Le
terminal pétrolier de Kharg, par lequel passent 85% des exportations de pétrole
iranien, est soumis à des bombardements incessants. Les revenus pétroliers de
l’Iran s’effondrent et une crise sociale grave menace le régime de Khomeiny. Le
5 mars 1985, l’aviation irakienne bombarde la centrale nucléaire inachevée de
Haleyle. En envoyant ses avions détruire le site, Saddam reconnaît qu’il a peur
qu’une fois la guerre terminée, l’Iran ne reprenne les travaux laissés en plan
par les Allemands et ne parvienne à maîtriser la technologie nucléaire. A
Téhéran, les ayatollahs ont flairé la panique de Saddam. Ils ont compris qu’une
bombe atomique shiite est un cauchemar qui hantera les dirigeants arabes et
leurs alliés occidentaux, et les dissuadera à l’avenir d’agresser l’Iran. En
1985, le programme clandestin d’armement nucléaire de l’Iran démarre malgré la
condamnation de l’imam Khomeiny.
La guerre entre l’Iran et l’Irak se termine le 20 août 1988. Tout au long du
conflit, les Iraniens ont souffert de leurs terribles pertes mais aussi d’un
immense sentiment d’injustice. Ils n’ont pas voulu cette guerre. Saddam les a
attaqués. C’est lui qui a violé les règles du droit international, et pourtant
l’Occident, qui se prétend garant de la légalité internationale, a armé le tyran
de Bagdad.
Saddam n’a eu aucun problème pour payer ses commandes avec l’argent que les
pays arabes producteurs de pétrole lui ont donné ou prêté sans compter. Les
missiles qui ont coulé les pétroliers de Téhéran étaient des Exocet français,
lancés par des Mirages français, pilotés par des hommes formés en France. Ce
sont les Américains et les Allemands qui ont donné la recette des gaz de combat
aux Irakiens. Tous les pays européens, en fait, ont vidé leurs arsenaux pour
que l’Irak ne perde pas une guerre que Saddam Hussein avait pourtant commencée.
La victoire était à portée de main, pourtant Khomeiny a été contraint
d’épargner Saddam sous la pression internationale. Il le dit lui-même : cette
décision d’accepter un cessez-le-feu a été pire que la mort. Mais le Guide
Suprême de la révolution islamique n’a pas le temps de ruminer sa rage. Il
meurt un peu moins d’un an après la fin des combats avec l’Irak.
Ali Khamenei lui succède. Le nouvel homme fort de Téhéran n’a pas les mêmes
préjugés que Khomeiny contre l’atome. Khamenei, la haute hiérarchie des
Gardiens de
L’Iran est un pays qui vit dans la peur. Les ennemis du pays sont nombreux, à
défaut d’être vraiment décidés. Or, au cours du conflit avec l’Irak, les
militaires iraniens ont pu mesurer les limites opérationnelles de leur armée.
Les soldats iraniens se sont admirablement bien battus. Ils ont été soutenus
par le peuple. Au plus fort des combats, les deux tiers des forces iraniennes
engagées étaient constitués de volontaires de tous ages. Les "bassejis"
qui, par milliers, sont allés chercher la mort sur les champs de mines, ont
impressionné leurs adversaires.
Humainement, l’armée iranienne est l’une des meilleures du Moyen-Orient. Mais
elle est mal commandée. Les généraux iraniens se haïssent et, jaloux de leurs
prérogatives, ils ne savent pas manœuvrer pour gagner ensemble.
Au niveau de l’armement conventionnel, l’Iran a accumulé un retard sur ses
adversaires que ce pays ne pourra probablement jamais combler. Le pouvoir
iranien sait qu’une guerre longue se conclurait très certainement par une
défaite et la chute du régime. Il faut donc rendre impossible, impensable, un
nouveau conflit où l’armée iranienne aurait à affronter ses adversaires dans
une interminable guerre de position. Seule la possession d’un arsenal nucléaire
est suffisamment dissuasive.
La haine. Les Iraniens peuvent être
définis comme un peuple anti-sémite, car ils confondent dans une même
exécration les Arabes et les juifs. Les premiers ne seraient, selon les mots du
poète Ferdousi qui a vécu au Xeme siècle, que des "nomades abrutis",
des sauvages qui enterrent leurs enfants vivants pour s’en débarrasser, des
"mangeurs de lézards" qui se font un festin avec de la charogne
arrosée de lait de chamelle.
Bien qu’il soit mort depuis plus de mille ans, Ferdouzi est toujours l’objet
d’un véritable culte en Iran. Ce sont ses poèmes qui, dès leur plus jeune âge,
donnent aux Iraniens une image épouvantable de leurs voisins arabes. L’Iran,
fier de l’ancienneté de sa civilisation, ne voit dans les pays arabes
contemporains que des créations coloniales ou des tribus nomades rassemblées
par les grandes puissances. Toute l’aversion que les Iraniens éprouvent à
l’égard des Arabes se cristallise autour de deux archétypes : le tyran
sanguinaire, fanfaron et lâche comme Saddam Hussein, ou Mouamar Kadhafi et les
hypocrites comme les cheikhs d’Arabie Saoudite. Les Iraniens affirment que tout
ce qui est beau et bon dans l’islam vient d’Iran. Pour eux, les Arabes ne sont
pas dignes de la religion du Prophète, qu’ils trahissent pas leur fainéantise,
leurs mensonges et leurs vices.
L’hostilité aux juifs est à peine moins brûlante que l’aversion des Iraniens à
l’égard des Arabes. Les juifs, selon la tradition iranienne, incarnent
l’impureté et le complot. Aujourd’hui, c’est à cause des juifs que l’Occident
refuse d’accorder aux Iraniens la place éminente qu’ils devraient occuper dans
la communauté des nations. Les juifs manipulent le Grand Satan - les Etats-Unis
- et ses petits démons - les pays européens. A cause des juifs et d’Israël,
l’Iran est méprisé. La grandeur de sa civilisation, ses dons pour la création
artistique et scientifique ne sont pas reconnus.
Israël fait peur également à l’Iran parce que c’est
le seul pays qui pourrait être un obstacle sérieux à la domination iranienne
sur le Moyen-Orient, si « l’entité sioniste » parvenait un jour à faire la paix
avec les Arabes. Les Iraniens estiment donc essentielle à leurs intérêts la
poursuite du conflit israélo-arabe.
Enfin, l’Occident s’est toujours comporté comme un pillard en Iran. Les
Etats-Unis et
En entrant dans le club, pour le moment très fermé, des pays disposant d’une
force de frappe nucléaire, l’Iran obtiendrait sa revanche sur les Arabes, les
juifs et les Occidentaux. Cela permettrait également à l’Iran de réaliser ses
ambitions et de devenir une puissance régionale intouchable dans la région la
plus stratégique de la planète.
Les occidentaux ne se font aucune illusion. Dès que l’Iran disposera d’armes
nucléaires, plus rien ne l’empêchera de réaliser ses ambitions régionales : la
déstabilisation et la soumission de ses voisins dans le Golfe Persique, le
blocage des négociations de paix entre les pays arabes et Israël, l’exportation
de sa révolution islamique de
Aux yeux des dirigeants iraniens, la possession d’une arme nucléaire semble
être la panacée pour bloquer tout le jeu américain au Moyen-Orient. Le régime
de Téhéran ressent la présence militaire des Etats-Unis sur ses frontières en
Irak, en Afghanistan et en Arabie Saoudite comme une menace existentielle. Dans
les pays de la région où les forces américaines ne sont pas physiquement
présentes, Washington dispose d’alliés fidèles. En outre, le Pakistan, l’Inde,
l’Azerbaïdjan et les pays du Caucase n’éprouvent aucune sympathie à l’égard de
l’Iran, et il y a peu de chances qu’ils protestent avec beaucoup de sincérité
si les Etats-Unis – ou Israël – se décidaient à donner une leçon au régime de
Téhéran.
Au début du mois de décembre 2005, par une lettre envoyée à l’Agence
Internationale pour l’Energie Atomique, l’Iran faisait part de sa décision de
reprendre ses travaux d’enrichissement de l’uranium dans son usine de Natanz
arrêtée depuis le mois d’octobre 2003 à la suite d’un accord passé avec les
Européens.
Cette provocation iranienne s’explique par le fait que, pour Téhéran, le moment
est idéal pour relancer officiellement son programme nucléaire. En effet, les
Américains englués dans leur campagne irakienne n’ont plus les moyens
d’intervenir militairement en Iran. On calcule, même à Téhéran, que si Israël,
affolé par les ambitions atomiques de Téhéran, décidait de passer à l’action,
les Américains feraient pression sur l’Etat Hébreu pour lui imposer de ne pas
intervenir.
L’Iran compte aussi sur la complaisance des Européens qu’ils croient
définitivement acquis à leur cause moins par sympathie pour la révolution
islamique que par souci de préserver leurs intérêts économiques. Téhéran pense
que
La position de Téhéran est renforcée par la publication d’une étude économique
selon laquelle, en cas de crise grave dans le Golfe, le prix du baril de brut
dépassera les 100 dollars. Les Iraniens savent pertinemment que personne
n’acceptera de payer un tel prix même si c’est pour empêcher Téhéran de devenir
une puissance nucléaire.
Le 10 janvier 2006, devant les caméras conviées à assister à l’événement, les
Iraniens rompent les scellés que les observateurs de l’AIEA avaient installés
sur les installations sensibles de l’usine de Natanz. Immédiatement, les
Etats-Unis, l’Allemagne,
Téhéran peut mesurer l’ampleur de son isolement international. Pourtant
Khamenei, Ahmadinejad et leurs principaux conseillers continuent à provoquer la
communauté internationale. Ils affirment que "le temps de la diplomatie
est fini" et que l’Iran ne s’interdit désormais plus rien en matière de
recherche nucléaire.
Téhéran fait d’incroyables efforts pour gagner du temps. Les Iraniens font
semblant de trouver intéressante une proposition de Vladimir Poutine de
délocaliser sur le territoire russe la production de l’uranium enrichi dont
l’Iran dit avoir besoin pour ses recherches pacifiques et sa production
d’énergie. Pendant des semaines, l’Iran a essayé de faire perdre la tête à ses
interlocuteurs en faisant des promesses et en les reniant le jour d’après.
Furieux, le ministre allemand des Affaires Etrangères déclarait que l’Europe
devait cesser de discuter avec l’Iran sous peine de se couvrir de ridicule.
Dans quelques semaines, le cas de l’Iran sera donc examiné par le Conseil de
Sécurité. Tout laisse à penser que les sanctions qu’encourt Téhéran seront
limitées et ne seront pas de nature à faire reculer le pouvoir iranien.
Khamenei et Ahmadinejad savent donc déjà que leur pays ne sera jamais aussi
durement sanctionné que l’a été
Moshen Ghavarian est un inconnu sans importance, mais sa déclaration doit être
prise au sérieux car jamais il n’aurait été autorisé à parler sans l’aval de
l’ayatollah Yazdi. Or celui-ci est le guide spirituel du Président
Ahmadinejad...
Comment un régime qui, depuis que
Khomeiny l’a instauré en
L’addiction de l’Occident, et aujourd’hui de l’Asie, au
pétrole iranien n’explique pas tout. Le khomeynisme a survécu d’abord parce que
malgré leurs provocations, leurs appels incessants à la destruction de leurs
voisins et les menaces contre les petits et les grands satans, les dirigeants
iraniens ont su faire preuve d’un certain pragmatisme. Les mollahs n’ont jamais
renoncé à faire énormément de bruit, mais ils ont toujours évité l’épreuve de
force quand ils auraient dû agir en conformité avec leurs déclarations et les
principes de la révolution iranienne.
Les mollahs iraniens, tout en vociférant leur volonté de protéger les shiites
et les musulmans partout où ceux-ci sont menacés dans leur existence ou dans
leurs droits, ont souvent accepté sans broncher des situations qui auraient
logiquement dû les conduire à la guerre.
En 1982, le régime de Hafez el-Assad extermine les Frères Musulmans en Syrie.
L’Iran ne bouge pas. Après la première Guerre du Golfe, Saddam Hussein massacre
les rebelles shiites en Irak. Téhéran n’intervient pas pour faire cesser ce
carnage. En 1998, les Talibans éliminent les Hazaris en Afghanistan. Les
Hazaris sont shiites, ils parlent la même langue que les Iraniens, mais les
mollahs assistent à leur calvaire sans intervenir. Ils acceptent même sans
réagir l’assassinat de leurs diplomates par les Talibans.
Quand les Américains écrasent le régime islamiste de Kaboul, les Iraniens
ravalent leur rage et regardent sans réagir le « Grand Satan » s’installer à
leurs frontières. Enfin, les mollahs se gardent bien de prêcher le jihad quand
les Etats-Unis et leurs alliés envahissent l’Irak, affrontent les shiites
irakiens et resserrent encore leur emprise autour de l’Iran. Pour se justifier
de toutes leurs reculades, les dirigeants iraniens invoquent l’obligation de
respecter l’idée du "maslahat". En vertu de ce principe religieux
essentiel au shiisme, les dirigeants doivent renoncer à leur intransigeance
doctrinale pour préserver l’intérêt collectif. Le maslahat est un puissant
garde-fou qui empêche le Guide Suprême et les hommes qui partagent le pouvoir
avec lui, de conduire la nation au suicide. Le maslahat sanctifie la
realpolitik. C’est en vertu de ce réalisme politique, religieusement imposé,
que Khomeiny a accepté de cesser les combats contre l’Irak malgré le serment
qu’il avait fait de n’envisager la fin des hostilités qu’une fois Saddam
Hussein déchu, jugé et puni.
A Téhéran, toute la question est aujourd’hui de savoir si Ahmadinejad saura -
comme Khomeiny puis Khamenei l’ont fait - faire passer l’intérêt collectif des
Iraniens avant ses désirs de révolution islamique universelle et
d’extermination nucléaire d’Israël. Ahmadinejad saura-t-il faire machine
arrière, avant que l’Iran ne devienne un état paria et que les menaces de
sanctions économiques, politiques voire militaires de l’Occident ne se
concrétisent ? Rien aujourd’hui ne le laisse espérer.
Mahmoud Ahmadinejad semble être pris d’une fièvre messianique qui le pousse à
croire qu’il n’est plus temps de tergiverser et que, la fin des temps
approchant, il faut que l’Iran, la nation de l’islam le plus pur, allume et
mène la guerre des forces du bien contre le mal occidental et juif. Mahmoud
Ahmadinejad, obscur apparatchik de la révolution iranienne jusqu’à son élection
à la mairie de Téhéran en 2003, puis son accession à la présidence de
Il pense, même s’il ne l’a jamais dit, qu’il pourrait bien être le
"Mahdi", le chef de guerre génial et invincible que l’islam attend
depuis des siècles pour qu’il le conduise à la victoire définitive sur les
mondes infidèles. Ahmadinejad n’a jamais dit qu’il était le Mahdi, mais il
laisse ses partisans libres de croire que le nouveau président de
Au mois de novembre 2005, Ahmadinejad est invité à parler devant l’assemblée
générale des Nations Unies. De retour dans son pays, il fait immédiatement le
récit de son intervention à un mollah. Il raconte au religieux ébahi que
pendant qu’il parlait il se sentait "entouré par une aura". Dans la
grande salle de l’Assemblée Générale, pendant le temps de son discours,
l’atmosphère aurait changé, l’air se serait chargé de présence divine. Ce n’est
plus le Président de
Cette crise mystique a embarrassé même les durs du régime iranien,
qui l’ont qualifiée de "ridicule et indigne d’un Président, d’un chef et
d’un leade". Pour les adversaires d’Ahmadinejad, essentiellement regroupés
autour de l’ancien président Hashemi Rafsandjani, le dérapage d’Ahmadinejad
après son intervention à l’ONU n’a rien d’étonnant. Cela ne fait que confirmer
ce qu’ils pensaient et disaient déjà d’Ahmadinejad qu’ils considèrent comme un
bigot fanatique, un imbécile, un assassin et un « pouilleux » qui ne restera au
pouvoir que le temps de conduire l’Iran au bord du gouffre.
La nomenklatura qui a gouverné le pays et s’est enrichie dans les affaires et
par la corruption affiche ainsi le plus grand mépris pour Ahmadinejad. Même
s’il reste de bon ton de maudire les Etats-Unis, on rappelle avec une certaine
gourmandise que George Bush informé de l’élection d’un nouveau Président de
Les amis de Rafsandjani ont également bien ri et répandu cette blague après la
victoire électorale de leur adversaire : chaque matin, pendant qu’il se coiffe
devant sa glace, Ahmadinejad, très attaché à la séparation physique des hommes
et des femmes dans la vie quotidienne, hurle: "Les poux femelles à gauche,
les poux males à droite !"
Mais rira bien qui rira le dernier. A Téhéran, et malgré leur conviction
affichée que le passage d’Ahmadinejad à
L’élection de ce dernier en août 2005 n’est en effet pas la conséquence d’un
mouvement de mauvaise humeur des pauvres et des déçus de la révolution.
L’accession au pouvoir à Téhéran d’Ahmadinejad doit être considérée comme un
véritable changement de régime. Les élites corrompues, idéologiquement peu
fiables, qui ont gouverné l’Iran depuis la mort de Khomeiny ont été désavouées
par les exclus, la moyenne et la petite bourgeoisie. L’affairisme des dirigeants
qui viennent d’être mis au rancart était devenu insupportable.
Rafsandjani incarne l’avidité de cette caste privilégiée. Celui que tout le
monde en Iran appelle le « requin », autant à cause de son obsession à
accumuler les millions de dollars que pour la férocité dont il est capable pour
détruire ses ennemis, avait ainsi placé ses deux fils aux positions les plus
lucratives de l’état iranien. L’un des fils Rafsandjani dirigeait le consortium
d’entreprises chargées de la construction du métro de Téhéran, l’autre avait
été placé à la tête des industries pétrolières iraniennes. Tous deux ont été
mis sur la touche par Ahmadinejad. Hashemi Rafsandjani a été ainsi écarté de
deux sources de devises fortes où il a trop longtemps été libre de puiser sans
vergogne.
Les Iraniens défavorisés sont reconnaissants à leur nouveau Président de s’être
engagé dans une opération mains propres au plus haut sommet de l’état. La
télévision multiplie les reportages qui soulignent la modestie du train de vie
d’Ahmadinejad et de sa famille. Les journaux ont été remplis, des semaines durant,
de témoignages de balayeurs de Téhéran qui voulaient raconter que le Président
était venu nettoyer les rues avec eux quelques jours après être devenu maire de
la capitale iranienne. Ahmadinejad est l’un d’entre eux et ils en sont fiers.
Leur nouveau héraut les a pourtant inquiétés quand il s’est mis à multiplier
les provocations à l’écart des Etats-Unis, a appelé à la création d’un monde
débarrassé du sionisme et d’Israël, et a décidé de relancer le programme
nucléaire iranien. Personne en Iran n’avait envie que le pays ne soit de
nouveau condamné a l’isolement comme cela avait été le cas après la fatwa
lancée contre Salman Rushdie par l’ayatollah Khomeiny.
Mais le ciel n’est pas tombé sur la tête des iraniens après les provocations
incroyables d’Ahmadinejad. L’Europe et les Etats-Unis ont certes obtenu que le
dossier du nucléaire iranien soit renvoyé devant le Conseil de Sécurité, mais
Téhéran peut déjà parier, sans grand risque de se tromper, que les sanctions
qui lui seront infligées seront tout à fait supportables. Les puissances
occidentales et les pays émergents d’Asie ne veulent pas s’aliéner un des
principaux producteurs de pétrole et de gaz de la planète. Ahmadinejad est
ainsi parvenu à faire croire aux Iraniens qui l’ont élu qu’ils peuvent tout se
permettre car les satans d’occident sont à genoux devant leur pays.
Ahmadinejad est également arrivé à faire du dossier nucléaire une question de
dignité nationale mise à mal par le marasme économique, la corruption, le fait
qu’un million d’Iraniennes sont aujourd’hui contraintes de se prostituer pour
survivre. On veut la bombe pour oublier qu’il y a quatre millions
d’héroïnomanes dans le pays, que le taux d’inflation est de 21 pour cent par an
et que presque un quart de la population active est au chômage.
Les Iraniens qui ont porté Ahmadinejad au pouvoir veulent aussi des centrales,
et la bombe, à titre de réparation des préjudices subis par l’Iran pendant la
guerre avec l’Irak. Les objections de ceux qui pensent que la constitution d’un
arsenal nucléaire incitera les états arabes voisins de l’Iran à se mettre sous
la protection atomique de Washington et donc à renforcer la présence du Grand
Satan dans la zone d’influence iranienne, ont été balayées. Le Président
Ahmadinejad a convaincu son peuple que l’Iran ne peut exister, se développer et
se faire respecter sans la bombe. Les Iraniens doivent se préparer à payer le
prix de leur dignité reconquise même s’ils doivent se battre contre le monde
entier pour cela.
Ahmadinejad est un nostalgique de la guerre.
C’est le conflit avec l’Irak qui l’a créé, lui et les anciens combattants qui
l’accompagnent et le soutiennent. Sans la guerre, Ahmadinejad ne serait rien.
Fils d’un maréchal ferrant, né dans une ville poussiéreuse aux confins du grand
désert iranien, le Président iranien n’aurait jamais pu grimper un à un les
échelons vers le pouvoir s’il n’y avait eu la guerre avec l’Irak et ses
horreurs.
Ahmadinejad est né en 1956. En 1979, il est étudiant à l’université de Téhéran
où sa famille s’est installée juste après sa naissance. Il n’a pas participé à
la capture et à la séquestration des otages de l’ambassade américaine de
Téhéran. Il est resté à l’écart du mouvement. On ne sait pas trop si c’est lui
qui en a décidé ainsi, ou si ce sont les membres de l’élite révolutionnaire de
l’époque qui l’ont exclu. Quand la guerre éclate, Ahmadinejad part se battre
dans les zones kurdes à la frontière avec l’Irak.
A vingt-trois ans, le futur Président iranien devient l’adjoint du Gouverneur
du Kurdistan iranien, un autre étudiant de vingt ans à peine. Ces hommes
jeunes, sans expérience, ont l’instinct de la guerre et de l’autorité. En 1986,
Ahmadinejad intègre une unité des forces spéciales des Gardiens de
A partir de 1988, on perd presque totalement sa
trace. On suppose, sans en avoir la preuve irréfutable, que le futur
président iranien participe à l’élimination des opposants au régime khomeyniste
réfugiés en Europe. Son niveau d’implication et les meurtres auxquels il aurait
participé ne sont pas connus.
Au milieu des années 90, Ahmadinejad refait surface.
Il est nommé gouverneur de la province d’Arbadil au nord-ouest de l’Iran. C’est
une voie de garage. Ahmadinejad, l’ancien combattant, sombre, intransigeant,
obsédé par la mort, est un homme du passé pour les Iraniens qui rêvent de
liberté et de prospérité. Ahmadinejad perd son poste. Il retourne à
l’université où il s’ennuie à mourir, mais c’est là qu’il devient un fanatique
de la cause palestinienne. C’est la seule chose qui l’intéresse alors. Il se
consacre à
En 2003, la traversée du désert se termine.
Ali Khamenei veut rogner les ailes des réformistes et de Rafsandjani. Il favorise
la candidature d’Ahmadinejad à la mairie de Téhéran. Celui-ci a su entrer dans
les bonnes grâces du Guide Suprême en donnant de multiples preuves de sa foi et
de son humilité. Mais Ahmadinejad est surtout le
disciple de Muhammad Taqi Mesbah-Yazdi, un ayatollah infiniment plus respecté
par le clergé iranien que ne l’est Ali Khamenei. Mesbah-Yazdi est une brute politique. Il ne
prend aucune précaution pour prêcher une politique intérieure réactionnaire.
C’est sous l’influence de Mesbah Yazdi qu’Ahmadinejad a fait pendre
publiquement 80 personnes depuis son arrivée au pouvoir.
Sur la scène internationale, le gourou d’Ahmadinejad exige que l’Iran soit plus
agressif, plus intransigeant, et oublie toute prudence quand il s’agit de faire
triompher l’islam. Inspiré par Mesbah-Yazdi, Ahmadinejad veut que l’Iran
retrouve la pureté spirituelle et révolutionnaire qui faisait sa force pendant
la guerre avec l’Irak. Un nouveau conflit avec un ennemi arabe, juif chrétien
serait donc aux yeux d’Ahmadinejad une bénédiction pour l’Iran qui avait trop
tendance à « s’occidentoxiquer » - selon l’expression en vogue à Téhéran - sous
l’influence de Rafsandjani et des réformistes.
Le zèle guerrier du président iranien est entretenu par les anciens combattants
qu’il a placés à tous les postes clés de l’armée et de l’administration. Ces
vétérans constituent un groupe très soudé, extrêmement agressif. Ils affichent
un mépris hautain pour les prudents et les timorés. Martelant sans cesse l’idée
qu’ils ont sauvé le pays pendant la guerre avec l’Irak, les anciens combattants
estiment qu’ils sont les seuls à savoir ce qui est bon pour la nation. La
rédemption par le feu et le sang d’un peuple qui a oublié sa mission leur
semble être une perspective tout à fait souhaitable.
Soumis à un feu nourri de provocations, de menaces et de délires antisémites,
les Occidentaux se rassurent en mettant en avant le fait que le Président n’a
qu’un pouvoir limité dans
Il est désormais évident qu’Ahmadinejad lorgne la
position de Guide Suprême, probablement pas pour lui mais plutôt pour y installer
Mesbah-Yazdi, qui a toutes les compétences religieuses pour occuper cette
fonction et affiche une intransigeance doctrinale absolue.
Au mois d’avril prochain, devront être désignés les douzes mollahs
de l’Assemblée des Sages, dont la fonction essentielle est de designer le Guide
Suprême. Les élus d’avril auront la possibilité de maintenir Ali Khamenei à son
poste ou de choisir un nouveau Guide Suprême. Depuis son élection à
Le 8 Janvier 2006, un jet Falcon appartenant aux Gardiens de
Tout juste élu Président de
Jusqu’à ce qu’Ahmadinejad lui donne la haute main sur le programme Shihab 3,
Kazemi était au Liban, où il a essayé de transformer le Hezbollah en armée. Il
a également été l’un des principaux acteurs de la constitution de l’arsenal de
la milice shiite. Le Hezbollah dispose de 12000
fusées prêtes à être tirées sur Israël. C’est en grande partie à
Kazemi que le Hezbollah doit d’être devenu une menace mortelle pour l’Etat
Juif.
Quelques jours après le crash d’Oroumieh, Mostafa Pourmohammadi, ministre de
l’Intérieur de la république Islamique, s’adresse à un aréopage d’officiers de
la police iranienne. Il leur recommande la plus grande vigilance car il se dit
persuadé que le crash de l’avion de Ahmad Kazemi est la conséquence d’une
opération de sabotage menée par des agents israéliens infiltrés en Iran. Les
Israéliens seraient aidés par des espions britanniques et américains, et par
des traîtres iraniens à
Pour les Iraniens, Israël a déjà commencé à attaquer
Mais les actions de sabotage ne suffiront pas pour réduire à néant les efforts
atomiques de l’Iran. Ouzi Dayan en est tout à fait conscient. Toutes les
opérations de sabotage et les éliminations ne pourront au mieux que retarder de
cinq ans la course de l’Iran vers la réalisation de son rêve nucléaire. Mais
cinq ans, c’est toutefois largement suffisant pour que les Iraniens prennent
conscience du péril que représentent Ahmadinejad et sa clique pour leur pays et
décident de se débarrasser de leur inquiétant Président.
Si pendant ces cinq années, le Conseil de Sécurité décide d’appliquer de
lourdes sanctions politiques et économiques à l’Iran, c’est toute la "mollahrchie"
qui pourrait être rendue responsable des difficultés du pays et être finalement
balayée. Mais un changement de régime à Téhéran
est hautement improbable. Depuis 1979, par la terreur et le recours
au populisme, les mollahs et leurs hommes ont conforté leur pouvoir. Les
sanctions que le Conseil de Sécurité pourrait infliger à l’Iran seraient un
terrible coup porté à la toute puissance des mollahs si ceux ci prenaient l’Onu
au sérieux, ce qui est loin d’être le cas. Ali Khamenei lui même a déclaré,
pendant une réunion de l’organisation internationale, qu’il se moquait des
décisions de cette "usine à papiers qui ne produit rien d’autre que des
recommandations sans valeur et sans effet".
Ahmadinejad éprouve le même mépris pour l’Onu. Le 27 février, pendant une
tournée dans les provinces les plus reculées de l’Iran, le Président de
Le 8 mars, le dossier du nucléaire iranien a été transmis au Conseil de
Sécurité. Les Etats Unis, l’Europe et Israël ont estimé que c’était une
victoire pour les pays qui se sentent menacés par la bombe atomique islamique.
Mais le Ministre des Affaires Etrangères de Russie s’est vite chargé de doucher
leur enthousiasme. Selon le chef de la diplomatie russe, qui connaît très bien
les Iraniens, les Américains et leurs alliés se sont réjouis beaucoup trop
vite, car les menaces de rétorsions économiques et politiques, même si elles
étaient suivies d’effet, ne feraient pas dévier le régime iranien de sa route.
Si la mise au ban des nations ne fait pas peur au régime iranien, les menaces
d’intervention militaire peuvent-elles ramener les ayatollahs et Ahmadinejad à
la raison ? Certainement pas. En fait,
le Président iranien multiplie les provocations et les menaces comme s’il
cherchait à attirer sur son pays la foudre américaine et le tonnerre israélien.
Une attaque du "petit et du grand Satan" lui semble être le moyen de
rassembler le peuple iranien autour de son gouvernement à peu de frais et sans
prendre de grands risques.
Ahmadinejad et ses maîtres n’ont pas peur d’une frappe américaine parce qu’ils
estiment que Washington, déjà engagé à la limite de ses forces en Irak, devra
se contenter d’un attaque symbolique et peu destructrice sur ses sites
nucléaires. Or tous les régimes qui ont déjà subi une frappe limitée des
Américains n’en ont pas souffert et sont au contraire sortis renforcés de cette
épreuve. Les Talibans, le régime soudanais, la dictature de Saddam Hussein ont
été véritablement dopés par les attaques lancées contre eux par
l’administration Clinton dans les années 90. Si
les Etats-Unis veulent vraiment empêcher l’Iran d’avoir sa bombe atomique, il lui
faut envisager une invasion du pays ou des bombardements aériens massifs et
répétés. Ahmadinejad et les mollahs ne croient pas Washington
capable d’un tel effort avant longtemps. D’ici là, l’Iran sera devenu une
puissance nucléaire et aura les moyens de dissuader toute attaque contre son
territoire ou son régime. Ahmadinejad se sent tout à fait libre de promettre
des "des souffrances et de la douleur" aux Américains et de jurer
qu’il brûlera la civilisation anglo-saxonne jusqu’aux racines. Il pense qu’il
ne risque rien à éructer sa haine de l’Occident.
Si le Grand Satan est paralysé, que peut faire le Petit Satan, Israël? Rien, semble-t-on penser de Moscou à
Washington en passant par Téhéran. Israël serait ligoté pieds et poings liés
tant par la pression internationale que par son incapacité à envoyer son
aviation frapper des cibles multiples, bien protégées très loin de ses bases.
Depuis l’emballement de la crise, la position israélienne consiste à marteler
que Jérusalem ne laissera pas l’Iran développer son armement atomique, mais
que le danger d’une nucléarisation de
On aimerait bien, dans les capitales européennes en particulier, qu’Israël
hausse le ton et roule des épaules pour impressionner Téhéran. Si Jérusalem se
laissait entraîner dans un échange de menaces avec l’Iran, l’Europe pourrait
alors se mettre en retrait, en arguant du fait que l’Iran ne menace qu’Israël
et que les deux états n’ont qu’à régler leur différend sans entraîner d’autres
pays dans l’escalade. Pour le moment, Israël a évité de tomber dans le piège,
et les Israéliens se plaisent à rappeler que la plupart des capitales
européennes seront bientôt aussi exposées que Tel-Aviv aux missiles Shihab 3
équipés de têtes nucléaires.
L’Iran menace le monde libre, et celui-ci doit se défendre en incluant Israël
dans ses rangs, c’est la position définie par Ariel Sharon et celle qu’Ehoud
Olmert a adoptée en devenant Premier Ministre par intérim. Il n’est donc pas
étonnant que Shaoul Mofaz et Ehoud Olmert aient réagi avec aigreur aux
dernières déclarations de Moshé Ya’alon qui était, il y a quelques mois encore,
le chef d’état major de Tsahal. Les propos de Ya’alon ont été qualifiés de
totalement "irresponsables" par les autorités israéliennes. L’ancien
patron de l’armée israélienne a même été accusé d’avoir trahi des secrets
militaires ultrasensibles. Moshé Ya’alon se défend en rétorquant qu’il n’a fait
que répéter publiquement ce que les alliés et les adversaires d’Israël savent
déjà: Israël a les moyens militaire de stopper net la course de l’Iran à la
Bombe.
Pour l’ancien chef d’état major de Tsahal, il serait bien entendu préférable
qu’Israël agisse dans le cadre d’une large coalition occidentale. Mais le temps
presse. L’Iran ne serait qu’à six mois d’avoir les moyens de fabriquer ses
premières bombes atomiques. Passé ce délai, il sera trop tard pour agir. L’Iran
pourra brandir son arsenal sous le nez de quiconque voudra raisonner les
mollahs ou s’aviserait de ne pas obéir a leurs diktats. Selon Moshé Ya’alon, si
Israël voulait agir avant qu’il ne soit trop tard, son armée aurait les moyens
de frapper efficacement en Iran.
Personne ne peut imaginer cependant que l’aviation israélienne pourra détruire
toutes les installations qui devraient l’être. Mais justement, il ne s’agit pas
de réduire en poussières tous les bâtiments et toutes les installations
souterraines construites depuis vingt ans par Téhéran pour abriter son
programme nucléaire clandestin. Il suffirait de frapper des points peu nombreux
mais très sensibles, en particulier là où se trouvent des équipements que
l’Iran ne sait pas fabriquer et pourra difficilement acheter après qu’ils
auront été détruits par l’aviation israélienne. En fait, une frappe bien ciblée
et réussie mettrait l’industrie nucléaire iranienne dans la même situation que
son industrie aéronautique ou son secteur pétrolier, qui ne peuvent
pratiquement pas fonctionner parce que le régime de Téhéran ne peut pas se
fournir en pièces détachées.
Si les accidents d’avion se multiplient en Iran, c’est d’abord parce que les
Etats-Unis ont imposé un embargo total sur la fournitures des équipements de
rechange dont la flotte iranienne, à bout de souffle, a désespérément besoin.
Le pays doit importer 40% de son essence parce que ses raffineries ne peuvent
pas tourner au mieux de leur capacité. Personne ne vend à l’Iran les pièces
qu’il serait pourtant prêt à payer à prix d’or. Si l’aviation israélienne
réussissait sa mission, l’Iran serait obligé de repartir à la recherche
d’équipements qu’il n’a acquis qu’après vingt ans d’efforts acharnés et en
payant des sommes fabuleuses à des intermédiaires qui sont, depuis, sous
surveillance de tous les services de renseignements de la planète.
Mais même une frappe chirurgicale unique et limitée n’est pas une opération
facile à monter. L’Iran a récemment fait l’acquisition d’un milliard de dollars
d’équipements pour sa défense anti-aérienne. Le renseignement israélien doit
également désigner les cibles idéales à l’aviation de Tsahal. Or la collecte
d’informations sur un programme secret depuis son lancement n’est pas un
exercice aisé. Les Israéliens ne disposent pas de moyens de ravitaillement en
vol, suffisants pour que leurs avions puissent mener en toute sécurité un raid
à
L’armée de l’air iranienne n’est pas en mesure de porter des coups sérieux à
l’état juif. Une attaque terrestre est difficilement envisageable. Mais Téhéran
pourrait se venger d’Israël en lâchant la bride du Hezbollah qui dispose de
douze mille fusées au sud liban. Cet arsenal comprend des missiles Fajr 3 et
Fajr 5, d’une portée de
Mais Israël a les moyens d’anéantir le Hezbollah et de parer les coups du
terrorisme palestinien. Les communautés juives dispersées dans le monde sont
beaucoup plus vulnérables. Téhéran a déjà commandité des attentats anti-juifs
en Argentine, qui ont fait des centaines de morts. Dans la logique
d’Ahmadinejad et des mollahs au pouvoir en Iran, frapper les juifs c’est
blesser Israël. Il faut craindre que les poseurs
de bombes ou les recruteurs d’assassins suicides ne se déchaînent contre les
juifs de la diaspora sur ordre des mollahs.
La tentation est grande en Europe tout particulièrement de faire contre
mauvaise fortune bon coeur et de laisser l’Iran se doter d’un armement
nucléaire. On se rassure en affirmant que l’URSS a gardé des milliers de têtes
nucléaires braquées sur l’Europe et les Etats Unis pendant plusieurs décennies
sans jamais être vraiment être tentée d’en faire usage. Les Etats Unis et
l’Union Soviétique ont pourtant été à plusieurs reprises sur le point de
s’affronter directement. Pendant
Après tout, Israël possèderait lui aussi deux cents têtes nucléaires. Mais
l’équilibre de la terreur est impossible entre Israël et l’Iran car, à la
différence de ce qui s’est passé entre les Etats-Unis et l’URSS, les deux pays
n’ont aucune relation de quelque nature que ce soit. Le régime de Téhéran
ignore tout d’Israël et des limites à ne pas franchir pour que l’Etat hébreux
ne sente pas son existence menacée. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de
téléphone rouge entre Téhéran et Jérusalem. Les Américains et les Soviétiques,
même aux moments de tensions extrêmes, ont toujours entretenu des relations
diplomatiques. Les deux adversaires de
Il ne peut y avoir d’équilibre de la terreur entre Israël et l’Iran parce que
les deux pays ne souffriraient pas de la même façon d’une attaque atomique.
Israël est bien protégé par le système anti-missile H'etz qui est capable depuis
décembre dernier d’intercepter les dernières versions du Shihab 3. Mais si la
barrière anti-missile israélienne - probablement la meilleure au monde
aujourd’hui - était prise en défaut, les spécialistes estiment qu’une frappe
directe sur les grands centre urbains d’Israël ferait 300 000 morts au moins.
Le pays pourrait difficilement se remettre d’une telle hécatombe. En outre,
Israël étant un pays minuscule, la plus grande partie de son territoire serait
rendue inhabitable pour des siècles à cause des retombées radioactives.
Il ne fait aucun doute que si l’Iran frappait Israël avec ses bombes atomiques,
l’état hébreu porterait en représailles un coup terrible à son agresseur avec
ses missiles Jéricho et les engins embarqués à bord de ses sous-marins "Dauphin".
Mais l’Iran est infiniment plus vaste qu’Israël et sa population dix fois
plus nombreuse, le pays des mollahs encaisserait bien mieux que l’état juif
une frappe nucléaire. L’ancien président Rafsandjani l’a bien compris. En
2002, il faisait la déclaration suivante: "Si un jour, le monde islamique
dispose des mêmes armes qu’Israël, l’agression impérialiste sera stoppée parce
que l’utilisation d’une seule bombe atomique sur Israël le réduira en ruines...
Il n’est pas inconcevable de considérer une telle éventualité".
Enfin, l’équilibre de la terreur atomique au Moyen Orient est impossible parce
que l’Etat Juif et
Israël a déjà montré sa répugnance à utiliser ses armes nucléaires même
dans une situation désespérée. En Octobre 1973, au quatrième jour de