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LE BAZAR DE L’ATOME

 

Ugo Rankl pour Guysen Israël News

16/2 – 12/4/2006


Les fanatiques ont des droits. Les tyrans qui les gouvernent aussi. Des droits véritables, légitimes, qu’ils n’ont pas obtenus en vociférant leur haine ou en massacrant leurs opposants mais en signant des accords et des traités. Ces droits sont reconnus par la communauté internationale. Ceux qui en disposent ont le droit – et le devoir – de les défendre. Les illuminés qui sont arrivés au pouvoir à Téhéran dans le sillage du Président Mahmoud Ahmadinejad ont donc des droits que personne n’est autorisé à leur contester. L’Iran est toujours membre de l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique (AIEA). Ce pays est également signataire du Traité de Non Prolifération Nucléaire (TNP). A ce titre, les scientifiques iraniens ont le droit de s’investir dans tous domaines de l’industrie nucléaire. Leur gouvernement a le droit de soutenir leurs travaux. Les recherches sur l’enrichissement de l’uranium et la séparation du plutonium ne leur sont pas interdites même si ces deux opérations sont des préalables à la fabrication d’armes nucléaires.
Mais les traités, accords et conventions que l’Iran a signés lui interdisent de se doter d’un arsenal atomique et l’obligent à tenir l’AIEA régulièrement informée de tout ce qu’il entreprend dans ce domaine.

Or l’Iran n’a pas respecté ces deux clauses. Depuis 20 ans, l’Iran ment. Depuis 20 ans, l’Iran trompe le monde, et cette trahison de la confiance internationale n’a pas encore été révélée dans toute son ampleur. Voila 18 ans au moins que l’AIEA est abusée par de faux rapports concoctés par les savants iraniens. Ses inspecteurs ont été trompés. On leur a menti. On a escamoté ce qu’ils ne devaient pas voir juste avant leur arrivée sur un site suspect. Toutes les déclarations iraniennes sur le caractère pacifique des recherches conduites à l’initiative du régime de Téhéran, étaient et restent mensongères. L’Iran veut sa bombe et travaille d’arrache-pied, dans le plus grand secret jusqu’à aujourd’hui, à l’obtenir au plus vite. Jamais probablement depuis le réarmement de l’Allemagne par Hitler, une dictature n’avait consenti autant d’efforts pour équiper son armée des armes les plus meurtrières.

Les révélations qui ont réveillé des angoisses d’apocalypse nucléaire que l’on croyait évanouies depuis l’effondrement de l’URSS, ont été faites par les mouvements d’opposition au régime iranien. Le mouvement Mujahedeem Khalq a fait le travail de l’AIEA car l’Agence internationale chargée de traquer les délinquants nucléaires pour le compte du Conseil de Sécurité n’avait jusqu’à ces derniers mois jamais rien vu, jamais rien trouvé en Iran.
Mohamed el-Baradei, le directeur de l’AIEA, explique son échec en Iran par la faiblesse de ses moyens. Il ne dispose que de 120 millions de dollars par an pour surveiller 900 sites nucléaires dans 71 pays. De ce fait, et c’est Mohamed el-Baradei qui le dit, "les limites de l’efficacité de l’AIEA sont celles que lui imposent les pays surveillés". Le gendarme n’a le droit de voir que ce que le voleur l’autorise à regarder. Ceci explique les autres échecs de l’AIEA.
En 1991, l’Afrique du Sud a décidé de renoncer à son programme nucléaire et aux six bombes atomiques dont elle s’était discrètement dotée en faisant semblant de conduire d’inoffensives recherches sur des explosifs de très fortes puissances. L’Afrique du Sud, jurait alors son Président Piek Botha, n’avait d’autres objectifs que de trouver les moyens de creuser vite et à peu de frais des ports en eau profonde et des sites de stockage d’hydrocarbures. L’AIEA n’a pas vu que l’Afrique du Sud était devenue une puissance nucléaire. Elle n’a rien soupçonné et a avalé sans faire la grimace les fables que lui servait le gouvernement de Prétoria.
En 1991 toujours, l’AIEA n’a découvert aucune trace du programme d’armement nucléaire de Saddam Hussein.
En 2003, la Libye, étranglée financièrement par les sanctions internationales qu’elle subit depuis l’attentat de Lockerbie en 1988, décide de réintégrer la communauté des nations. Kadhafi annonce qu’il abandonne toute idée d’acquérir ou de fabriquer sa bombe atomique. La Libye avait pourtant tout fait pour réaliser ses ambitions nucléaires. Kadhafi avait essayé d’acheter une bombe prête à l’emploi aux Chinois, le matériel nécessaire à l’enrichissement de l’uranium aux Français, des réacteurs aux Américains, un sous-marin équipé tout atomique aux Russes... Il avait même déclenché une guerre en cherchant à conquérir le Tchad au sous-sol riche en minerai d’uranium. Finalement la Libye était arrivée sur le seuil nucléaire en passant par le marché noir de l’atome, organisé par Abdul Qadeer Khan, le père de la bombe atomique pakistanaise. De tout cela, l’AIEA n’a, semble-t-il, jamais rien su. Il a fallu attendre que les dirigeants libyens fassent eux mêmes ces révélations pour que l’AIEA comprenne qu’elle avait été abusée par Tripoli.
Mais l’échec le plus flagrant de l’AIEA et celui qui sera le plus lourd de conséquences sur l’équilibre mondial, c’est l’Iran. La liste de ce que les inspecteurs de l’agence internationale n’ont pas découvert est impressionnante.

Les opposants au régime de Téhéran affirment qu’au cours des vingt dernières années, l’Iran est arrivé à construire, sans que quiconque ne s’en aperçoive, une usine de conversion de l’uranium à Ispahan. C’est là que les Iraniens fabriquent de l’hexafluorure d’uranium (UF6), un gaz indispensable au processus d’enrichissement et donc à la fabrication d’une bombe atomique.
A Natanz, une autre usine géante a été construite dans le plus grand secret. La performance technique des Iraniens et des ingénieurs russes qui les ont aidés est époustouflante. Toutes les installations sont profondément enterrées. Pour tromper les satellites d’observation, on a construit des bâtiments à l’apparence inoffensive, mais qui ne servent à rien. Dans le sous-sol, les laboratoires et les hangars d’assemblage sont protégés par des parois de béton de huit mètres d’épaisseur, spécialement conçues pour résister à toutes les armes antibunkers connues à ce jour. On estime que pour détruire un seul de ces laboratoires, il faudrait y envoyer quarante tonnes d’explosifs spéciaux sur un point d’impact extrêmement réduit. Aucune force aérienne au monde ne semble capable aujourd’hui d’une telle performance. Natanz parait destinée à devenir le coeur de l’industrie nucléaire iranienne. C’est probablement là que sera assemblée, dans un délai de quelques mois à cinq ans, la première bombe atomique de Téhéran.

Les autorités iraniennes ont été obligées de reconnaître l’existence des usines d’Ispahan et de Natanz. L’AIEA a alors pris la mesure de l’escroquerie morale et diplomatique dont elle avait été victime. Chahutée par les Américains qui ne lui ont pas encore pardonné de n’avoir trouvé aucune arme de destruction massive en Irak à la veille de la seconde guerre du Golfe, Mohamed el-Baradei a commencé à se montrer beaucoup plus curieux qu’il ne l’avait été jusque là.
En 2003, le patron de l’AIEA a décidé de ne plus se contenter des rapports sur leurs activités nucléaires que lui fournissaient régulièrement les autorités de Téhéran. Les inspecteurs de l’AIEA sont donc partis pour l’Iran avec pour mission de découvrir tout ce qui devait l’être, sur un probable programme nucléaire clandestin.

C’était sans compter sur l’habileté des Iraniens à escamoter tout ce qui doit échapper à la curiosité des Infidèles. A Natanz, tous les hangars ont été vidés de leurs équipements avant l’inspection de l’AIEA. A les croire, les Iraniens n’auraient construit à prix d’or des dizaines de milliers de mètres carrés de souterrains blindés que pour la beauté du geste. Les inspecteurs de l’AIEA ayant exigé d’avoir accès au complexe de Lavizan Shian, le gouvernement iranien les a fait attendre plusieurs mois. Quand les portes de cette base militaire des Gardiens de la Révolution leur ont finalement été ouvertes, les agents de l’AIEA ont découvert que l’usine d’enrichissement qu’ils voulaient contrôler avait été entièrement rasée. A Parchin, les militaires iraniens n’ont pas eu le temps de détruire une autre usine avant l’inspection de l’AIEA, mais une toute petite partie du site seulement a été sacrifiée à la curiosité des intrus.
Penaud, Mohamed el-Baradei était contraint d’avouer, le 7 Décembre 2005, qu’il ne disposait d’aucune preuve tangible, irréfutable, de l’existence d’un programme nucléaire clandestin dont la finalité serait de doter l’armée iranienne d’un arsenal atomique. Mais dans la même déclaration, el-Baradei précisait que cette absence de preuve flagrante ne témoignait absolument pas des intentions pacifiques de Téhéran, puisque pendant vingt ans, les Iraniens avaient montré leur habileté à dissimuler des installations qu’ils n’auraient jamais du construire sur leur territoire.

Malgré les réserves de Mohamed el-Baradei, le Président Ahmadinejad et son entourage se sont précipités devant tous les micros tendus, pour protester de la bonne foi des Iraniens en matière de course à l’armement nucléaire. Pas de preuve, donc pas de crime. Les dirigeants iraniens se sont déchaînés contre les allégations des Occidentaux qui ne sont, à leurs yeux, que des prétextes brandis pour empêcher un peuple musulman de progresser dans la voie des sciences et de la haute technologie.
Le 15 janvier Ahmadinejad haranguait son peuple en ces termes: "Nous n’avons aucune illusion sur la sincérité de leurs intentions. Pour nous, il est évident que les Occidentaux veulent empêcher le peuple d’Iran de réaliser des prouesses scientifiques. Ils le disent d’ailleurs ouvertement: "Nous ne voulons pas que l’Iran s’investisse dans la recherche nucléaire !" De quel droit tiennent-ils de pareils propos ? Ne se comportent-ils pas comme si le monde était encore au Moyen-Age ?"

Sans rire, Ahmadinejad, l’homme qui a fait pendre publiquement 80 personnes depuis son accession au pouvoir au mois de Juin 2005, a même invoqué les droits de l’homme au progrès et à la connaissance pour justifier l’ampleur du programme nucléaire iranien. A en croire le président iranien, son pays n’aurait dépensé des dizaines de milliards de dollars dans la construction de laboratoires secrets et d’usines géantes que pour assurer le bien-être psychologique de ses chercheurs. L’Occident, en effet, mépriserait la souffrance des savants iraniens que l’on voudrait empêcher de chercher sous prétexte qu’ils cherchent à fabriquer des bombes atomiques en feignant de ne s’intéresser qu’aux utilisations pacifiques de l’atome.

Les protestations de Ahmadinejad ont été immédiatement suivies par de nouvelles révélations sur les secrets nucléaires de Téhéran. L’opposition iranienne affirme que l’Iran a construit un réseau de tunnels blindés à Téhéran, Ispahan et Qom pour y dissimuler tout ce que le monde ne doit pas encore connaître de ses bombes atomiques et des missiles balistiques qui vont les transporter à Tel Aviv, Paris ou Moscou. L’AIEA n’a évidemment pas pu confirmer l’existence de ces tunnels, mais Mohamed el-Baradei a révélé à son tour que l’analyse des prélèvements faits à Natanz a permis de découvrir des traces d’uranium hautement enrichi, alors que l’Iran ne devrait pas posséder ce genre de matériau en vertu des accords internationaux que ce pays a signés et promis de respecter. A Natanz, les déménageurs ont bien travaillé, mais le ménage n’a pas été fait avec suffisamment de soin après leur passage. Dans la poussière récupérée sur place par les inspecteurs de l’AIEA, crépite assez d’uranium enrichi pour prouver que l’Iran ment au monde depuis 20 ans.

Dans les tous premiers jours de 2006, Mohamed el-Baradei se sentait assez sûr de lui pour révéler qu’il avait connaissance du « Green Salt Project», un programme ultrasecret destiné à fournir à l’armée iranienne de grosses quantités d’uranium enrichi, des explosifs spéciaux qui servent à amorcer la réaction en chaîne dans une bombe atomique, et des missiles balistiques. Le patron de l’AIEA prévenait alors l’Iran "que la patience du monde est usée" et que de nouveaux mensonges ou encore plus de mauvaise volonté à abattre ses cartes allait mettre l’Iran dans une position délicate. Pour el-Baradei, sans cesse aiguillonné par les Européens, les Américains, Israël et les pays arabes qui ont peur d’une bombe perse et shiite, il était enfin clair que « l’Iran se donne les moyens de contrôler tout le cycle industriel de l’uranium (NDLR : de l’extraction du minerai à l’enrichissement) et que lorsque ce but sera atteint, ce pays sera à quelques mois de disposer d’armes nucléaires... »

L’histoire nucléaire de l’Iran commence à Washington en 1972. Richard Nixon est Président des Etats-Unis. Sa popularité dépend largement de sa capacité à faire tourner l’économie américaine à plein régime. Le marché intérieur ne peut suffire à soutenir la croissance rêvée par l’exécutif américain. Il faut sans cesse trouver de nouveaux débouchés à l’étranger. Nixon et son conseiller Spiro Agnew ont donc l’idée de vendre 22 centrales nucléaires au Shah d’Iran. Cela devrait être le marché du millénaire. Les Américains ont tous les atouts en mains. Le monarque iranien leur doit son trône. Il ne peut rien refuser à ses parrains. Déjà, il est l’un des plus gros clients de leurs fabricants d’armes. Le Shah est un allié docile et il a les moyens de payer rubis sur l’ongle des milliards de dollars pour des équipements dont son pays n’a absolument pas besoin.
Mais en Octobre 1973, les pays producteurs utilisent l’arme du pétrole pour la première fois pour faire pression sur leurs clients occidentaux. Les Américains acceptent de payer le prix exorbitant qu’on leur demande désormais pour chaque baril de brut. Les Européens, terrifiés à l’idée d’être privés de pétrole, payent eux aussi et se rangent docilement dans le camp arabe.
Le Shah d’Iran est loin d’être le plus antiaméricain des dirigeants du Moyen-Orient, mais les milliards de dollars qui affluent dans ses caisses lui donnent l’envie et le courage de manifester une certaine indépendance vis-à-vis de Washington. Il n’abandonne pas l’idée de couvrir son pays de centrales nucléaires, mais il décide de se passer des services des entreprises américaines et de confier aux Allemands le programme de nucléarisation de l’Iran.
En 1974, le groupe Siemens commence les travaux de la centrale d’Haleyle et, cinq ans plus tard, au moment de la révolution islamique, l’usine est presque sortie de terre. Mais, en 1979, l’arrivée de Khomeiny au pouvoir à Téhéran met un terme apparemment définitif au projet nucléaire iranien. Le Guide Suprême décrète en effet que l’atome est une technologie qui contredit les valeurs fondamentales de l’islam et que la République Islamique s’en passera.

Un an plus tard, Saddam Hussein attaque l’Iran. Le dictateur de Bagdad pense triompher en quelques semaines mais l’armée iranienne encaisse sans faiblir les coups terribles que lui assènent les troupes irakiennes. Les généraux de Saddam Hussein sont vite obligés de faire leur deuil d’une victoire éclair et doivent au contraire enterrer leurs divisions dans le désert et se préparer à une très longue guerre de positions.
Mais si les forces iraniennes ont bien supporté les premiers assauts irakiens et rendu coup pour coup à leurs adversaires, elles subissent une effroyable épreuve du feu. Sur le front, depuis le 22 octobre 1983, Saddam, qui se vante d’avoir dans ses arsenaux de quoi exterminer "toute la vermine shiite" utilise les gaz de combat pour faire céder les Iraniens.
Depuis le mois de juin 1984, la guerre des villes commencée par Saddam Hussein s’est intensifiée. Irakiens et Iraniens cherchent à frapper des cibles civiles en faisant le plus de victimes possible pour provoquer un soulèvement des populations prises en otages d’une guerre qui semble ne jamais devoir finir. L’Irak envoie ses missiles sur seize villes iraniennes. Téhéran réplique en bombardant Bassora et Bagdad.L’année 1985 est particulièrement dure pour l’Iran. L’aviation irakienne attaque sans discontinuer les tankers iraniens. Le terminal pétrolier de Kharg, par lequel passent 85% des exportations de pétrole iranien, est soumis à des bombardements incessants. Les revenus pétroliers de l’Iran s’effondrent et une crise sociale grave menace le régime de Khomeiny. Le 5 mars 1985, l’aviation irakienne bombarde la centrale nucléaire inachevée de Haleyle. En envoyant ses avions détruire le site, Saddam reconnaît qu’il a peur qu’une fois la guerre terminée, l’Iran ne reprenne les travaux laissés en plan par les Allemands et ne parvienne à maîtriser la technologie nucléaire. A Téhéran, les ayatollahs ont flairé la panique de Saddam. Ils ont compris qu’une bombe atomique shiite est un cauchemar qui hantera les dirigeants arabes et leurs alliés occidentaux, et les dissuadera à l’avenir d’agresser l’Iran. En 1985, le programme clandestin d’armement nucléaire de l’Iran démarre malgré la condamnation de l’imam Khomeiny.
La guerre entre l’Iran et l’Irak se termine le 20 août 1988. Tout au long du conflit, les Iraniens ont souffert de leurs terribles pertes mais aussi d’un immense sentiment d’injustice. Ils n’ont pas voulu cette guerre. Saddam les a attaqués. C’est lui qui a violé les règles du droit international, et pourtant l’Occident, qui se prétend garant de la légalité internationale, a armé le tyran de Bagdad.
Saddam n’a eu aucun problème pour payer ses commandes avec l’argent que les pays arabes producteurs de pétrole lui ont donné ou prêté sans compter. Les missiles qui ont coulé les pétroliers de Téhéran étaient des Exocet français, lancés par des Mirages français, pilotés par des hommes formés en France. Ce sont les Américains et les Allemands qui ont donné la recette des gaz de combat aux Irakiens. Tous les pays européens, en fait, ont vidé leurs arsenaux pour que l’Irak ne perde pas une guerre que Saddam Hussein avait pourtant commencée.

La victoire était à portée de main, pourtant Khomeiny a été contraint d’épargner Saddam sous la pression internationale. Il le dit lui-même : cette décision d’accepter un cessez-le-feu a été pire que la mort. Mais le Guide Suprême de la révolution islamique n’a pas le temps de ruminer sa rage. Il meurt un peu moins d’un an après la fin des combats avec l’Irak.
Ali Khamenei lui succède. Le nouvel homme fort de Téhéran n’a pas les mêmes préjugés que Khomeiny contre l’atome. Khamenei, la haute hiérarchie des Gardiens de la Révolution et le clergé shiite pensent que l’arsenal nucléaire doit devenir l’outil principal d’une politique inspirée par la peur, la haine et l’ambition.
L’Iran est un pays qui vit dans la peur. Les ennemis du pays sont nombreux, à défaut d’être vraiment décidés. Or, au cours du conflit avec l’Irak, les militaires iraniens ont pu mesurer les limites opérationnelles de leur armée. Les soldats iraniens se sont admirablement bien battus. Ils ont été soutenus par le peuple. Au plus fort des combats, les deux tiers des forces iraniennes engagées étaient constitués de volontaires de tous ages. Les "bassejis" qui, par milliers, sont allés chercher la mort sur les champs de mines, ont impressionné leurs adversaires.
Humainement, l’armée iranienne est l’une des meilleures du Moyen-Orient. Mais elle est mal commandée. Les généraux iraniens se haïssent et, jaloux de leurs prérogatives, ils ne savent pas manœuvrer pour gagner ensemble.
Au niveau de l’armement conventionnel, l’Iran a accumulé un retard sur ses adversaires que ce pays ne pourra probablement jamais combler. Le pouvoir iranien sait qu’une guerre longue se conclurait très certainement par une défaite et la chute du régime. Il faut donc rendre impossible, impensable, un nouveau conflit où l’armée iranienne aurait à affronter ses adversaires dans une interminable guerre de position. Seule la possession d’un arsenal nucléaire est suffisamment dissuasive.

La haine. Les Iraniens peuvent être définis comme un peuple anti-sémite, car ils confondent dans une même exécration les Arabes et les juifs. Les premiers ne seraient, selon les mots du poète Ferdousi qui a vécu au Xeme siècle, que des "nomades abrutis", des sauvages qui enterrent leurs enfants vivants pour s’en débarrasser, des "mangeurs de lézards" qui se font un festin avec de la charogne arrosée de lait de chamelle.
Bien qu’il soit mort depuis plus de mille ans, Ferdouzi est toujours l’objet d’un véritable culte en Iran. Ce sont ses poèmes qui, dès leur plus jeune âge, donnent aux Iraniens une image épouvantable de leurs voisins arabes. L’Iran, fier de l’ancienneté de sa civilisation, ne voit dans les pays arabes contemporains que des créations coloniales ou des tribus nomades rassemblées par les grandes puissances. Toute l’aversion que les Iraniens éprouvent à l’égard des Arabes se cristallise autour de deux archétypes : le tyran sanguinaire, fanfaron et lâche comme Saddam Hussein, ou Mouamar Kadhafi et les hypocrites comme les cheikhs d’Arabie Saoudite. Les Iraniens affirment que tout ce qui est beau et bon dans l’islam vient d’Iran. Pour eux, les Arabes ne sont pas dignes de la religion du Prophète, qu’ils trahissent pas leur fainéantise, leurs mensonges et leurs vices.
L’hostilité aux juifs est à peine moins brûlante que l’aversion des Iraniens à l’égard des Arabes. Les juifs, selon la tradition iranienne, incarnent l’impureté et le complot. Aujourd’hui, c’est à cause des juifs que l’Occident refuse d’accorder aux Iraniens la place éminente qu’ils devraient occuper dans la communauté des nations. Les juifs manipulent le Grand Satan - les Etats-Unis - et ses petits démons - les pays européens. A cause des juifs et d’Israël, l’Iran est méprisé. La grandeur de sa civilisation, ses dons pour la création artistique et scientifique ne sont pas reconnus.
Israël fait peur également à l’Iran parce que c’est le seul pays qui pourrait être un obstacle sérieux à la domination iranienne sur le Moyen-Orient, si « l’entité sioniste » parvenait un jour à faire la paix avec les Arabes. Les Iraniens estiment donc essentielle à leurs intérêts la poursuite du conflit israélo-arabe.

Enfin, l’Occident s’est toujours comporté comme un pillard en Iran. Les Etats-Unis et la Grande-Bretagne n’ont cessé de se mêler des affaires intérieures du pays, attirant sur le peuple iranien les fléaux de la tyrannie, de la corruption et de la dépravation des moeurs. L’Occident n’a que des torts vis-à-vis de l’Iran. Il a soutenu Saddam Hussein. Il a donné la Palestine aux juifs. Il a aussi permis aux Pakistanais, aux Indiens et aux Israéliens, des peuples que les Iraniens jugent intellectuellement, spirituellement et moralement inférieurs à eux, d’obtenir la bombe atomique. Téhéran voit donc comme un déni de justice les efforts des occidentaux pour empêcher l’Iran de devenir une puissance nucléaire.
En entrant dans le club, pour le moment très fermé, des pays disposant d’une force de frappe nucléaire, l’Iran obtiendrait sa revanche sur les Arabes, les juifs et les Occidentaux. Cela permettrait également à l’Iran de réaliser ses ambitions et de devenir une puissance régionale intouchable dans la région la plus stratégique de la planète.
Les occidentaux ne se font aucune illusion. Dès que l’Iran disposera d’armes nucléaires, plus rien ne l’empêchera de réaliser ses ambitions régionales : la déstabilisation et la soumission de ses voisins dans le Golfe Persique, le blocage des négociations de paix entre les pays arabes et Israël, l’exportation de sa révolution islamique de la Turquie à Gaza. Avec sa bombe, l’Iran est assuré de pouvoir constituer, sans que personne n’ose l’en empêcher un croissant shiite révolutionnaire qui inclura l’Irak, la Syrie, et les territoires palestiniens.

Aux yeux des dirigeants iraniens, la possession d’une arme nucléaire semble être la panacée pour bloquer tout le jeu américain au Moyen-Orient. Le régime de Téhéran ressent la présence militaire des Etats-Unis sur ses frontières en Irak, en Afghanistan et en Arabie Saoudite comme une menace existentielle. Dans les pays de la région où les forces américaines ne sont pas physiquement présentes, Washington dispose d’alliés fidèles. En outre, le Pakistan, l’Inde, l’Azerbaïdjan et les pays du Caucase n’éprouvent aucune sympathie à l’égard de l’Iran, et il y a peu de chances qu’ils protestent avec beaucoup de sincérité si les Etats-Unis – ou Israël – se décidaient à donner une leçon au régime de Téhéran.

Au début du mois de décembre 2005, par une lettre envoyée à l’Agence Internationale pour l’Energie Atomique, l’Iran faisait part de sa décision de reprendre ses travaux d’enrichissement de l’uranium dans son usine de Natanz arrêtée depuis le mois d’octobre 2003 à la suite d’un accord passé avec les Européens.
Cette provocation iranienne s’explique par le fait que, pour Téhéran, le moment est idéal pour relancer officiellement son programme nucléaire. En effet, les Américains englués dans leur campagne irakienne n’ont plus les moyens d’intervenir militairement en Iran. On calcule, même à Téhéran, que si Israël, affolé par les ambitions atomiques de Téhéran, décidait de passer à l’action, les Américains feraient pression sur l’Etat Hébreu pour lui imposer de ne pas intervenir.
L’Iran compte aussi sur la complaisance des Européens qu’ils croient définitivement acquis à leur cause moins par sympathie pour la révolution islamique que par souci de préserver leurs intérêts économiques. Téhéran pense que la Russie ne bougera pas pour ne pas offusquer un excellent client de ses industries militaires. Le pouvoir iranien tient également pour acquise la neutralité bienveillante de l’Inde et de la Chine, dont la croissance économique dépend pour une large part du pétrole et du gaz que leur vend Téhéran. Enfin, l’Iran laisse clairement entendre qu’une réaction occidentale trop vive à la reprise de ses activités nucléaire entraînera une recrudescence de l’activité terroriste et de l’agitation islamiste en Europe, au Moyen-Orient et dans les pays du Golfe.
La position de Téhéran est renforcée par la publication d’une étude économique selon laquelle, en cas de crise grave dans le Golfe, le prix du baril de brut dépassera les 100 dollars. Les Iraniens savent pertinemment que personne n’acceptera de payer un tel prix même si c’est pour empêcher Téhéran de devenir une puissance nucléaire.

Le 10 janvier 2006, devant les caméras conviées à assister à l’événement, les Iraniens rompent les scellés que les observateurs de l’AIEA avaient installés sur les installations sensibles de l’usine de Natanz. Immédiatement, les Etats-Unis, l’Allemagne, la France et la Grande-Bretagne protestent et menacent de renvoyer Téhéran devant le Conseil de Sécurité de l’ONU. Cette perspective fait horreur au régime iranien qui est tout aussi soucieux de sa respectabilité internationale qu’il est désireux d’exporter sa révolution islamique. En bon négociateur de bazar, le Président Ahmadinejad se livre donc à une nouvelle déclaration antisémite pour brouiller les cartes et faire oublier que la question qui préoccupe les nations, c’est le nucléaire iranien. Après avoir souhaité qu’Israël soit rayé de la carte, Ahmadinejad décide, le 15 janvier dernier, de convoquer une conférence internationale sur l’Holocauste pour détruire le "mythe" de l’extermination des juifs européens, que les sionistes auraient exploité afin de voler une terre musulmane. La diversion de Ahmadinejad ne fonctionne pas. L’Iran et son président s’attirent mépris et condamnations. Les Européens ne se sont pas laissés abuser. Ils décident de rompre les négociations avec l’Iran et de s’en remettre au Conseil de Sécurité. La Russie et la Chine sont très réticentes sur ce sujet. Pourtant le 1er Février, ces deux alliés de l’Iran votent avec l’Inde, l’Egypte et vingt autres pays membres de l’AIEA pour que le problème du nucléaire iranien soit examiné par le Conseil de Sécurité. L’Iran n’est soutenu que par la Syrie, Cuba et le Venezuela.

Téhéran peut mesurer l’ampleur de son isolement international. Pourtant Khamenei, Ahmadinejad et leurs principaux conseillers continuent à provoquer la communauté internationale. Ils affirment que "le temps de la diplomatie est fini" et que l’Iran ne s’interdit désormais plus rien en matière de recherche nucléaire.
Téhéran fait d’incroyables efforts pour gagner du temps. Les Iraniens font semblant de trouver intéressante une proposition de Vladimir Poutine de délocaliser sur le territoire russe la production de l’uranium enrichi dont l’Iran dit avoir besoin pour ses recherches pacifiques et sa production d’énergie. Pendant des semaines, l’Iran a essayé de faire perdre la tête à ses interlocuteurs en faisant des promesses et en les reniant le jour d’après. Furieux, le ministre allemand des Affaires Etrangères déclarait que l’Europe devait cesser de discuter avec l’Iran sous peine de se couvrir de ridicule.

Dans quelques semaines, le cas de l’Iran sera donc examiné par le Conseil de Sécurité. Tout laisse à penser que les sanctions qu’encourt Téhéran seront limitées et ne seront pas de nature à faire reculer le pouvoir iranien. La Russie et la Chine ne veulent pas irriter plus qu’il n’est nécessaire un partenaire essentiel à leur développement économique. Les pays d’Asie, principaux clients de l’Iran, ne tiennent pas non plus à voir exploser le prix du gaz et du pétrole iranien. L’Inde, en particulier, est consciente du fait que tous ses efforts de développement seraient réduits à presque rien si le prix du baril montait à 100 dollars.
Khamenei et Ahmadinejad savent donc déjà que leur pays ne sera jamais aussi durement sanctionné que l’a été la Libye après l’attentat de Lockerbie. Pour eux, jamais le moment n’a été plus opportun pour satisfaire l’obsession nucléaire de l’Iran. Le dernier obstacle, la fatwa de l’ayatollah Khomeiny contre le nucléaire et l’utilisation des armes atomiques, vient de tomber. A Qom, Moshen Ghavarian, un religieux iranien, disciple de l’ayatollah Mesbah Yazdi, vient de déclarer : « Alors que le monde entier dispose de ces armes, il est légitime de les utiliser en représailles à une attaque ». Pour la première fois, un religieux affirme que l’usage de l’armement atomique est permis par la charia.
Moshen Ghavarian est un inconnu sans importance, mais sa déclaration doit être prise au sérieux car jamais il n’aurait été autorisé à parler sans l’aval de l’ayatollah Yazdi. Or celui-ci est le guide spirituel du Président Ahmadinejad...

Comment un régime qui, depuis que Khomeiny l’a instauré en 1979, a fait preuve d’une incroyable agressivité à l’égard de ses voisins et de l’Occident, a-t-il pu fêter son 27ème anniversaire ? Par quel miracle l’Iran révolutionnaire, dirigé par un clergé fanatique et ses hommes de mains, a-t-il survécu à une guerre terrible, aux troubles sociaux et à sa mise en quarantaine par les Etats-Unis ?

L’addiction de l’Occident, et aujourd’hui de l’Asie, au pétrole iranien n’explique pas tout. Le khomeynisme a survécu d’abord parce que malgré leurs provocations, leurs appels incessants à la destruction de leurs voisins et les menaces contre les petits et les grands satans, les dirigeants iraniens ont su faire preuve d’un certain pragmatisme. Les mollahs n’ont jamais renoncé à faire énormément de bruit, mais ils ont toujours évité l’épreuve de force quand ils auraient dû agir en conformité avec leurs déclarations et les principes de la révolution iranienne.
Les mollahs iraniens, tout en vociférant leur volonté de protéger les shiites et les musulmans partout où ceux-ci sont menacés dans leur existence ou dans leurs droits, ont souvent accepté sans broncher des situations qui auraient logiquement dû les conduire à la guerre.
En 1982, le régime de Hafez el-Assad extermine les Frères Musulmans en Syrie. L’Iran ne bouge pas. Après la première Guerre du Golfe, Saddam Hussein massacre les rebelles shiites en Irak. Téhéran n’intervient pas pour faire cesser ce carnage. En 1998, les Talibans éliminent les Hazaris en Afghanistan. Les Hazaris sont shiites, ils parlent la même langue que les Iraniens, mais les mollahs assistent à leur calvaire sans intervenir. Ils acceptent même sans réagir l’assassinat de leurs diplomates par les Talibans.

Quand les Américains écrasent le régime islamiste de Kaboul, les Iraniens ravalent leur rage et regardent sans réagir le « Grand Satan » s’installer à leurs frontières. Enfin, les mollahs se gardent bien de prêcher le jihad quand les Etats-Unis et leurs alliés envahissent l’Irak, affrontent les shiites irakiens et resserrent encore leur emprise autour de l’Iran. Pour se justifier de toutes leurs reculades, les dirigeants iraniens invoquent l’obligation de respecter l’idée du "maslahat". En vertu de ce principe religieux essentiel au shiisme, les dirigeants doivent renoncer à leur intransigeance doctrinale pour préserver l’intérêt collectif. Le maslahat est un puissant garde-fou qui empêche le Guide Suprême et les hommes qui partagent le pouvoir avec lui, de conduire la nation au suicide. Le maslahat sanctifie la realpolitik. C’est en vertu de ce réalisme politique, religieusement imposé, que Khomeiny a accepté de cesser les combats contre l’Irak malgré le serment qu’il avait fait de n’envisager la fin des hostilités qu’une fois Saddam Hussein déchu, jugé et puni.
A Téhéran, toute la question est aujourd’hui de savoir si Ahmadinejad saura - comme Khomeiny puis Khamenei l’ont fait - faire passer l’intérêt collectif des Iraniens avant ses désirs de révolution islamique universelle et d’extermination nucléaire d’Israël. Ahmadinejad saura-t-il faire machine arrière, avant que l’Iran ne devienne un état paria et que les menaces de sanctions économiques, politiques voire militaires de l’Occident ne se concrétisent ? Rien aujourd’hui ne le laisse espérer.

Mahmoud Ahmadinejad semble être pris d’une fièvre messianique qui le pousse à croire qu’il n’est plus temps de tergiverser et que, la fin des temps approchant, il faut que l’Iran, la nation de l’islam le plus pur, allume et mène la guerre des forces du bien contre le mal occidental et juif. Mahmoud Ahmadinejad, obscur apparatchik de la révolution iranienne jusqu’à son élection à la mairie de Téhéran en 2003, puis son accession à la présidence de la République Islamique, est convaincu que lui et ses proches auront un rôle essentiel à jouer dans la destruction des ennemis de l’islam.
Il pense, même s’il ne l’a jamais dit, qu’il pourrait bien être le "Mahdi", le chef de guerre génial et invincible que l’islam attend depuis des siècles pour qu’il le conduise à la victoire définitive sur les mondes infidèles. Ahmadinejad n’a jamais dit qu’il était le Mahdi, mais il laisse ses partisans libres de croire que le nouveau président de la République Islamique est bel et bien l’être providentiel qui permettra à l’islam de triompher. Ahmadinejad alimente lui-même sa légende. Il laisse entendre qu’il est doté de pouvoirs surnaturels que Dieu lui accorde pour qu’il puisse remplir sa mission.

Au mois de novembre 2005, Ahmadinejad est invité à parler devant l’assemblée générale des Nations Unies. De retour dans son pays, il fait immédiatement le récit de son intervention à un mollah. Il raconte au religieux ébahi que pendant qu’il parlait il se sentait "entouré par une aura". Dans la grande salle de l’Assemblée Générale, pendant le temps de son discours, l’atmosphère aurait changé, l’air se serait chargé de présence divine. Ce n’est plus le Président de la République Islamique d’Iran qui parle, mais un prophète de l’islam. Ahmadinejad est convaincu que les délégués des autres nations du monde ont été "sidérés" pendant les 28 minutes qu’a duré son discours. "Leur yeux n’ont jamais cillé". C’était, assure le Président iranien, "comme si une main invisible les maintenait en place, les obligeait à rester assis et ouvrait leurs yeux et leurs oreilles au message de la République Islamique"

Cette crise mystique a embarrassé même les durs du régime iranien, qui l’ont qualifiée de "ridicule et indigne d’un Président, d’un chef et d’un leade". Pour les adversaires d’Ahmadinejad, essentiellement regroupés autour de l’ancien président Hashemi Rafsandjani, le dérapage d’Ahmadinejad après son intervention à l’ONU n’a rien d’étonnant. Cela ne fait que confirmer ce qu’ils pensaient et disaient déjà d’Ahmadinejad qu’ils considèrent comme un bigot fanatique, un imbécile, un assassin et un « pouilleux » qui ne restera au pouvoir que le temps de conduire l’Iran au bord du gouffre.

La nomenklatura qui a gouverné le pays et s’est enrichie dans les affaires et par la corruption affiche ainsi le plus grand mépris pour Ahmadinejad. Même s’il reste de bon ton de maudire les Etats-Unis, on rappelle avec une certaine gourmandise que George Bush informé de l’élection d’un nouveau Président de la République Islamique, s’était exclamé : « Ahamadine... qui ? » devant le conseiller qui lui apportait la nouvelle.
Les amis de Rafsandjani ont également bien ri et répandu cette blague après la victoire électorale de leur adversaire : chaque matin, pendant qu’il se coiffe devant sa glace, Ahmadinejad, très attaché à la séparation physique des hommes et des femmes dans la vie quotidienne, hurle: "Les poux femelles à gauche, les poux males à droite !"
Mais rira bien qui rira le dernier. A Téhéran, et malgré leur conviction affichée que le passage d’Ahmadinejad à la Présidence de la République Islamique ne sera qu’un épisode supplémentaire de l’histoire chaotique de la révolution iranienne, Hashemi Rafsandjani et ses partisans savent qu’ils ne se débarrasseront pas facilement de Ahmadinejad.
L’élection de ce dernier en août 2005 n’est en effet pas la conséquence d’un mouvement de mauvaise humeur des pauvres et des déçus de la révolution. L’accession au pouvoir à Téhéran d’Ahmadinejad doit être considérée comme un véritable changement de régime. Les élites corrompues, idéologiquement peu fiables, qui ont gouverné l’Iran depuis la mort de Khomeiny ont été désavouées par les exclus, la moyenne et la petite bourgeoisie. L’affairisme des dirigeants qui viennent d’être mis au rancart était devenu insupportable.
Rafsandjani incarne l’avidité de cette caste privilégiée. Celui que tout le monde en Iran appelle le « requin », autant à cause de son obsession à accumuler les millions de dollars que pour la férocité dont il est capable pour détruire ses ennemis, avait ainsi placé ses deux fils aux positions les plus lucratives de l’état iranien. L’un des fils Rafsandjani dirigeait le consortium d’entreprises chargées de la construction du métro de Téhéran, l’autre avait été placé à la tête des industries pétrolières iraniennes. Tous deux ont été mis sur la touche par Ahmadinejad. Hashemi Rafsandjani a été ainsi écarté de deux sources de devises fortes où il a trop longtemps été libre de puiser sans vergogne.

Les Iraniens défavorisés sont reconnaissants à leur nouveau Président de s’être engagé dans une opération mains propres au plus haut sommet de l’état. La télévision multiplie les reportages qui soulignent la modestie du train de vie d’Ahmadinejad et de sa famille. Les journaux ont été remplis, des semaines durant, de témoignages de balayeurs de Téhéran qui voulaient raconter que le Président était venu nettoyer les rues avec eux quelques jours après être devenu maire de la capitale iranienne. Ahmadinejad est l’un d’entre eux et ils en sont fiers.
Leur nouveau héraut les a pourtant inquiétés quand il s’est mis à multiplier les provocations à l’écart des Etats-Unis, a appelé à la création d’un monde débarrassé du sionisme et d’Israël, et a décidé de relancer le programme nucléaire iranien. Personne en Iran n’avait envie que le pays ne soit de nouveau condamné a l’isolement comme cela avait été le cas après la fatwa lancée contre Salman Rushdie par l’ayatollah Khomeiny.

Mais le ciel n’est pas tombé sur la tête des iraniens après les provocations incroyables d’Ahmadinejad. L’Europe et les Etats-Unis ont certes obtenu que le dossier du nucléaire iranien soit renvoyé devant le Conseil de Sécurité, mais Téhéran peut déjà parier, sans grand risque de se tromper, que les sanctions qui lui seront infligées seront tout à fait supportables. Les puissances occidentales et les pays émergents d’Asie ne veulent pas s’aliéner un des principaux producteurs de pétrole et de gaz de la planète. Ahmadinejad est ainsi parvenu à faire croire aux Iraniens qui l’ont élu qu’ils peuvent tout se permettre car les satans d’occident sont à genoux devant leur pays.
Ahmadinejad est également arrivé à faire du dossier nucléaire une question de dignité nationale mise à mal par le marasme économique, la corruption, le fait qu’un million d’Iraniennes sont aujourd’hui contraintes de se prostituer pour survivre. On veut la bombe pour oublier qu’il y a quatre millions d’héroïnomanes dans le pays, que le taux d’inflation est de 21 pour cent par an et que presque un quart de la population active est au chômage.
Les Iraniens qui ont porté Ahmadinejad au pouvoir veulent aussi des centrales, et la bombe, à titre de réparation des préjudices subis par l’Iran pendant la guerre avec l’Irak. Les objections de ceux qui pensent que la constitution d’un arsenal nucléaire incitera les états arabes voisins de l’Iran à se mettre sous la protection atomique de Washington et donc à renforcer la présence du Grand Satan dans la zone d’influence iranienne, ont été balayées. Le Président Ahmadinejad a convaincu son peuple que l’Iran ne peut exister, se développer et se faire respecter sans la bombe. Les Iraniens doivent se préparer à payer le prix de leur dignité reconquise même s’ils doivent se battre contre le monde entier pour cela.

Ahmadinejad est un nostalgique de la guerre. C’est le conflit avec l’Irak qui l’a créé, lui et les anciens combattants qui l’accompagnent et le soutiennent. Sans la guerre, Ahmadinejad ne serait rien. Fils d’un maréchal ferrant, né dans une ville poussiéreuse aux confins du grand désert iranien, le Président iranien n’aurait jamais pu grimper un à un les échelons vers le pouvoir s’il n’y avait eu la guerre avec l’Irak et ses horreurs.
Ahmadinejad est né en 1956. En 1979, il est étudiant à l’université de Téhéran où sa famille s’est installée juste après sa naissance. Il n’a pas participé à la capture et à la séquestration des otages de l’ambassade américaine de Téhéran. Il est resté à l’écart du mouvement. On ne sait pas trop si c’est lui qui en a décidé ainsi, ou si ce sont les membres de l’élite révolutionnaire de l’époque qui l’ont exclu. Quand la guerre éclate, Ahmadinejad part se battre dans les zones kurdes à la frontière avec l’Irak.
A vingt-trois ans, le futur Président iranien devient l’adjoint du Gouverneur du Kurdistan iranien, un autre étudiant de vingt ans à peine. Ces hommes jeunes, sans expérience, ont l’instinct de la guerre et de l’autorité. En 1986, Ahmadinejad intègre une unité des forces spéciales des Gardiens de la Révolution. Pendant deux ans, jusqu’à la fin de la guerre, il participe à des opérations en territoire irakien.
A partir de 1988, on perd presque totalement sa trace. On suppose, sans en avoir la preuve irréfutable, que le futur président iranien participe à l’élimination des opposants au régime khomeyniste réfugiés en Europe. Son niveau d’implication et les meurtres auxquels il aurait participé ne sont pas connus.
Au milieu des années 90, Ahmadinejad refait surface. Il est nommé gouverneur de la province d’Arbadil au nord-ouest de l’Iran. C’est une voie de garage. Ahmadinejad, l’ancien combattant, sombre, intransigeant, obsédé par la mort, est un homme du passé pour les Iraniens qui rêvent de liberté et de prospérité. Ahmadinejad perd son poste. Il retourne à l’université où il s’ennuie à mourir, mais c’est là qu’il devient un fanatique de la cause palestinienne. C’est la seule chose qui l’intéresse alors. Il se consacre à la Palestine avec autant de ferveur qu’à la religion. Ahmadinejad est un mystique. Il croit en la puissance politique de l’islam. C’est l’islam qui a incité des centaines de milliers de jeunes iraniens à mourir pour l’Iran pendant la guerre. C’est l’islam qui a fait tomber le shah.
En 2003, la traversée du désert se termine. Ali Khamenei veut rogner les ailes des réformistes et de Rafsandjani. Il favorise la candidature d’Ahmadinejad à la mairie de Téhéran. Celui-ci a su entrer dans les bonnes grâces du Guide Suprême en donnant de multiples preuves de sa foi et de son humilité. Mais Ahmadinejad est surtout le disciple de Muhammad Taqi Mesbah-Yazdi, un ayatollah infiniment plus respecté par le clergé iranien que ne l’est Ali Khamenei. Mesbah-Yazdi est une brute politique. Il ne prend aucune précaution pour prêcher une politique intérieure réactionnaire. C’est sous l’influence de Mesbah Yazdi qu’Ahmadinejad a fait pendre publiquement 80 personnes depuis son arrivée au pouvoir.
Sur la scène internationale, le gourou d’Ahmadinejad exige que l’Iran soit plus agressif, plus intransigeant, et oublie toute prudence quand il s’agit de faire triompher l’islam. Inspiré par Mesbah-Yazdi, Ahmadinejad veut que l’Iran retrouve la pureté spirituelle et révolutionnaire qui faisait sa force pendant la guerre avec l’Irak. Un nouveau conflit avec un ennemi arabe, juif chrétien serait donc aux yeux d’Ahmadinejad une bénédiction pour l’Iran qui avait trop tendance à « s’occidentoxiquer » - selon l’expression en vogue à Téhéran - sous l’influence de Rafsandjani et des réformistes.
Le zèle guerrier du président iranien est entretenu par les anciens combattants qu’il a placés à tous les postes clés de l’armée et de l’administration. Ces vétérans constituent un groupe très soudé, extrêmement agressif. Ils affichent un mépris hautain pour les prudents et les timorés. Martelant sans cesse l’idée qu’ils ont sauvé le pays pendant la guerre avec l’Irak, les anciens combattants estiment qu’ils sont les seuls à savoir ce qui est bon pour la nation. La rédemption par le feu et le sang d’un peuple qui a oublié sa mission leur semble être une perspective tout à fait souhaitable.

Soumis à un feu nourri de provocations, de menaces et de délires antisémites, les Occidentaux se rassurent en mettant en avant le fait que le Président n’a qu’un pouvoir limité dans la République Islamique. C’est le Guide Suprême, Ali Khamenei, qui décide de faire la guerre. C’est lui qui désigne les adversaires prioritaires de la République Islamique. En Iran, une large part du pouvoir revient également au Conseil d’Urgence, aujourd’hui présidé par Hashemi Rafsandjani, l’ennemi juré d’Ahmadinejad. Mais ce dernier n’a pas l’intention de se contenter longtemps d’un second rôle. Les journaux qui le soutiennent pilonnent la réputation de Rafsandjani en faisant des révélations sur la corruption du président déchu. Rafsandjani est accusé de prêcher une certaine modération moins par souci des intérêts de la nation iranienne que pour continuer à faire de fructueuses affaires partout dans le monde.

Il est désormais évident qu’Ahmadinejad lorgne la position de Guide Suprême, probablement pas pour lui mais plutôt pour y installer Mesbah-Yazdi, qui a toutes les compétences religieuses pour occuper cette fonction et affiche une intransigeance doctrinale absolue.
Au mois d’avril prochain, devront être désignés les douzes mollahs de l’Assemblée des Sages, dont la fonction essentielle est de designer le Guide Suprême. Les élus d’avril auront la possibilité de maintenir Ali Khamenei à son poste ou de choisir un nouveau Guide Suprême. Depuis son élection à la Présidence de la République Islamique, Ahmadinejad n’a cessé de marginaliser Ali Khamenei et de vanter, au contraire, les vertus et les connaissances théologiques de son mentor Mezbah-Yazdi. Si ce dernier accédait au pouvoir suprême en Iran, Ahmadinejad serait coiffé, en théorie, par un homme qui professe la même haine pour l’Occident et se dit, lui aussi, convaincu que la fin des temps approche. Le Mahdi va réapparaître. Ahmadinejad aimerait bien déposer son arsenal nucléaire aux pieds de celui qui conduira les armées de l’islam à la victoire finale.

Le 8 Janvier 2006, un jet Falcon appartenant aux Gardiens de la Révolution s’écrase près de l’aéroport d’Oroumieh, à 900 kilomètres au nord-ouest de Téhéran. Les trois membres de l’équipage et leurs dix passagers sont tués. L’accident est ressenti comme un véritable drame par le Président Ahmadinejad. Le Général Ahmad Kazemi se trouve en effet parmi les victimes du crash. Des liens très forts unissaient Kazemi et Ahmadinejad. Tous deux ont été membres des Gardiens de la Révolution pendant la guerre contre l’Irak. Kazemi a poursuivi une carrière militaire et Ahmadinejad a préféré se lancer dans la politique pour faire triompher la révolution islamique, mais les deux hommes ne se sont jamais perdus de vue.
Tout juste élu Président de la République Islamique, Ahmadinejad décide de confier à Kazemi la responsabilité de toute la chaîne de développement et de production des missiles Shihab 3, le fin du fin de la technologie militaire iranienne. Ce sont les Shihab 3 qui devront transporter les bombes atomiques dont l’Iran espère se doter très vite jusqu’à Tel-Aviv dans un premier temps, puis vers les grandes métropoles européennes. Ahmadinejad sait que le général Kazemi ne faillira pas. C’est un excellent militaire, un fanatique de la Révolution Islamique, et surtout la haine du général pour Israël et pour les Juifs est presque aussi brûlante que celle du Président iranien lui-même.
Jusqu’à ce qu’Ahmadinejad lui donne la haute main sur le programme Shihab 3, Kazemi était au Liban, où il a essayé de transformer le Hezbollah en armée. Il a également été l’un des principaux acteurs de la constitution de l’arsenal de la milice shiite. Le Hezbollah dispose de 12000 fusées prêtes à être tirées sur Israël. C’est en grande partie à Kazemi que le Hezbollah doit d’être devenu une menace mortelle pour l’Etat Juif.

Quelques jours après le crash d’Oroumieh, Mostafa Pourmohammadi, ministre de l’Intérieur de la république Islamique, s’adresse à un aréopage d’officiers de la police iranienne. Il leur recommande la plus grande vigilance car il se dit persuadé que le crash de l’avion de Ahmad Kazemi est la conséquence d’une opération de sabotage menée par des agents israéliens infiltrés en Iran. Les Israéliens seraient aidés par des espions britanniques et américains, et par des traîtres iraniens à la Révolution Islamique. Mostafa Pourmohammadi rappelle aux policiers que ce n’est pas la première fois qu’un responsable du programme Shihab 3 meurt au moment le plus opportun pour Israël. En 2000, le colonel Ali Mahmud Mimamd a été retrouvé mort dans son bureau. Mimamd était le père du missile Shihab. Les Iraniens ont accusé le Mossad de ce meurtre, mais il est plus vraisemblable que Mimamd a été battu à mort par les Gardiens de la Révolution qui le soupçonnaient de donner des informations sur le programme d’armement iranien aux Américains et aux Israéliens.
Pour les Iraniens, Israël a déjà commencé à attaquer la République Islamique pour l’empêcher de devenir une puissance nucléaire. Pour le moment, les avions de Tsahal restent sur leurs bases, mais les agents du renseignement israélien seraient très actifs dans le pays et partout où ils peuvent suivre la trace des scientifiques et des militaires iraniens impliqués dans le programme nucléaire de Téhéran. Juste après la mort du Général Kazemi, les accusations de Téhéran ont reçu un écho à Jérusalem. Le Général Uzi Dayan, ancien second du Chef d’Etat Major de Tsahal et dirigeant du parti Taglit, a déclaré sans aucune ambiguïté que les actions de sabotages et de déstabilisation du régime étaient le meilleur, peut-être le seul moyen, d’empêcher Téhéran de disposer d’un arsenal nucléaire. Selon Ouzi Dayan, les opérations clandestines doivent viser les têtes du programme d’armement iranien, mais également le Président Ahmadinejad afin que celui-ci comprenne ce qu’il en coûte d’appeler à la destruction d’Israël et de tenir des discours que personne n’avait osé infliger au monde depuis la chute d’Hitler.
Mais les actions de sabotage ne suffiront pas pour réduire à néant les efforts atomiques de l’Iran. Ouzi Dayan en est tout à fait conscient. Toutes les opérations de sabotage et les éliminations ne pourront au mieux que retarder de cinq ans la course de l’Iran vers la réalisation de son rêve nucléaire. Mais cinq ans, c’est toutefois largement suffisant pour que les Iraniens prennent conscience du péril que représentent Ahmadinejad et sa clique pour leur pays et décident de se débarrasser de leur inquiétant Président.

Si pendant ces cinq années, le Conseil de Sécurité décide d’appliquer de lourdes sanctions politiques et économiques à l’Iran, c’est toute la "mollahrchie" qui pourrait être rendue responsable des difficultés du pays et être finalement balayée. Mais un changement de régime à Téhéran est hautement improbable. Depuis 1979, par la terreur et le recours au populisme, les mollahs et leurs hommes ont conforté leur pouvoir. Les sanctions que le Conseil de Sécurité pourrait infliger à l’Iran seraient un terrible coup porté à la toute puissance des mollahs si ceux ci prenaient l’Onu au sérieux, ce qui est loin d’être le cas. Ali Khamenei lui même a déclaré, pendant une réunion de l’organisation internationale, qu’il se moquait des décisions de cette "usine à papiers qui ne produit rien d’autre que des recommandations sans valeur et sans effet".
Ahmadinejad éprouve le même mépris pour l’Onu. Le 27 février, pendant une tournée dans les provinces les plus reculées de l’Iran, le Président de la République Islamique a fustigé ceux qui, "dans leur somptueux immeuble de New-York, ne comprennent rien à rien et sont obsédés à passer des résolutions. Ils croient que, parce qu’il passent une résolution, tout le monde doit leur obéir. Nous leur répondons clairement: Passez autant de résolutions que vous voudrez jusqu’a l’épuisement. Nous, nous n’obéissons qu’aux injonctions de l’Imam Caché …"

Le 8 mars, le dossier du nucléaire iranien a été transmis au Conseil de Sécurité. Les Etats Unis, l’Europe et Israël ont estimé que c’était une victoire pour les pays qui se sentent menacés par la bombe atomique islamique. Mais le Ministre des Affaires Etrangères de Russie s’est vite chargé de doucher leur enthousiasme. Selon le chef de la diplomatie russe, qui connaît très bien les Iraniens, les Américains et leurs alliés se sont réjouis beaucoup trop vite, car les menaces de rétorsions économiques et politiques, même si elles étaient suivies d’effet, ne feraient pas dévier le régime iranien de sa route.
Si la mise au ban des nations ne fait pas peur au régime iranien, les menaces d’intervention militaire peuvent-elles ramener les ayatollahs et Ahmadinejad à la raison ? Certainement pas. En fait, le Président iranien multiplie les provocations et les menaces comme s’il cherchait à attirer sur son pays la foudre américaine et le tonnerre israélien. Une attaque du "petit et du grand Satan" lui semble être le moyen de rassembler le peuple iranien autour de son gouvernement à peu de frais et sans prendre de grands risques.

Ahmadinejad et ses maîtres n’ont pas peur d’une frappe américaine parce qu’ils estiment que Washington, déjà engagé à la limite de ses forces en Irak, devra se contenter d’un attaque symbolique et peu destructrice sur ses sites nucléaires. Or tous les régimes qui ont déjà subi une frappe limitée des Américains n’en ont pas souffert et sont au contraire sortis renforcés de cette épreuve. Les Talibans, le régime soudanais, la dictature de Saddam Hussein ont été véritablement dopés par les attaques lancées contre eux par l’administration Clinton dans les années 90. Si les Etats-Unis veulent vraiment empêcher l’Iran d’avoir sa bombe atomique, il lui faut envisager une invasion du pays ou des bombardements aériens massifs et répétés. Ahmadinejad et les mollahs ne croient pas Washington capable d’un tel effort avant longtemps. D’ici là, l’Iran sera devenu une puissance nucléaire et aura les moyens de dissuader toute attaque contre son territoire ou son régime. Ahmadinejad se sent tout à fait libre de promettre des "des souffrances et de la douleur" aux Américains et de jurer qu’il brûlera la civilisation anglo-saxonne jusqu’aux racines. Il pense qu’il ne risque rien à éructer sa haine de l’Occident.

Si le Grand Satan est paralysé, que peut faire le Petit Satan, Israël? Rien, semble-t-on penser de Moscou à Washington en passant par Téhéran. Israël serait ligoté pieds et poings liés tant par la pression internationale que par son incapacité à envoyer son aviation frapper des cibles multiples, bien protégées très loin de ses bases.
Depuis l’emballement de la crise, la position israélienne consiste à marteler que Jérusalem ne laissera pas l’Iran développer son armement atomique, mais que le danger d’une nucléarisation de la République Islamique pèse sur tous les pays occidentaux. Israël ne souhaite donc envisager une action militaire contre Téhéran que dans le cadre d’une coalition internationale. Mais la position israélienne heurte de plein front un tabou essentiel de la politique européenne et américaine. En aucun cas, les pays occidentaux ne veulent se battre aux cotés d’Israël contre un pays musulman. Une attaque menée conjointement par des escadrilles américaines, israéliennes, européennes contre les sites nucléaires iraniens donnerait de très bons arguments à l’Internationale islamiste, déjà convaincue que la guerre des civilisations a bel et bien commencé et que l’ensemble du monde musulman doit entrer dans la bataille contre les forces judéo-chrétiennes.
On aimerait bien, dans les capitales européennes en particulier, qu’Israël hausse le ton et roule des épaules pour impressionner Téhéran. Si Jérusalem se laissait entraîner dans un échange de menaces avec l’Iran, l’Europe pourrait alors se mettre en retrait, en arguant du fait que l’Iran ne menace qu’Israël et que les deux états n’ont qu’à régler leur différend sans entraîner d’autres pays dans l’escalade. Pour le moment, Israël a évité de tomber dans le piège, et les Israéliens se plaisent à rappeler que la plupart des capitales européennes seront bientôt aussi exposées que Tel-Aviv aux missiles Shihab 3 équipés de têtes nucléaires.

L’Iran menace le monde libre, et celui-ci doit se défendre en incluant Israël dans ses rangs, c’est la position définie par Ariel Sharon et celle qu’Ehoud Olmert a adoptée en devenant Premier Ministre par intérim. Il n’est donc pas étonnant que Shaoul Mofaz et Ehoud Olmert aient réagi avec aigreur aux dernières déclarations de Moshé Ya’alon qui était, il y a quelques mois encore, le chef d’état major de Tsahal. Les propos de Ya’alon ont été qualifiés de totalement "irresponsables" par les autorités israéliennes. L’ancien patron de l’armée israélienne a même été accusé d’avoir trahi des secrets militaires ultrasensibles. Moshé Ya’alon se défend en rétorquant qu’il n’a fait que répéter publiquement ce que les alliés et les adversaires d’Israël savent déjà: Israël a les moyens militaire de stopper net la course de l’Iran à la Bombe.
Pour l’ancien chef d’état major de Tsahal, il serait bien entendu préférable qu’Israël agisse dans le cadre d’une large coalition occidentale. Mais le temps presse. L’Iran ne serait qu’à six mois d’avoir les moyens de fabriquer ses premières bombes atomiques. Passé ce délai, il sera trop tard pour agir. L’Iran pourra brandir son arsenal sous le nez de quiconque voudra raisonner les mollahs ou s’aviserait de ne pas obéir a leurs diktats. Selon Moshé Ya’alon, si Israël voulait agir avant qu’il ne soit trop tard, son armée aurait les moyens de frapper efficacement en Iran.
Personne ne peut imaginer cependant que l’aviation israélienne pourra détruire toutes les installations qui devraient l’être. Mais justement, il ne s’agit pas de réduire en poussières tous les bâtiments et toutes les installations souterraines construites depuis vingt ans par Téhéran pour abriter son programme nucléaire clandestin. Il suffirait de frapper des points peu nombreux mais très sensibles, en particulier là où se trouvent des équipements que l’Iran ne sait pas fabriquer et pourra difficilement acheter après qu’ils auront été détruits par l’aviation israélienne. En fait, une frappe bien ciblée et réussie mettrait l’industrie nucléaire iranienne dans la même situation que son industrie aéronautique ou son secteur pétrolier, qui ne peuvent pratiquement pas fonctionner parce que le régime de Téhéran ne peut pas se fournir en pièces détachées.

Si les accidents d’avion se multiplient en Iran, c’est d’abord parce que les Etats-Unis ont imposé un embargo total sur la fournitures des équipements de rechange dont la flotte iranienne, à bout de souffle, a désespérément besoin. Le pays doit importer 40% de son essence parce que ses raffineries ne peuvent pas tourner au mieux de leur capacité. Personne ne vend à l’Iran les pièces qu’il serait pourtant prêt à payer à prix d’or. Si l’aviation israélienne réussissait sa mission, l’Iran serait obligé de repartir à la recherche d’équipements qu’il n’a acquis qu’après vingt ans d’efforts acharnés et en payant des sommes fabuleuses à des intermédiaires qui sont, depuis, sous surveillance de tous les services de renseignements de la planète.
Mais même une frappe chirurgicale unique et limitée n’est pas une opération facile à monter. L’Iran a récemment fait l’acquisition d’un milliard de dollars d’équipements pour sa défense anti-aérienne. Le renseignement israélien doit également désigner les cibles idéales à l’aviation de Tsahal. Or la collecte d’informations sur un programme secret depuis son lancement n’est pas un exercice aisé. Les Israéliens ne disposent pas de moyens de ravitaillement en vol, suffisants pour que leurs avions puissent mener en toute sécurité un raid à 2000 kilomètres de leur base. A toutes ces faiblesses, s’ajoute la crainte de la réaction iranienne. Il est probable que Téhéran cherchera à frapper durement Israël après une attaque contre son territoire.
L’armée de l’air iranienne n’est pas en mesure de porter des coups sérieux à l’état juif. Une attaque terrestre est difficilement envisageable. Mais Téhéran pourrait se venger d’Israël en lâchant la bride du Hezbollah qui dispose de douze mille fusées au sud liban. Cet arsenal comprend des missiles Fajr 3 et Fajr 5, d’une portée de 70 kilomètres. Toute la région de Haïfa se trouve déjà sous le feu des alliés les plus fanatiques de Téhéran. Enfin, le Hamas et le Jihad Islamique, qui entretiennent les meilleures relations avec la "mollahrchie" ne resteraient certainement pas l’arme aux pieds si l’Iran était attaqué par Israël.
Mais Israël a les moyens d’anéantir le Hezbollah et de parer les coups du terrorisme palestinien. Les communautés juives dispersées dans le monde sont beaucoup plus vulnérables. Téhéran a déjà commandité des attentats anti-juifs en Argentine, qui ont fait des centaines de morts. Dans la logique d’Ahmadinejad et des mollahs au pouvoir en Iran, frapper les juifs c’est blesser Israël. Il faut craindre que les poseurs de bombes ou les recruteurs d’assassins suicides ne se déchaînent contre les juifs de la diaspora sur ordre des mollahs.

La tentation est grande en Europe tout particulièrement de faire contre mauvaise fortune bon coeur et de laisser l’Iran se doter d’un armement nucléaire. On se rassure en affirmant que l’URSS a gardé des milliers de têtes nucléaires braquées sur l’Europe et les Etats Unis pendant plusieurs décennies sans jamais être vraiment être tentée d’en faire usage. Les Etats Unis et l’Union Soviétique ont pourtant été à plusieurs reprises sur le point de s’affronter directement. Pendant la Guerre de Corée, à la suite de la crise provoquée par l’installation de missiles balistiques à Cuba, au cours de la guerre du Vietnam, quelques généraux russes et américains ont pensé avoir recours aux armes atomiques pour sortir d’une crise ou terminer un conflit enlisé. Mais jamais cette tentation nucléaire n’a pu se concrétiser. Les deux superpuissances de l’époque de la Guerre Froide ont chaque fois su éviter le pire. L’équilibre de la terreur qui a neutralisé les Etats Unis et l’URSS pendant quarante ans et qui fige encore l’Inde et le Pakistan dans une hostilité féroce mais sans que ni New-Delhi ni Islamabad ne pensent utiliser leurs bombes, semble être un moindre mal pour ceux qui estiment que le monde pourra continuer à tourner quand des mollahs fanatiques disposeront de l’arme suprême.

Après tout, Israël possèderait lui aussi deux cents têtes nucléaires. Mais l’équilibre de la terreur est impossible entre Israël et l’Iran car, à la différence de ce qui s’est passé entre les Etats-Unis et l’URSS, les deux pays n’ont aucune relation de quelque nature que ce soit. Le régime de Téhéran ignore tout d’Israël et des limites à ne pas franchir pour que l’Etat hébreux ne sente pas son existence menacée. Il n’y a pas et il n’y aura jamais de téléphone rouge entre Téhéran et Jérusalem. Les Américains et les Soviétiques, même aux moments de tensions extrêmes, ont toujours entretenu des relations diplomatiques. Les deux adversaires de la Guerre Froide ont ainsi toujours su jusqu’où ne pas aller trop loin pour éviter l’apocalypse nucléaire.
Il ne peut y avoir d’équilibre de la terreur entre Israël et l’Iran parce que les deux pays ne souffriraient pas de la même façon d’une attaque atomique. Israël est bien protégé par le système anti-missile H'etz qui est capable depuis décembre dernier d’intercepter les dernières versions du Shihab 3. Mais si la barrière anti-missile israélienne - probablement la meilleure au monde aujourd’hui - était prise en défaut, les spécialistes estiment qu’une frappe directe sur les grands centre urbains d’Israël ferait 300 000 morts au moins. Le pays pourrait difficilement se remettre d’une telle hécatombe. En outre, Israël étant un pays minuscule, la plus grande partie de son territoire serait rendue inhabitable pour des siècles à cause des retombées radioactives.

Il ne fait aucun doute que si l’Iran frappait Israël avec ses bombes atomiques, l’état hébreu porterait en représailles un coup terrible à son agresseur avec ses missiles Jéricho et les engins embarqués à bord de ses sous-marins "Dauphin". Mais l’Iran est infiniment plus vaste qu’Israël et sa population dix fois plus nombreuse, le pays des mollahs encaisserait bien mieux que l’état juif une frappe nucléaire. L’ancien président Rafsandjani l’a bien compris. En 2002, il faisait la déclaration suivante: "Si un jour, le monde islamique dispose des mêmes armes qu’Israël, l’agression impérialiste sera stoppée parce que l’utilisation d’une seule bombe atomique sur Israël le réduira en ruines... Il n’est pas inconcevable de considérer une telle éventualité".

Enfin, l’équilibre de la terreur atomique au Moyen Orient est impossible parce que l’Etat Juif et la République Islamique ont été bâtis sur des valeurs irrémédiablement opposées. Israël possède des armes atomiques dont il espère ne jamais se servir. Depuis 1979, l’Iran est dirigé par un groupe d’hommes convaincus que la fin des temps est proche et qu’il est de leur devoir de détruire les ennemis de l’islam avant le retour du Messie.
Israël a déjà montré sa répugnance à utiliser ses armes nucléaires même dans une situation désespérée. En Octobre 1973, au quatrième jour de la Guerre de Kippour, Moshé Dayan pensait qu’Israël allait être vaincu. La contre-offensive dans le Sinaï a échoué, le front syrien est sur le point de s’effondrer. Pour exprimer la gravité de la situation, il assène ces mots terribles à Golda Meir: "Le Troisième Temple est en danger..." Le chef d’Etat Major, David Eléazar, estime qu’Israël ne peut plus être sauvé que par le recours aux "moyens spéciaux", un euphémisme pour désigner les bombes atomiques. Chaque heure qui passe sans que les armées arabes ne soient anéanties met Israël en danger d’être rayé de la carte. Mais l’ordre d’utiliser la force de frappe nucléaire ne viendra jamais. Israël s’abstiendra même de menacer les Egyptiens et les Syriens d’une extermination immédiate si l’attaque arabe ne cessait pas. Sur le plateau du Golan, les chars de Tsahal, engagés dans la plus grande bataille de blindés depuis la seconde guerre mondiale, finissent par écraser leurs ennemis et Tsahal reprend l’initiative La patience d’Israël lui a épargné d’avoir à déchaîner le feu nucléaire sur ceux qui voulaient le détruire