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REZA PAHLAVI
: "LANÇONS UNE CAMPAGNE DE DESOBEISSANCE CIVILE"
Propos recueillis
par Luc de Barochez
Paru dans le
figaro -Rubrique International du 08 juin 2006
Dans un entretien au «Figaro», l'héritier de
la dynastie impériale conjure les pays occidentaux de soutenir l'instauration
de la démocratie en Iran.
Le prince Reza Pahlavi, 45 ans, qui vit en exil aux États-Unis, est
le fils aîné du dernier chah d'Iran. Il veut fédérer l'opposition démocratique
et laïque au régime issu de la révolution islamique de 1979. De passage à
Paris, il a été reçu hier par une quarantaine de députés au Palais Bourbon pour
évoquer la crise nucléaire iranienne. Pour lui, ni la diplomatie ni l'action
militaire ne peuvent résoudre le conflit, mais un soulèvement populaire en Iran.
LE
FIGARO. – L'Iran a-t-il droit à l'arme nucléaire ?
Reza PAHLAVI. – Le problème n'est pas la
technologie. Les pays occidentaux lui ont vendu, avant la révolution de 1979,
des technologies nucléaires. Aujourd'hui, nous sommes face à un régime totalitaire,
qui soutient le terrorisme et promeut une vision radicale de l'islam. L'accès à
l'arme nucléaire lui permettrait d'asseoir sa position dans la région, de
dominer les deux rives du Golfe persique et les flux de pétrole. Le régime
pourrait ainsi réussir ce que l'Union soviétique n'a jamais pu faire :
contrôler l'économie mondiale. L'arme nucléaire est une garantie de survie pour
ce régime.
Les
propositions des grandes puissances peuvent-elles aider à régler la crise ?
Non, car ce
régime a tout à perdre avec une telle proposition et rien à gagner. Il a besoin
pour se maintenir de s'appuyer sur son aile radicale. Un recul sur la question
nucléaire équivaudrait à miner sa cohésion. À l'inverse, s'il n'acceptait pas
les propositions, des sanctions internationales risqueraient d'aggraver une
situation économique déjà mauvaise. Il serait aussi perdant. La plupart des
gouvernements étrangers se trompent en croyant traiter avec un État
conventionnel. Pour les dirigeants iraniens, l'intérêt national ne signifie
rien, et des incitations économiques sont inopérantes. De leur point de vue, le
Hezbollah au Liban ou le Hamas en Palestine sont beaucoup plus importants que
l'intérêt des Iraniens d'obédience sunnite ou d'autres minorités en Iran.
Vous
ne voyez donc aucun compromis possible ?
J'ai beaucoup de
mal à imaginer que le régime revienne en arrière, surtout en ce qui concerne
l'enrichissement de l'uranium. C'est son cri de guerre, surtout depuis qu'Ahmadinejad est au pouvoir. Céder serait pour lui un suicide
politique.
Pensez-vous
qu'avec les dirigeants actuels on ne peut négocier qu'en vain ?
Oui. Depuis
trois ans, la troïka européenne insiste pour négocier indéfiniment, sans aucun
résultat. Je ne vois aucune carotte possible qui pourrait sortir le régime de
l'irrationalité. Il ne cherche qu'à gagner du temps, pour se rapprocher encore
plus de la possibilité de fabriquer des armes de destruction massive. Le monde
perd son temps.
L'administration
Bush se dit pourtant prête à dialoguer avec Téhéran.
Oui, mais en
posant des conditions très claires. À mon avis, les États-Unis veulent montrer
au monde qu'ils ne cherchent pas à régler l'affaire unilatéralement et en même
temps, obliger l'Iran à choisir son camp. C'est une sorte d'ultimatum, qui vise
à désarmer ceux qui sont opposés aux sanctions.
La
communauté internationale devrait donc décréter des sanctions ?
Je vais plus
loin que ça : tout dépend d'un changement de régime en Iran. Ce régime est le
problème clé pour notre société, pour la région et pour le monde. La meilleure
solution est d'y mettre fin et d'investir dans la démocratie. Tant que ce
régime existera, aucun des grands problèmes mondiaux, la paix entre Israéliens
et Palestiniens, le radicalisme religieux, le terrorisme et la prolifération
des armes de destruction massive, ne pourra être réglé. C'est une course contre
la montre : l'Iran démocratique adviendra-t-il avant que le régime obtienne
l'arme nucléaire ? Là est l'enjeu. L'Occident doit soutenir les mouvements
démocratiques, comme il l'a fait en Afrique du Sud, en Europe de l'Est ou en
Amérique latine.
Pourtant,
en Irak, l'imposition de la démocratie par la force aboutit à un résultat
proche de la guerre civile.
Comparer l'Iran
et l'Irak, c'est confondre une pomme et une orange ! De toute façon, nous ne
réclamons pas une intervention étrangère, qui serait contre-productive. Quand
l'Amérique a découvert après le 11 Septembre qu'elle avait un problème avec
Saddam Hussein, elle a oublié qui était le principal coupable du fanatisme et
du radicalisme. Cela fait vingt-sept ans que le monde entier envoie ses
pompiers dans le monde pour éteindre les feux. Un jour, il faudra bien
s'intéresser à celui qui tient la boîte d'allumettes : la République islamique
d'Iran.
Voyez-vous
des liens entre l'Iran et al-Qaida ?
Al-Qaida a eu des bases d'entraînement en Iran
même. Et beaucoup d'éléments d'al-Qaida transitent
par l'Iran.
Aurait-il
fallu traiter le problème de l'Iran avant celui de l'Irak ?
Je ne veux pas
minimiser les responsabilités de Saddam Hussein. Mais il faut bien voir que la
majorité des problèmes auxquels le monde est confronté aujourd'hui – prix du
pétrole, terrorisme, prolifération, radicalisme – sont liés, d'une manière ou
d'une autre, à la République islamique.
Le
changement de régime que vous appelez de vos voeux doit-il venir de l'intérieur
ou de l'extérieur de l'Iran ?
De l'intérieur,
exclusivement. Les forces réelles sont à l'intérieur. Des milliers de groupes
en Iran font de leur mieux pour lancer une campagne de désobéissance civile non
violente. Ils ont besoin de beaucoup plus de moyens pour réussir. C'est
pourquoi ils ont besoin d'assistance et d'aide de l'extérieur. Nous espérons,
en tant qu'Iraniens, que le monde va finalement choisir son camp : garantir la
survie de ce régime ou faciliter l'avènement d'un régime démocratique et laïc.
La
France fait-elle justement partie des pays qui soutiennent le statu quo ?
Je ne sais pas
si c'est volontairement, mais la France, comme l'Allemagne, en font clairement
partie. Cela dit, j'observe un début de changement de cap. La France elle aussi
est face à un choix : la démocratie ou la théocratie en Iran. Il y a toujours
eu des liens entre mon pays et la France. Elle peut aujourd'hui jouer un rôle
extrêmement important et remettre à l'ordre du jour un aspect malheureusement
occulté : l'aspect moral.
L'opposition
iranienne, qui semble très divisée, peut-elle s'organiser ?
L'opposition
iranienne est aujourd'hui unie. Il y a eu un changement de cap complet ces
derniers temps. La semaine dernière, une conférence a réuni à Londres les
représentants de courants très différents, pour s'associer en vue d'un but
commun. À part les Moudjahidins du peuple, tous les
groupes parlent entre eux.
Quel
rôle jouez-vous ?
Celui de facilitateur
et d'élément fédérateur, car l'union fait la force. Je souhaite un régime laïc,
avec une séparation claire et nette du clergé et de l'État, et fondé sur les
droits de l'homme. Quant à la forme finale du régime, monarchie parlementaire
ou république, il reviendra aux Iraniens de décider. Pour ma part, je pense
qu'une monarchie moderne peut aider à institutionnaliser la démocratie dans des
pays comme l'Iran, sur le modèle du rôle joué par le roi Juan Carlos en Espagne
après Franco. Mon but est de servir la nation.