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CRISE ECONOMIQUE
EN IRAN
Ahmedinejad n'amène pas la
manne pétrolière à chaque table iranienne
Par
Amir Taheri, journaliste et écrivain iranien, vivant à Paris
Paru
le 9/5/07 dans Opinion Journal, émanation du Wall Street Journal
Traduit
par Albert Soued, www.chez.com/soued
pour www.nuitdorient.com
Pendant
tout le mois d'Avril et début Mai, les brigades de la Morale Islamique du
président Ahmedinejad se sont heurtées à des groupes de jeunes dans les rues de
Téhéran et d'autres villes importantes, à propos des tenues vestimentaires
"peu modestes" que le gouvernement cherche à éliminer. Ces mesures
draconiennes sont perçues par beaucoup d'Iraniens comme un pas de plus dans
l'étouffement de la société déjà frappée par une grave crise économique. Le
président et son mentor Ayatollah Ali Khamenei considèrent que le mode
d'habillement des jeunes constitue une menace sérieuse à leur programme
islamiste.
Les
images de bagarres de rue avec ces Brigades pourraient faire penser en Occident
que l'opposition au régime islamiste ne serait que citadine ou bourgeoise ou ne
concernerait que les libertés d'ordre social. Mais ce n'est pas le cas. Ces
tracasseries des Brigades de la Moralité empoisonnent la vie quotidienne des
citoyens, mais ce qui les préoccupe le plus, c'est la crise économique. La
semaine dernière, bien que leur syndicat soit interdit, des dizaines de
milliers d'ouvriers en colère ont cherché à se mesurer contre le président
Ahmedinejad, le 1er mai, à Téhéran et dans une douzaine de villes de
province. Les manifestant portaient un cercueil recouvert d'un drap noir avec
comme inscription "les droits des travailleurs". Ils criaient "Nous ne sommes pas des
esclaves! Oui à la liberté et à la dignité!"
En
2005, Ahmedinejad avait focalisé sa campagne présidentielle sur une promesse
"amener l'argent du pétrole à la table de dîner dans toutes les
familles". Après qu'il ait été élu,
sa situation a été favorisée par l'importante augmentation du prix du pétrole,
lui donnant un extra de 100 millions $/jour de revenus. Et malgré cela, les
statistiques officielles montrent un chômage dépassant les 30%, une inflation
galopante dépassant les 18% et une baisse conséquente en 3 ans du revenu moyen.
Or, sous l'administration précédente de Mohamed Khatami, la république
islamique recensait des accroissements du revenu annuel de l'ordre de 4%! Dans un pays qui a besoin d'un million
d'emplois de plus chaque année pour faire face à la pression démographique, ce
taux de développement économique est pourtant loin d'être suffisant, mais au
moins il évitait un naufrage. Avec Ahmedinejad, le taux de croissance a chuté
vers les 3%, malgré la hausse des revenus pétroliers.
L'état
islamique contrôle les revenus du pétrole qui sont exprimés en dollar. Il a
donc tout intérêt à un faible "rial", la monnaie nationale, ce qui
lui permet de faire fonctionner la planche à billets. On parle d'un
"torrent de rials sans aucune valeur" distribués pour justifier les extravagantes
promesses d'un avenir meilleur et d'une pauvreté jugulée. Résultat: les
capitaux ont fui massivement à Doubai, en Malaisie et en Autriche. Le chef
islamique de la Justice l'Ayatollah Mahmoud Shahroudi annonce que plus de 300 milliards $ ont quitté
le pays, depuis l'arrivée d'Ahmedinejad. Selon le chercheur Abbas Adi, l'Iran
se trouve dans la crise la plus sérieuse de son histoire depuis la révolution
islamique. Les prix de l'immobilier se sont effondrés, même dans les quartiers chics
de Téhéran. Mais la planche à billets n'est pas la seule cause de la crise.
C'est toute la philosophie économique du président qui est à la source des
problèmes.
En
effet, son dada c'est le "Khodkaf-i", ou l'auto-suffisance. Pour
préserver la "pureté islamique" Ahmedinejad préconise l'indépendance
commerciale par rapport à l'étranger, au grand dam de millions de petits
commerçants ou "bazargi"! "On doit tout produire nous-mêmes, même si c'est plus cher
ou de moindre qualité", c'est son credo économique sacro-saint qu'il justifie de la
manière suivante "le
système global économique est un complot judéo-croisé pour affaiblir les
nations musulmanes et les rendre dépendantes. C'est pourquoi, les Musulmans ne
doivent compter que sur leurs propres ressources, même si cela les
appauvrit".
Son premier geste dans ce sens a été de geler les 6 ans d'efforts menés pour
faire partie de l'Organisation Mondiale du Commerce. Ahmedinejad considère
cette dernière comme une invention judéo-croisée pour saboter les économies
musulmanes. Sa position dure sur le plan nucléaire est dérivée de la doctrine
"Khodkaf-i", même si cela entraîne de dures sanctions ou la guerre.
Il prétend que les 7 nations capables de produire de l'uranium enrichi forment
un cartel pour contrôler le marché nucléaire le jour où l'énergie fossile aura
été épuisée.
Convaincu
que nous allons vers "un clash de civilisations", Ahmedinejad est
déterminé à préserver l'indépendance nationale. Un de ses thèmes favoris c'est
que face au choix entre indépendance et liberté, un bon musulman choisirait la
1ère.
La
doctrine "Khodkaf-i" a eu des résultats désastreux dans beaucoup de
secteurs industriels. Incapable d'arrêter ou même de réduire les importations
de biens de consommation, dont la moitié concerne la nourriture (importations contrôlées
par les puissants mollahs et les commandants des Gardiens de la Révolution),
Ahmedinejad a renforcé les règles d'importation. Ceci a paralysé nombre
d'usines faute de matières premières et de pièces de rechange. Cette politique
a tué l'industrie textile et des milliers d'emplois, des centaines de petites
affaires incapables de payer leurs salariés pendant des mois.
La
même doctrine a été utilisée comme excuse pour geler nombre de contrats liés au
gaz et au pétrole, notamment des raffineries. Aujourd'hui la république
islamique importe plus de 40% de produits pétroliers raffinés. La perspective
d'une confrontation avec l'Onu et les Etats-Unis a également détérioré
l'économie du pays. La série de grèves massives à Téhéran et dans 20 autres villes
ont été la conséquence de cette étrange doctrine. La grève des transports l'an
dernier a paralysé les 15 millions d'habitants de la capitale pendant plusieurs
jours. Aujourd'hui même, des grèves ont lieu dans de nombreuses industries:
gaz, papier, imprimerie, automobile, mines de cuivre…
Ahmedinejad
est déterminé à imposer son modèle copié sur la Corée du Nord. Il a déjà
dissout le Syndicat des Employeurs (SKI), considéré comme une cabale capitaliste et il envisage
de le remplacer par un organe d'état. Il fait pression sur le parlement
(Majlis) pour remplacer le code du travail qui a été élaboré avec l'aide de l'OIT
dans les années 60. Ce qu'il propose c'est d'abolir les droits conquis par les
travailleurs pendant des luttes séculaires. Pour lui, il n'y a pas place dans
une société islamique pour des syndicats ouvriers du type occidental. La foi en
Allah préserve "la communauté des fidèles", libres de toute lutte des
classes, affliction des sociétés "infidèles".
Son
prochain coup sera une privatisation importante concernant 40 sociétés publiques,
avec la promesse d'aider les salariés à acheter 10% des titres. Le reste ira
aux riches mollahs et aux officiers des Gardiens de la Révolution et leurs
associés en affaires, avec l'aide de prêts à bas taux d'intérêt, accordés
par des banques d'état. Quand ce projet arrivera à maturation, l'économie
du pays sera dans un tel état piteux que les avides mollahs et les gardiens
corrompus ne voudront même pas investir un seul rial, même emprunté.