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LES IRANIENS SONT SIDERES
QUAND LES AMERICAINS SE FOCALISENT SUR LEUR PRESIDENT
Par Michaël Slackman
Paru dans le New York Times du 24 Septembre 2007
Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com
Quand Mahmoud Ahmedinejad a été élu président il disait que l'Iran
avait mieux à faire que de s'inquiéter de l'habillement féminin. Il avait même
demandé que les femmes puissent jouer dans les équipes de foot, une idée
révolutionnaire dans un Iran en révolution. Aujourd'hui, l'Iran passe par la
période la plus répressive de son histoire avec des arrestations pour
comportement "non social" ou habillement "non-conforme", et
des interdictions pour les femmes de fumer en public ou d'apparaître dans les stades.
En 2 ans, le président Iranien fait la manchette des journaux dans le monde,
grâce à ses déclarations outrageuses et agressives qui ont autant de chance de
se réaliser que son plan de faire participer les femmes au football. Ces
derniers jours il a provoqué une controverse, en demandant de visiter "le
niveau zéro" du 11/9 – demande refusée – et en apparaissant à l'Université
de Columbia au milieu des protestations.
Les Etats-Unis comme l'Europe n'ont jamais su comment le traiter du
fait qu'il passe son temps à nier l'Holocauste et à appeler à la destruction
d'Israël. Selon des politiques Iraniens et des experts, en le
"démonisant" l'Occident lui a rendu service, élevant son statut chez
lui et dans la région, au moment même où il était politiquement isolé, du fait
de son style et des résultats désastreux de sa politique économique.
Les analystes politiques à Téhéran sont surpris de l'importance
accordée à leur président et de leur focalisation sur lui, disant que
l'Occident n'avait pas compris comment l'Iran fonctionnait. Contrairement aux
Etats-Unis, en Iran le président n'est pas le chef de l'Etat, ni le Commandant
des forces armées. Ce poste est tenu par l'ayatollah Ali Khamenei, le chef
suprême dont l'autorité est à la fois religieuse et politique. Aujourd'hui le
pouvoir du président provient de 2 sources, celle du chef suprême et de l'importance
de la condamnation internationale, suite à ses incartades. "Les
Etats-Unis accordent trop d'importance à Ahmedinejad" dit un expert en
science politique, sous couvert d'anonymat, de crainte des représailles, "et
il n'est pas si important que cela". Cela ne veut pas dire qu'il soit
insignifiant. Il contrôle la mécanique du gouvernement civil, comme tout 1er
ministre égyptien (ou français), le pouvoir réel résidant entre les mains du
Président. Il supervise le budget et il a placé ses hommes dans les postes
importants à travers le pays, depuis les gouverneurs de province jusqu'aux
procureurs. Le fondement de son pouvoir réside dans les milices
"basijis" et dans les "pasdarans" ou Gardiens de la
Révolution (soit plusieurs dizaines de milliers de personnes formées et armées)
Mais Mr Ahmedinejad n'a pas montré la même sagacité politique vis-à-vis
de sa population qu'il ne l'a fait en excitant l'Occident. Deux de ses
ministres l'ont quitté, critiquant sa gestion du pays Le chef de la banque
centrale a démissionné. Le juge suprême l'a critiqué pour la direction du
gouvernement. Sa promesse de déraciner la corruption et de redistribuer la
manne pétrolière s'est évanouie devant des intérêts bien établis. Même un petit
groupe de parlementaires acquis à cet homme a renoncé à le suivre. "Peut-être
cela vous surprend que je vous dise que j'ai voté pour lui" dit Emad Afrough, un parlementaire
conservateur. "J'aimais ses slogans pour une plus grande justice".
Mais il ajoute: "On ne gouverne pas un pays "perso", on doit
tenir compte du public et le consulter".
Au lieu de se focaliser sur Ahmedinejad, l'Occident devrait apprendre
que ce qui compte en Iran, c'est idéologie, l'idéologie révolutionnaire islamique. Près de 30 ans
après la chute du shah dans une révolte populaire, le chef
suprême de l'Iran a le titre de Gardien de la Révolution.
Le pouvoir de Mr Ahmedinejad ne provient pas de son poste de président,
mais du refus de son patron Khamenei et de sa clique, d'aller au-delà de
l'identité révolutionnaire iranienne. D'où les relations tendues avec
l'Occident. Il y a de nombreux officiels radicaux plus pragmatiques, qui
cherchent à garder "les valeurs de la révolution", tout en souhaitant
insérer l'Iran dans le monde extérieur, du moins sur le plan économique.
Aujourd'hui ces gens ne font pas la pluie et le beau temps, et si un jour cela
doit changer, cela ne viendra pas du président. "L'Iran
n'a jamais cherché à s'entendre avec l'Amérique, et il ne le fera pas tant que
les structures politiques actuelles demeurent", me dit mon expert
anonyme.
Un autre facteur important limite les moyens de Mr Ahmedinejad, alors
que l'idéologie définit l'Etat, la révolution a permis à une certaine classe de
devenir riche et puissante. Quand Mr Ahmedinejad venait d'être élu, il apparut
que les éléments radicaux détenaient tous les leviers du pouvoir. Mais
aujourd'hui il est clair que Mr Ahmedinejad n'est pas un "radical" au
sens traditionnel du mot. Comme déjà dit, son désir de justice économique et de
redistribution de la richesse s'est heurté au mur des intérêts privés acquis, y
compris les membres du clergé et les chefs militaires (milices et gardiens). Un
ancien VP sous l'administration plus modérée de Mohamed Khatami, Mohamed Ali
Abtahi nous dit "Mr Ahmedinejad est un phénomène. Sur le plan religieux
il est plus radical que les plus radicaux. Mais sur le plan politique, les
vrais radicaux ne le soutiennent pas"
Selon les analystes, à long terme le désir de préserver les intérêts
acquis conditionnera le programme politique. L'élite politique devra faire
allégeance au système établi, et non pas à ce que souhaite un président. Le
jour où on n'aura plus besoin de lui, il prendra sa place dans l'histoire, à
côté des autres présidents qui n'ont pas réussi à changer quoique cela soit au
système.
Les Iraniens iront aux urnes dans moins de 2 ans pour élire un
président. Il y a tellement de pressions sur le système électoral que personne
ne s'attend à des élections transparentes. Ainsi le Conseil des Gardiens,
contrôlé par les radicaux, doit accepter toutes les candidatures. Que Mr Ahmedinejad gagne ou perde, on
n'a pas le sentiment ici que cela changera quoique cela soit dans les relations
fondamentales du pays avec le monde, et dans les relations du gouvernement avec
sa population.
D'après Sai'd Leylaz, économiste et ex officiel du gouvernement "la
situation va empirer et nous nous dirigeons vers le point où aucune force
intérieure ne pourra changer les choses"
Notes
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