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DISSUADER L'INDISSUADABLE
Par Charles Krauthammer, éditorialiste - letters@charleskrauthammer.com
Washington Post, 18 avril 2008
Traduit par Artus pour www.nuitdorient.com
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L’ère de non prolifération est close. Pendant le premier demi-siècle de l’ère nucléaire, la sécurité a été assurée en limitant l’armement aux grandes puissances, et en le mettant à l’écart des Etats voyous. Cette stratégie devait à coup sûr s’effondrer. Et l’inévitable est arrivé.
Les pourparlers à six partenaires sur la Corée du Nord ont échoué lamentablement. Ils n’ont pas empêché Pyongyang de faire des essais d'une arme nucléaire et d'entrer dans le Club. Aujourd’hui, la Corée du Nord a transgressé de nouveau son engagement de révéler toutes ses installations nucléaires.
L’Iran était le second test. Les négociations avec les trois grands de l’Union Européenne (Grande-Bretagne, France et Allemagne) n’ont abouti nulle part. Chaque résolution du Conseil de Sécurité de l’ONU décrétant des soi-disant sanctions était plus inutile que la précédente. L’enrichissement de l’uranium continuait.
Quand l’Iran a annoncé récemment qu'il triplait du nombre de centrifugeuses (9.000), cela n’a provoqué aucune réponse perceptible de l’administration Bush, et le jeu prenait fin. Tout le monde est d'accord pour empêcher l’Iran d’accéder au nucléaire. Mais personne n'en prendra le risque.
La "communauté internationale" est prête à ne rien faire de conséquent pour empêcher la prolifération nucléaire. Et personne ne veut l’admettre. Personne ne veut envisager la perspective d’armes nucléaires entre les mains d’un, deux, ou de nombreux Etats- voyous. Pourtant nous devons le faire. Ce jour arrivera, et plus vite qu'on ne le pense. Nous devons faire face à la réalité et commencer à songer comment vivre avec l’impensable.
Il y a quatre manières de traiter avec des Etats voyous voulant accéder au nucléaire : la prévention, la dissuasion, les missiles de défense et le changement de régime.
La prévention marche bien mais en tant que remède, il est consommé. L’Irak a été rendu inoffensif par la frappe aérienne israélienne en 1981, par la guerre du Golfe de 1991 (qui révéla les programmes nucléaires clandestins de Saddam Hussein) et enfin par l’invasion en 2003, qui mit fin à la dynastie des Hussein, père et fils.
Un résultat collatéral de la guerre d’Irak a été le désarmement nucléaire de la Libye. Devant le destin de Saddam Hussein, Moamar Khadafi a été amené à déclarer et à démanteler son programme nucléaire. Et s’il faut en croire l’Estimation du Renseignement National (NIE) de novembre dernier, l’invasion de l’Irak a même amené l’Iran à suspendre l’enrichissement et l'armement nucléaire, provisoirement.
Mais le coût de la prévention est beaucoup trop élevé. Personne ne va réitérer la guerre de Corée en attaquant Pyongyang. Et les perspectives d’une attaque des installations de l’Iran sont de plus en plus minces. Que faire ?
La dissuasion. Elle a fonctionné
pendant la Guerre Froide lorsqu'il n'y avait que deux acteurs.
Fonctionnera-t-elle avec de nombreux voyous ? Elle semble très adaptée à
la Corée du Nord, dont le régime, loin d’être suicidaire, est obsédé par la
survie.
L’Iran se présente autrement. Avec des dirigeants croyant dans l'apocalypse, en effet la dissuasion ne peut pas marcher, comme je l’ai écrit en 2006 en étudiant le dossier de la prévention. Mais s'il n'est plus question de prévention, tout ce qui reste, c'est la dissuasion. Dans ce contexte, notre devoir est de rendre cette dissuasion plus efficace.
En jouant sur 2 tableaux. D'abord, commencer par menacer de représailles si dures et si implacables, qu'en cas d’agression nucléaire de l’Iran, les Iraniens qui ne croient pas à l'Apocalypse prendraient le pouvoir, et en chasseraient même ceux qui mènent leur pays à sa destruction.
Mais il y a un additif à la dissuasion, les missiles de défense. Contre l'immense arsenal soviétique, ces missiles étaient inutiles. Contre de petites puissances ayant de faibles arsenaux, comme la Corée du Nord ou l’Iran, associés à la dissuasion, ils deviennent très efficaces.
Pour illustrer notre thèse, imaginez un système de défense anti-missiles à 2 niveaux, chaque niveau ayant une précision de 90%. C'est-à-dire que 19% pour cent seulement des missiles passeraient à travers le système de défense. Comme un pourcentage relativement faible de missiles risque de passer pour atteindre le but, la dissuasion est sérieusement renforcée. Même Mahmoud Ahmadinejad s’abstiendrait de lancer un arsenal de, disons, 20 têtes nucléaires, si ses conseillers scientifiques lui démontraient qu’il n'a que 19% de chances seulement qu’un seul missile puisse passer – et 100 % de risque qu’une contre-attaque de représailles de centaines de têtes nucléaires israéliennes (ou américaines) réduiraient en cendres la première république islamique du monde.
Bien sûr, on peut utiliser des terroristes pour éviter ce système de défense.
Mais tout ce qui ne serait pas une attaque secrète, massive et parfaitement exécutée
de sites multiples, provoquerait une destruction sans doute terrible, mais non
existentielle. A l'opposé, les représailles seraient, elles, une menace
existentielle pour l'adversaire.
Nous sommes dans le domaine des probabilités, bien sûr. Une sécurité totale ne
peut provenir que d’un changement de régime.
Pendant la Guerre Froide, nous craignions les têtes nucléaires soviétiques,
mais jamais celles détenues par les Français ou les Britanniques. Ce ne sont
pas les armes qui tuent les gens: ce sont des hommes qui tuent des hommes. Un
changement de régime arrivera sûrement en Corée du Nord et en Iran. A ce moment
on aura un salut véritable.
Mais, en attendant, nous sommes en danger. Et comment naviguer en sécurité dans l’intervalle ? La dissuasion accompagnée d'une défense par missiles rend le succès d’une première frappe improbable, et, à l’opposé, elle rend sûre la destruction de l'adversaire. Ce système pourrait – pourrait seulement – nous aider à traverser l'intervalle de temps entre le moment où les états-voyous accèdent au nucléaire et celui où ils sont renversés.
Nous sommes entrés dans l’ère qui suit celle de
la non-prolifération des armes nucléaires. Il est temps que nous sortions notre
tête du sable pour nous en occuper.