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IRAN, UN TOURNANT QUI LAISSERA DES TRACES
Par Jean-Paul de Belmont
© Primo, 28 juin 2009
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Imaginez un peu. Nous sommes en
mai 2007. Jean-Marie Le Pen annonce être élu dès le premier tour de la
présidentielle avec 62% des voix, s’autoproclame Président de la République française et envoie ses milices sillonner les
rues des grandes villes du pays pour réprimer toute manifestation tendant à s’opposer à ce coup d’Etat.
Ce qui est tout simplement
inimaginable et irréalisable chez nous, les Iraniens le subissent et cela nous
semble à peine injuste, même pas surréaliste. Cela fait partie du folklore de
ce «Moyen-Orient compliqué», n’est-ce pas ?
Sauf que les Perses ne sont pas un
peuple d’illettrés.
Sauf que leur jeunesse manifeste depuis des
années, malgré les intimidations d’un régime
despotique, son désir d’en finir avec trente années d’obscurantisme religieux. Sauf que des femmes, quotidiennement, bravent le
«Ministère de la vertu» en laissant apparaître quelques mèches de cheveux sous
leur tchador, cet affront à la liberté qu’on leur impose.
Que signifiaient, le 12 septembre
2001, ces manifestations de soutien à l’Amérique ? Si ce n’était le désir d’envoyer un
message au monde : "Nous ne sommes
pas, majoritairement, solidaires de ce fondamentalisme chiite et antioccidental.
Nous voulons rejoindre le monde libre".
Que signifie, aujourd’hui, cette image
brandie par un supporter de Moussavi, représentant un champignon atomique ? Si ce n’est que le peuple iranien est conscient de la dérive dans laquelle
l'entraîne le régime actuel. L'idée, largement répandue, que ce programme
nucléaire galvanise la fierté de l'Iranien moyen est pure foutaise. Laissons-la
à des Emmanuel Todd pour qui l’Iran d’aujourd’hui est bien plus démocratique qu’Israël ! À des
Roland Dumas qui ne carburent qu’à
l’anti-américanisme et à l’anti-israélisme.
Il faut soutenir la contestation
iranienne, beaucoup moins timidement que ne le font les chancelleries
occidentales. Ce qui se déroule aujourd’hui dans les rues de Téhéran et d’autres villes
est peut-être une chance qui ne se
représentera pas de si tôt.
Les Iraniens communiquent entre
eux, parviennent encore à se connecter à Internet. Ils connaissent les vrais
scores de la dernière élection présidentielle : 19 millions de voix à Moussavi, 5 millions à Ahmadinejad
qui n’arrive
qu’en troisième position derrière un autre candidat «réformateur».
Même s’ils ne sont pas
dupes quant à la vraie nature de ces
«réformateurs», ce déni de démocratie leur donne une formidable chance et une
incontestable légitimité pour descendre dans la rue et ébranler les fondements
de ce régime.
Le fait que Moussavi
ne soit que l'autre face d'un régime oppresseur n'a pas beaucoup d'importance.
Ce qui compte, c'est la façon dont la population s'est appropriée
son image. Il est devenu un symbole qui le dépasse lui-même et s'il se laissait
porter par cette vague, il serait obligé de présenter un visage vraiment
réformateur. L’Histoire est remplie de ces
personnages qui, en contradiction avec leur vraie nature, ont fini par emprunter
le sillon creusé par la volonté de leur peuple et, en l’occurrence, la représentation symbolique de Moussavi
est différente de celle de Moussavi lui-même.
Une énigme demeure cependant : ce
qui se passe aujourd’hui en Iran était largement
prévisible. Cela fait des années que ça bout en sous-sol. Pourquoi les
dirigeants iraniens ont-ils laissé la situation se tendre à ce point alors
qu'ils avaient tout à gagner en laissant s'initier une petite perestroïka avec
un Moussavi qui serait resté relativement docile ?
Cela aurait légèrement fait infléchir le régime dans un sens positif, propice
aux échanges internationaux. Au lieu de cela, ils se sont crispés et se sont
repliés dans leur coquille. Un tel degré de bêtise politique paraît, pour le
moins, étrange. À moins que l’évocation de l’effondrement de l’URSS sous Gorbatchev ne les hante…
Une autre hypothèse: la caste
dirigeante se sert de ces troubles en tant que manœuvre dilatoire.
Elle espère peut-être qu'Israël adopte une
attitude attentiste face aux événements actuels et perde ainsi quelques mois
précieux avant toute intervention militaire, laissant à l'Iran le loisir de
poursuivre tranquillement sa course à l'armement nucléaire. Quelles que soient
leurs motivations secrètes, les mollahs se fourvoient dans ces calculs
approximatifs.
L’Histoire ne se répète jamais à l'identique,
mais une constante demeure, du moins sur le
long terme: les dictatures ne peuvent rien contre la volonté des peuples. Les
dirigeants chinois, plus malins que les autres, l'ont bien compris, eux, et ils
ont su gagner la confiance de la majorité de leur peuple en libéralisant leur
société, même si ce régime comporte encore sa face sombre et oppressive pour
les libertés politiques.
L’Histoire ne se répète jamais à l'identique mais
elle est le résultat d’un mélange de
hasard et de volonté des hommes. Aidons-là à prendre la bonne direction.
L’enjeu est de taille : après la chute des
mollahs, toutes les cartes pourraient être
redistribuées en matière géopolitique. Si
on compare l'islamisme à un cancer métastasé,
la disparition du régime iranien actuel équivaudrait à l'éradication de la
tumeur mère et personne ne peut imaginer ce que deviendrait alors le
fondamentalisme musulman dans le reste du monde.
En Iran, juin 2009 laissera de
toute façon des traces et le ras le bol va faire que les choses peuvent changer
relativement vite. Pourquoi pas une partie de l'armée qui rejoindrait les
émeutiers ? Si ça ne se produit pas demain, ce régime vit quand même ses
dernières années.
Sauf si on cherche, coûte que
coûte, à le réanimer…