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LA TURQUIE DEVIENDRA-T-ELLE
UN ETAT ISLAMISTE ?
Par Linda
Michaud-Emin, chercheur au Centre Gloria, Global Research in International
Affairs, IDC- Herzlyah
Paru dans le
Jerusalem Post du 29 avril 2007
Traduit par
Albert Soued, www.chez.com/soued/conf.htm
pour www.nuitdorient.com
Premier exemple
d'un pays musulman devenu un état laïc et démocratique, la Turquie est
peut-être en train de perdre cette spécificité. Pour la 1ère fois un
membre d'un parti islamique est candidat à la présidence et peut l'emporter
(1). Et les prochaines élections législatives devraient déboucher de nouveau
sur une victoire et un parlement islamique. Le Parti de la Justice et du
Développement du 1er ministre Recep Tayyip Erdogan, qui gouverne
actuellement, avait choisi le N°2, Abdallah Gul, ministre des Affaires
Etrangères comme candidat à la présidence. Les laïcs craignent que cela soit le
début de la fin de la République laïque, telle qu'elle avait été installée 80
ans auparavant par Moustafa Kemal Ataturk (2).
Alors que la
Turquie a déjà eu à 2 reprises un 1er ministre venant d'un parti
islamique, le président est perçu comme le rempart de la laïcité. En Turquie,
le président a un rôle important. Il choisit le 1er ministre, le
chef d'Etat Major de l'armée, les recteurs d'université et les membres de la
Haute Cour de justice. La 2ème institution qui sauvegarde le statu
quo laïc est l'armée turque, qui a déjà renversé à plusieurs reprises des
gouvernements.
Il est vrai que
Abdallah Gul a promis de maintenir les valeurs de la démocratie et la laïcité,
les bonnes relations avec les Etats-Unis et Israël et la poursuite des efforts
pour que la Turquie fasse partie de l'Union Européenne. Mais certaines actions
passées préoccupent les laïcs, notamment les entretiens avec le chef du Hamas,
Khaled Meshaal, au siège de son parti à Ankara, en 2006. Et en 2004, Erdogan a
défendu une loi faisant de l'adultère un crime. De ce fait de nombreux laïcs y
compris le chef d'Etat Major le général Yasar Buyukanit prétendent qu'Erdogan
et Gul ne maintiennent la laïcité que comme façade. Ils rappellent qu'avant de
devenir 1er ministre, Erdogan avait dit "Grâce à D, je
suis un serviteur de la Sharia'h (loi islamique) et nous transformerons nos
écoles en madrassas (école coranique)"
La montée en
puissance politique du Parti Justice et Développement est le résultat des
changements socio-économiques du pays. Pour encourager la modernité et le
développement, Ataturk a fait du pays un état centralisé. Et le centre a
souvent oublié la périphérie anatolienne, y compris les petites et moyennes
entreprises souvent dirigées par de pieux musulmans (3). Durant les années 80
la réforme économique relative au libre échange et à la privatisation a
bénéficié à ce groupe qui soutient le régime actuel. L'immigration massive des
villages v ers les villes ont renforcé le parti d'Erdogan et son prédécesseur
encore plus extrémiste, le Parti du Bien Etre social.
D'autres
facteurs ont contribué à la venue de partis islamiques au pouvoir, la
récession, la corruption, l'incompétence, les divisions entre les chefs de
partis laïcs (4) et une nouvelle génération de politiciens islamiques qui
savent se montrer à la fois modernes et honnêtes.
L'effort pour
élire Gul soulève le spectre que la Cour de Justice, une autre forteresse de la
laïcité, ou l'armée ne renverse le gouvernement et appelle à de nouvelles
élections. Celles-ci ne changeraient rien au panorama politique, du fait que la
demi-douzaine de partis laïcs sont incapables de s'entendre entre eux et n'ont
aucun chef charismatique qui puisse supplanter les responsables actuels. De
plus si l'armée intervenait, cela sonnerait le glas de toute tentative de la
Turquie pour rejoindre l'Union Européenne et fera déconsidérer auprès du public
ladite armée.
Quoiqu'il
advienne à court terme, la Turquie que nous avons connue depuis 83 ans et que
nous avons considérée comme un succès, passera à travers les moments les plus
périlleux, depuis de nombreuses générations (5).
Notes
de la traduction
(1) Abdallah Gul
a renoncé provisoirement à sa candidature à la présidence, provoquant des
élections législatives prématurées le 22/07/07. Si les partis laïcs ne
parviennent pas à s'entendre entre eux, les partis islamiques en sortiront
renforcés, et la Turquie sera ramenée à la même situation qu'avant les
élections. Le premier ministre Erdogan a fait adopter par le Parlement un
amendement à la Constitution prévoyant que le président de la République serait
désormais élu au suffrage universel direct et non plus par l'Assemblée, ce qui
l'assure d'avoir un président de son parti islamique. Mais le président actuel
Sezer pourra s'opposer à cet amendement.
(2) Le port du
voile est interdit dans les édifices publics. Or Mme Gul porte le voile et
c'est ce qui a provoqué l'irritation des laïcs et de l'armée face à la
candidature de Gul à la présidence. Si Gul est élu, sa femme porterait le voile
interdit…
(3) Rappelons
qu'en Iran la révolte des "bazargis", les petites entreprises
commerciales et artisanales, a perdu le shah et a permis la venue des
ayatollahs au pouvoir.
(4) Le système
électoral impose à un parti le seuil de 10% pour être représenté au Parlement.
En 2002, Erdogan est arrivé au pouvoir ayant une majorité de députés au
Parlement avec seulement un tiers des voix populaires, du fait qu'aucun parti
laïc n'a franchi le seuil des 10%.
(5) Depuis la rédaction
de cet article, la Turquie a connu en mai au moins 5 manifestations très importantes
dans les villes d'Istanbul, Ankara, Izmir, Denizli, Samsoun défendant la laïcité
du pays contre le régime d'Erdogan.