www.nuitdorient.com
accueil -- nous écrire -- liens -- s'inscrire -- site
PRENEZ GARDE AUX ISLAMISTES DE TURQUIE
Par Barry Rubin, directeur de
"Global Research in International Affairs Center" à l'IDC, Herzliya.
Il publie "les études turques"
Paru dans le Jerusalem Post du 29 Juillet 2007
Traduit par Albert Soued pour www.nuitdorient.com
A Istanboul, les Turcs de tout bord m'ont raconté la même
histoire pour expliquer la situation politique. "Le homard cuit vivant,
ne doit pas cuire dans une flamme vive. On le met dans une marmite d'eau froide
et on augmente lentement la température". Suite à la victoire du parti
islamique de la Justice et du Développement (AK), lors des élections
parlementaires du 22 Juillet, c'est ce qu'on craint pour la société turque.
Les médias internationaux répètent incessamment que le
parti AK est aujourd'hui réellement modéré. En dépit de ses racines islamistes,
il serait maintenant un parti du centre, préoccupé surtout par l'entrée de la
Turquie dans l'UE (Union Européenne) et par la prospérité de l'économie. En
fait c'est l'image que ce parti a essayé de projeter pendant ces 5 dernières
années au pouvoir, et vu les résultats, on pourrait accepter cette conclusion.
La moitié de ceux qui ont voté pour l'AK l'ont fait précisément parce qu'ils
étaient convaincus que ce parti n'avait aucune intention islamiste. L'économie
va bien et la Turquie bénéficie d'un système plus équilibré à l'égard de la
religion. Pourtant, en même temps, il n'y a aucune preuve que le parti AK
restera aussi bienveillant. Et même si le parti est relativement modéré, il n'y
a pas de quoi s'en réjouir, car les perspectives à long terme sont
inquiétantes. Personne ne sait ce qui arrivera, mais conclure que la Turquie
montrera les vertus de la transformation d'un islamiste en modéré se situe quelque
part entre "prématuré et naïf". Si le monde n'est pas encore conscient
du danger, un scénario pessimiste serait plus probable. Sans exagérer le
problème, il ne faut pas l'ignorer non plus.
Examinons la politique étrangère. Serait-il exagéré de dire
que le gouvernement de l'AK est plus à l'aise avec l'Iran islamique qu'avec les
Etats-Unis? Réellement pas. Si le sujet de préoccupation principal au Moyen
Orient et dans le monde est la dissémination de l'islamisme radical, est-ce que
le gouvernement de l'AK désire-t-il voir cette tendance défaite en Irak, au
Liban, en Egypte et parmi les Palestiniens? Certainement pas. Même si le
gouvernement de l'AK ne veut pas imposer chez lui l'islamisme radical, il n'est
pas l'ennemi de cette tendance à l'étranger. La Turquie fut pro-occidentale,
mais aujourd'hui elle est neutre, au mieux. L'alliance Turquie-Amérique qui a
duré depuis 1946 est morte, mais cela ne signifie pas que les deux pays soient
des ennemis et ils ont encore de bonnes relations. Les forces armées sont toujours dans les mêmes dispositions, comme
par le passé, mais les gouvernements ne sont plus réellement des alliés. Les Turcs
semblent attribuer ces problèmes à la guerre d'Irak et à ce qu'ils perçoivent
comme une sympathie à l'égard du PKK, le groupe terroriste kurde qui essaye de
s'emparer du sud-est de la Turquie. En fait les 2 gouvernements ne sont pas en phase
sur la plus importante préoccupation du moment, l'islamisme.
A long terme, les perspectives sont également inquiétantes.
Il est possible que dans quelques années, ce gouvernement soit renversé par une
scission, un scandale ou un retournement économique. En effet, une partie du
succès économique est due à une manipulation: de très hauts taux d'intérêt sont
offerts artificiellement aux capitaux étrangers qui affluent. Cela peut-il
continuer longtemps? Les experts pensent inévitable une prochaine faillite.
Et si l'AK restait au pouvoir très longtemps? La
conjonction d'une large majorité au Parlement et d'un nouveau président du même
bord lui donnerait des pouvoirs immenses, nommer les juges qui redessineront
les lois du pays, nommer les commandants des forces armées qui permettront
l'entrée dans l'armée d'officiers islamiques et neutraliseront les possibilités
d'intervention de l'armée dans la vie politique, remplir l'administration par
des fidèles soutiens à l'AK qui prendront progressivement des mesures proches
de l'islamisme.
En Turquie centrale et orientale, les villes s'orientent
vers une foi et une conduite islamique soutenues par les élus islamistes. Un
énorme changement est en cours du fait de l'introduction de ce qu'on peut
appeler "l'Islam de compétition", ou l'alignement sur le
mieux-disant. En Islam, il était interdit de critiquer tout croyant musulman. Aujourd'hui
on trouve toujours quelqu'un qui vous dit que votre niveau de pratique
religieuse est insuffisant et qu'il faut faire plus. Il y a donc en Turquie une escalade de la norme.
Ceux qui ne souhaitent pas voir la menace d'un Islam
radical s'empressent de dire que tout va bien en Turquie, que les élections
étaient une victoire de la démocratie et de la modération et qu'il est bon
d'avoir le modèle d'un gouvernement islamique modéré dans le pays. Pourtant la
victoire de l'AK, même si elle peut être contrôlée, ne doit pas être célébrée.
Il faut d'abord admettre qu'il y a des risques et que les décisions et les
actions de ce gouvernement doivent être surveillées de près. D'autant plus
qu'ayant amélioré son score électoral, passant des 30% aux 40%, l'AK pourrait
être tenté de faire ce que bon lui semble. Pour éviter cette éventualité et
s'assurer qu'il reste modéré et centré, ce régime doit rester sous pression.
Cela signifie que l'armée doit continuer à garantir la démocratie et que les
médias ne doivent pas être intimidés, car l'érosion de ces moyens de contrôle
peut mener au désastre.
Pau de gens à l'extérieur comprennent qu'une des raisons de
l'attrait du parti AK – et aussi la source des critiques antioccidentales – est
qu'il clame qu'il est soutenu par les Etats-Unis, l'Europe et Israël. Le désir de
ces nations de coopérer avec le
gouvernement turc, même s'il est dominé par le parti AK, ne signifie pas
qu'elles aiment l'AK au pouvoir.
Les institutions et organismes occidentaux, leurs médias et
même leurs gouvernements devraient exprimer aux Turcs, par les moyens appropriés,
que l'AK n'est pas leur "tasse de thé" et qu'ils sont prêts à critiquer
aussi bien sa politique que son comportement.